
Le come-back de Mad Max
En 2014, Maxime Lestienne tombe sous le charme des sirènes qataries et quitte Bruges. Au Pays-Bas, il s’épanouit, avant de perdre ses parents en l’espace de six semaines. Son exil oscille ensuite entre Russie et Espagne, jusqu’à sa signature au Standard, cet été. Retour sur les pérégrinations du soyeux gaucher de Mouscron.
Une semaine intense. Après une première entrée contre Charleroi, Maxime Lestienne joue le premier acte du Clasico classe biberon, sauce U21. Le 17 septembre dernier, le Standard en prend quatre (0-4). Trois jours plus tard, nouvelle apparition, nouveau revers en Europa League à Séville (5-1). Mais son contrôle en extension dans la surface sévillane montre que la classe est toujours là. Le dimanche suivant, il se retrouve déjà titulaire au Parc Astrid. C’est sûr, Max est de retour parmi les siens. Avant d’être freiné par une nouvelle blessure.
Au niveau financier, il a eu pas mal de chance dans sa carrière. Mais il n’a pas encore assez prouvé sportivement. » José Manuel Gonzalez, entraîneur de Malaga
Coincé dans un fonds qatari
Août 2014, c’est le grand saut. Maxime Lestienne signe à Al-Arabi, au Qatar, après quatre ans au Club Bruges. L’idée ? Se faire prêter dans la foulée pour atteindre un championnat qu’il apprécie, la Serie A. S’il rencontre les dirigeants du Milan AC avec son entourage, il signe finalement en faveur du Genoa. C’est déjà ça.
» Son idole a toujours été Francesco Totti. Il se prenait toujours pour lui à l’entraînement. C’est normal qu’il ait voulu signer en Italie « , distille Dino Arslanagic, ami d’enfance, d’un an son cadet, mais surclassé à l’Excel. De quoi tisser des liens. Dino vient de Luingne, Maxime du » Nouveau-Monde « , quartier hurlu.
Sauf qu’à Gênes, Lestienne débarque sur le tard dans une équipe qui tourne bien, avec des concurrents qui éclatent. Iago Falque et Diego Perotti lui piquent la vedette. Sans compter que le coach, Gian Piero Gasperini, ne le désire pas vraiment. Un bourbier. Max entre, beaucoup, mais se montre peu décisif. Au total : 23 matches, dont 13 en partant du banc, 1 but. Maigre.
» Max, personne peut le détester. C’est quelqu’un de profondément gentil, d’hyper simple « , atteste son autre pote, Guillaume François, avec qui il évolue également chez les jeunes puis les pros de Mouscron. » Quand on rentrait de stage, on se disait parfois qu’il valait peut-être mieux jouer en P3 et boire des bières après le match, qu’on y prendrait plus de plaisir… »
Là, il en prend, mais il se retrouve surtout coincé par son » proprio « . En vérité, il signe cinq ans en faveur d’un fonds d’investissement qatari, caché derrière Al-Arabi. Contre un chèque de huit millions, il devient un » produit d’investissement « , où seule sa plus-value a valeur d’intérêt.
Genoa aimerait bien le conserver, mais n’a les moyens ni pour racheter son contrat, ni pour assurer ses nouvelles prétentions salariales. Paul-José Mpoku le connaît depuis la sélection U15. Il met sa carrière entre les mains du même fonds, début 2015 : » Dans la vie, on a beaucoup de choses à apprendre. Il faut faire certains choix et parfois, il faut aussi en tirer les leçons. »
Comparé à Arjen Robben au PSV
» J’avais l’impression qu’il était pieds et poings liés, qu’il ne pouvait pas faire ce qu’il voulait. Max, c’est quelqu’un qui a besoin d’évoluer dans un contexte environnemental qui le sécurise « , précise Alex Teklak, taulier du vestiaire mouscronnois quand Lestienne débute. Ses quelques performances au Genoa lui permettent quand même de rallier Eindhoven et le PSV. En prêt, toujours. Là-bas, le 4-3-3 mis en place par Phillip Cocu ravit cet ailier » à l’ancienne « .
Je le sentais comme un poisson dans l’eau au PSV. Les joueurs, le staff, les supporters, tout le monde l’appréciait. » Alex Teklak
» Je le sentais comme un poisson dans l’eau. Les joueurs, le staff, les supporters, tout le monde l’appréciait « , poursuit Teklak, qui lui rend visite pour l’interviewer, entre autres. » C’était la petite coqueluche, d’autant qu’il n’était pas trop loin de chez lui. On avait le sentiment qu’il pouvait enfin se poser un peu dans un club et championnat qui lui correspondaient bien. » Au PSV, on l’attend comme le remplaçant de Memphis Depay et on le compare, très vite, à Arjen Robben.
