
« L’argent peut tuer le foot »
Mis en cause par l’actuel président de l’Olympique de Marseille Vincent Labrune, Pape Diouf, qui l’a précédé de 2005 à 2009, raconte son étonnant parcours dans C’est bien plus qu’un jeu (Grasset). L’occasion d’évoquer ici les dérives d’un sport guetté par la démesure.
Dans votre livre, vous évoquez les coulisses de l’OM en critiquant l’actuel président, Vincent Labrune, mais aussi votre prédécesseur, Christophe Bouchet, et le directeur sportif José Anigo. A vous lire, on se dit que ce milieu peut être très violent. Ce sport rend-il fou ? Sans aucun doute. C’est une activité si médiatisée que certains acteurs, qui ne pensaient jamais atteindre un tel degré de notoriété ou de reconnaissance sociale, s’égarent complètement, au point de perdre toute lucidité, toute cohérence.
Ajoutons à cela les « affaires », par exemple celle des paris truqués, et l’on se demande si le football n’est pas condamné à être pourri…
En autorisant les paris dans le sport, on a introduit le loup dans la bergerie. Personne ne doit donc être surpris par ces dérives. On a beau me dire qu’il existe des systèmes de contrôle, il faudrait interdire les paris. C’est un poison.
Votre parcours vous a permis de tout connaître du football, comme journaliste, agent de joueurs ou dirigeant. Avez-vous été confronté à la corruption ?
Personnellement, non. Peut-être parce que les interlocuteurs potentiels savaient qu’ils n’avaient aucune chance avec moi. De la même manière, je n’ai jamais été victime d’un chantage ou d’une manipulation à la tête de l’OM. D’abord parce que je n’ai pas peur. Mais surtout parce que je me suis interdit d’être redevable envers qui que ce soit. Dans ces conditions, on peut se préserver des éventuelles tentations qui ne manquent pas autour de l’OM.
Vous écrivez pourtant que l’influence supposée du grand banditisme sur le club relève de la « foutaise ». N’est-ce pas une vision angélique de la réalité ?
Non, pas du tout. A Marseille, je n’ai jamais fréquenté un autre milieu que celui du foot au sens strict, en dehors de toutes les « chapelles » qui pouvaient prêter à équivoque.
Comment expliquez-vous que ce club n’ait jamais fait l’objet, ces dernières années, d’approches sérieuses de la part d’investisseurs fiables, comme à Paris ?
Justement parce que certaines idées ont la vie dure. Ainsi, bien des gens pensent que l’OM est lié, d’une manière ou d’une autre, au grand banditisme. A mon sens, c’est une affirmation gratuite et fausse. Peut-être qu’à un moment une certaine faune périphérique a pu, parfois, approcher l’OM par le biais de telle ou telle amitié, mais celui-ci n’a jamais été gangrené. Encore une fois, je parle de l’époque que j’ai connue. Vous savez, ce club suscite tant de fantasmes…
L’organisation par le Qatar du Mondial 2022 fait polémique. Ce pays, qui contrôle par ailleurs le Paris Saint-Germain, a-t-il pris une place excessive dans le football ?
Incontestablement. Quand un pays envahit à ce point un sport et un club, cela devient un danger. Quel contrôle avons-nous sur la manière dont le PSG paie les joueurs, à commencer par Beckham? Ce n’est pas une accusation, juste une question. Quant à l’attribution du Mondial, il s’agit d’abord d’une affaire d’argent, et cela me gêne. On a beau me dire qu’une telle compétition doit être universelle, et s’ouvrir à de nouveaux horizons, on ne m’empêchera pas de penser que le Qatar l’a emporté grâce à ses moyens, alors que bien d’autres pays étaient susceptibles d’être désignés. Il se dit depuis longtemps que l’argent met le foot en danger, au risque de le tuer. Ce sport est toujours vivant, mais il arrivera un moment où l’on ne pourra pas franchir sans risque une certaine limite.
Mais vous aussi avez évolué dans ce milieu, et donc contribué au système…
Bien sûr. Mais en gardant le sens de la mesure et de la moralité. Jamais je n’ai dépassé ce que j’estimais être la norme.
Philippe Broussard
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