Le 15 septembre 2015, il livre l’une de ses plus belles partitions, en Ligue des Champions. Deux assists pour un succès sur Manchester United, 2-1. Quinze jours plus tard, à Moscou, il score deux fois, malgré la défaite des Rouge et Blanc au CSKA (3-2). Ça promet. » J’ai toujours pensé que mon métier serait le foot. Le reste, l’école, le boulot, j’en avais un peu rien à foutre « , lâche-t-il sans pression, dans nos colonnes, un mois plus tôt. Et d’ajouter : » Mon noyau dur, ça reste ma famille. »
À ce niveau-là, l’année commence bien. En janvier 2015, sa fille Alizée voit le jour suite à deux assists délivrés avec le Genoa contre Sassuolo. Mais, le 9 octobre, sa mère, Cynthia, décède d’une rupture d’anévrisme. Six semaines plus tard, Fabian, son père, s’éteint à son tour des suites d’un cancer.
» On ne sait pas non plus ce que serait devenu sa carrière sans la perte de ses parents. Quand tu es jeune, un tel événement peut te chambouler toute ta vie « , souffle Guillaume François, accueilli plusieurs fois par la famille Lestienne, dont le père était actif au Futurosport.
Max se fait alors suivre par un coach mental et ne foule plus les pelouses pendant près de deux mois. » Ce sont des choses tellement fortes, je ne trouve pas les mots « , avoue Mikkel Beck, son agent de toujours, ex-international danois. » J’ai aussi très mal vécu cette période. Je suis tellement fier de Max, de la manière dont il s’en est sorti. Cela démontre une énorme force mentale. » Le 19 décembre, Lestienne revient et offre le but victorieux sur Zwolle (3-2). Un soulagement.
Au poste de police avec Jeroen Zoet
Ou presque. Après la rencontre, dans la nuit du samedi au dimanche, la police le plaque au sol et le menotte. Il est 4h15 du matin et son ami Jeroen Zoet, le gardien du PSV, gagne aussi un voyage gratuit vers le poste pour avoir tenté d’empêcher l’arrestation. Maxime Lestienne aurait porté un coup lors d’une bagarre. Sauf que la victime fuit, ne porte pas plainte et n’est pas retrouvée. Finalement, les deux éléments d’Eindhoven s’en sortent avec une petite amende et un bon buzz sur les réseaux.
Quelques heures plus tôt, Cocu se réjouissait encore de le revoir sur les prés. » Il a travaillé très dur pour revenir à niveau après une période difficile et en est récompensé. » Le directeur général, Toon Gerbrands, ne le protège pas autant et laisse filtrer les noms dans la presse. » Ils ont admis eux-mêmes qu’ils s’étaient comportés de manière ridicule « , justifie-t-il. » Après l’hiver, Philip Cocu a pu utiliser les deux joueurs comme des exemples à ne pas suivre. »
Les fêtes de Max passent évidemment de travers. Il ne revoit l’ Eredivisie qu’à la toute fin de février 2016. Ce qui n’empêche pas le PSV de soulever le titre. Ce jour-là, Lestienne observe les siens battre Zwolle, encore, depuis la tribune. Mais malgré ses 14 apparitions, les supporters le fêtent et lui rendent hommage comme l’un des leurs, en chantant son nom. L’émotion se lit derrière ses lunettes de soleil, sous sa casquette et ses cheveux peroxydés.
» Il s’en est quand même très bien sorti. Beaucoup auraient pété les plombs à sa place « , martèle Arslanagic. Alors, normal, Maxime Lestienne veut rester et le tout neuf champion néerlandais pense la même chose. Mais, encore une fois, le transfert bloque pour une histoire de gros sous. Al-Arabi en demande trop.
Beck : » Pendant six mois, ça a été très dur de se concentrer sur le foot. Max avait aussi envie de voir autre chose, d’autant que le PSV était lié à tous ces événements. » Le Rubin Kazan vient alors mettre dix millions sur sa tête. Assez pour satisfaire les Qataris. » J’ai trouvé ce transfert très étrange, notamment par rapport à la personnalité de Max. D’accord, il est fougueux sur le terrain, mais il n’est pas très aventurier « , commente Teklak.
Direction le Tatarstan. Sur le papier, le projet donne envie : des investissements significatifs et un nouvel entraîneur ambitieux, Javi Gracia. Résultat : 13 matches et une » saison chaotique « , dixit Beck.
Braquage à l’espagnole
» Si on devait le refaire, on le referait « , pose quand même l’agent, qui s’occupe également des intérêts de Lucas Digne, Rony Lopes ou Simon Kjaer. Là-bas, Lestienne retrouve plusieurs francophones de renom, tels que Yann M’Vila, Alexandre Song et Chris Mavinga, connu pour avoir confondu ballon et tête de Mehdi Carcela.
Mais miné par des pépins physiques, Max est dans le viseur de son directoire russe, à l’instar de ses amis Song et M’Vila. En mars 2017, la presse locale évoque des » problèmes de comportement et d’alcool « . Les voix s’élèvent pour envoyer Song et Lestienne en réserve, et ce dernier risque une suspension de trois mois de salaire.
Beck encore : » C’étaient des conneries pour trouver des excuses. Dans les clubs où ça ne va pas, ce sont toujours les étrangers qui prennent. Là, c’était vraiment du n’importe quoi et des mensonges ont été relayés dans la presse. » Kazan éprouve effectivement des difficultés financières.
L’été suivant, Max cherche déjà des solutions de repli, en vain. Comme la plupart des gros salaires venus de l’étranger, le Rubin ne le paye plus pendant plusieurs mois. Il ronge son frein jusqu’à l’extrême fin du dernier mercato hivernal. Il résilie son contrat, à l’amiable, et file à Malaga, qui lutte pour sa survie en Liga.
» La situation était compliquée « , explique Mehdi Lacen. L’international algérien débarque à la même période, en provenance de Getafe. Les deux hommes se retrouvent à l’hôtel, jusqu’à ce que Lestienne s’installe à Marbella, où il se fait cambrioler. Retour à l’hôtel. » C’est un bon gars. Il a toujours le sourire. Même s’il ne parlait pas la langue, il allait vers les autres « , continue Lacen.
José Manuel Gonzalez, l’entraîneur, l’a à la bonne. Malgré la relégation, Lestienne enchaîne autant de rencontres sur trois mois que sur une année à Kazan ou à Eindhoven. » Au niveau financier, il a eu pas mal de chance dans sa carrière. Mais je lui ai dit, il n’a pas encore assez prouvé sportivement. »
Max le Rouche
Mikkel Beck, son agent, l’assure, » cet été, beaucoup de clubs voulaient Maxime. En Espagne, en France, en Allemagne, en Angleterre… Mais Max avait besoin de stabilité dans sa vie, de construire quelque chose avec un club. Ce qui n’est jamais facile. C’est vrai qu’il voulait plutôt rester à l’étranger, parce qu’il adore y vivre, mais finalement, on a bien réfléchi et on a choisi le Standard. »
Traduction : les bords de Meuse vont lui offrir un beau tremplin, à condition qu’il se refasse la cerise. Fin juillet, il arrive libre, paraphe un contrat de quatre ans. » Olivier Renard, qui suivait Maxime depuis longtemps, et Bruno Venanzi ont montré une volonté énorme pour s’attacher ses services. Ils se sont battus pour l’avoir et ils le méritent. Ça lui fait du bien d’être aimé, de se sentir désiré « , abonde Beck.
Paul-José Mpoku converge : » Max, quand il est bien dans tête, il peut performer à un très haut niveau « . Quand il évoque Lestienne, PMK40 parle d’un » fou-gentil « , dans le bon sens du terme, bien sûr. » Le Standard peut lui correspondre dans cette folie. Et il n’a pas débarqué en terre inconnue puisqu’il connaissait déjà plusieurs joueurs, dont Luis Pedro Cavanda et moi. »
Surtout, lors de sa dernière année brugeoise, il côtoie Michel Preud’homme au Stade Jan-Breydel. Là-bas, il avoue de lui-même ne pas avoir assez écouté les conseils de MPH. C’est l’occasion de se racheter et de poursuivre sa courbe de progression. » Il est encore jeune, il ne faut pas l’oublier. Il n’a que 26 ans, et son parcours l’a rendu plus fort encore « , souligne Guillaume François, sûr de son gars.
Freiné d’entrée par une blessure, Max porte les couleurs rouches pour la première fois dans le » derby wallon » du 15 septembre dernier. Alex Teklak, toujours fasciné par sa double faculté à courir vite et longtemps, souligne l’importance de sa relation père-fils avec Preud’homme. » Max a besoin de ça. Il y a vraiment une manière de l’aborder. Avec lui, il faut toujours voir le verre à moitié plein. «
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici