Que devient le Petit Goethals ?
Après cinq années sabbatiques, l’ex-coach du RWDM aspire à retrouver les terrains.
Son passé de Daringman ainsi que sa science du jeu avaient autrefois valu à Freddy Smets le surnom de Petit Goethals. On ne s’étonnera pas, dès lors, que l’Union Belge l’ait sollicité pour dispenser la tactique aux élèves de 3e et 4e années de l’Ecole des Entraîneurs. Ce qui se comprend nettement moins, en revanche, c’est qu’aucun club ne l’ait approché depuis son désir de mettre sa carrière en veilleuse après la faillite du RWDM, en 2002.
» Sans doute suis-je en partie responsable de cette situation « , dit-il. » Car au lendemain de la mise en liquidation d’un club auquel j’avais quand même donné 20 ans de ma vie, comme joueur d’abord, puis successivement en tant qu’adjoint, T1 et, en définitive, directeur sportif, je m’étais mis en tête, tout simplement, de rompre avec un milieu du football où j’avais tout connu : les heures de gloire afférentes à la montée des Coalisés, puis leur lente descente aux enfers. Je voulais vivre autre chose et, surtout, découvrir d’autres horizons. C’est pourquoi, l’espace d’un an, j’ai énormément voyagé : en Afrique noire essentiellement et, plus précisément, en Guinée et au Cameroun. Par la suite, j’ai repris mon métier de professeur d’éducation physique à l’athénée d’Ixelles. En automne 2003, par le biais de Frans Masson, j’ai obtenu un poste de chargé de cours au Heysel en remplacement de Jacques Urbain. J’y enseigne la tactique à l’échelon des deux dernières années de formation. La première est essentiellement consacrée au passage en revue des schémas les plus traditionnels : 4-4-2, 4-3-3, 3-4-3, tandis que la suivante tient compte du système déployé par le camp adverse. On y apprend, par exemple, comment procéder, au départ d’un 4-4-2, face à un opposant disposé en 4-3-3, etc « .
Vous avez eu José Riga parmi vos élèves. Ne l’enviez-vous pas de coacher une formation de D1, Mons en l’occurrence, alors que vous excipez vous-même d’un passé à ce niveau ?
Freddy Smets : Au départ, le terrain ne me manquait pas. Mais, à présent, quand je suis sur une aire de jeu avec les candidats entraîneurs, je ressens tout de même une envie de me retremper dans le milieu du foot. Je suis complètement requinqué après cinq années sabbatiques et si d’aventure une offre m’était faite, je ne dirais sans doute pas non. De fait, concernant le métier d’entraîneur, je m’en veux toujours d’être passé de La Louvière à Saint-Trond, en pleine saison 1996-97. Pour avoir milité avec le RWDM parmi l’élite du football belge au début de la même décennie, j’étais obnubilé par un retour au plus haut échelon et les Trudonnaires m’offraient précisément cette opportunité. J’y étais d’autant moins indifférent, de surcroît, que ce club avait permis, jadis, à un certain Raymond Goethals de se faire un nom. Comme certains m’avaient affublé du sobriquet de Petit Goethals, je me disais que les Canaris allaient peut-être avoir un impact analogue sur ma jeune carrière. Mais c’était oublier que, d’une époque à l’autre, le contexte avait changé. Dans les années 60, un mentor pouvait encore innover et c’est ce que le plus grand entraîneur belge de tous les temps avait réalisé en mettant au point sa fameuse défense en ligne. A ce moment-là, il y avait moyen d’imposer sa griffe tout en permettant à des joueurs de s’étoffer. Dans la mesure où tout a été expérimenté depuis lors, à peu de choses près, ce ne sont plus les coaches qui façonnent les joueurs mais, au contraire, ces derniers qui contribuent à la notoriété de celui qui les drive. Si je me suis affirmé dans ce métier, c’est à Edwin van Ankeren que je le dois. Si Michel Preud’homme s’est réalisé, c’est parce qu’il a pu compter sur un Sergio Conceiçao à un moment donné. Et à présent que le Portugais est parti sous d’autres cieux, c’est Milan Jovanovic qui a pris la relève à Sclessin. Des footballeurs de cette trempe ne courent malheureusement pas les rues chez nous. Et c’est là que se situe bel et bien le problème du football belge, tant chez les Diables Rouges qu’auprès de ses représentants les plus emblématiques comme Anderlecht, le Standard ou le Club Bruges : nous ne possédons plus les personnalités capables de conférer un plus à l’ensemble. En sélection, c’est le désert pour le moment. Il faudra attendre que des garçons comme Vincent Kompany, Steven Dufour, Marouane Fellaini et, qui sait, Moussa Dembélé prennent du galon pour pallier cette lacune au cours des années à venir. C’est pourquoi il convient d’être indulgent vis-à-vis du sélectionneur national, René Vandereycken. Et le même raisonnement est autant d’application envers Frankie Vercauteren. Ce n’est tout de même pas sa faute si, à l’exception de Nicolas Frutos et de Lucas Biglia, les autres composantes de l’équipe n’apportent pas une autre dimension. Et dans quelle mesure peut-il être tenu pour responsable du manque d’équilibre au sein du onze de base, voire de son effectif ? Moi, je constate qu’Anderlecht n’a ni centre-avant, ni milieu offensif, ni backs dignes de ce nom. Et j’attends toujours qu’on m’explique ce que font exactement Ahmed Hassan et Mbark Boussoufa sur un terrain.
» Sollied m’interpelle «
N’est-ce pas, justement, le rôle de l’entraîneur ?
Quand, sur le premier but de Fenerbahçe à Anderlecht, on voit un Turc esseulé à 20 mètres du goal, il y a lieu de se poser quelques questions, bien sûr. Mais connaissant le coach du Sporting pour l’avoir eu sous mes ordres au RWDM et avoir parlé souvent de football avec lui, je ne peux pas croire qu’il n’ait pas donné de directives précises en la matière. Et même s’il a omis de s’étendre en long et en large à ce propos, un joueur digne de ce nom, au RSCA, doit être capable de faire la part des choses et se positionner à bon escient. On en revient donc à ce que je viens de dire : un manque de personnalité, de talent, de jugeote, peu importe : les faits sont là. D’aucuns s’extasient devant Ahmed Hassan. Mais, à l’analyse, je suis persuadé que c’est un joueur qui rapporte autant de points qu’il en gaspille. C’est pourquoi je peux aisément comprendre que le coach des Mauves l’ait souvent renvoyé prématurément aux vestiaires, la saison passée, au grand dam du public. J’ai moi-même été entraîneur et, en tant que tel, je décortique inévitablement certaines situations de manière différente que les autres. Quand une équipe doit refaire un handicap, beaucoup ne comprennent pas pourquoi un entraîneur n’ajoute pas un attaquant supplémentaire ou, pire encore, pourquoi il remplace un avant par un milieu de terrain. La raison est simple : pour attaquer, il faut avoir le ballon et, pour le conquérir, il convient parfois de lancer dans la bataille un demi récupérateur à la place d’un élément disposé plus haut sur l’échiquier. Je sais que Frankie a parfois été montré du doigt pour certains changements jugés surprenants mais il est toujours difficile pour un observateur d’en mesurer la pertinence. Il faut réellement vivre la situation de l’intérieur pour juger en connaissance de cause. Et seuls les joueurs et le staff technique sont en mesure de le faire.
Inutile de vous demander, dans ces conditions, quel est le meilleur coach en Belgique ?
Pour ce faire, je devrais être en immersion totale partout. Il ne m’est donc pas possible d’émettre un jugement autorisé. Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est que je suis frappé par la réceptivité du groupe partout où Trond Sollied passe. C’était déjà le cas lors de ses débuts à La Gantoise, puis au Club Bruges et à nouveau chez ces mêmes Buffalos aujourd’hui. Imposer un style et parvenir à des résultats probants en l’espace de quelques semaines à peine, cela ne manque pas d’interpeller. Le Norvégien est un tout bon pédagogue et il a mille fois raison lorsqu’il soutient que les meilleurs ne doivent pas seulement se situer à la tête d’une équipe Première mais aussi chez les jeunes. A ce niveau-là, il y a franchement beaucoup à faire chez nous. Trop souvent encore, faute de moyens financiers, les clubs sont obligés de faire appel à des pensionnés pour encadrer le blé en herbe. C’est une hérésie, évidemment. A l’époque où j’étais directeur sportif au RWDM, les Coalisés avaient un accord de collaboration avec Feyenoord. A Rotterdam, des moins huit jusqu’en Réserve, tous les entraîneurs avaient le même salaire : à peu près 3.000 euros par mois. Je ne vous dirai pas combien c’était chez nous mais chacun aura compris que c’étaient des cacahouètes. Bien sûr, je mesure fort bien que tous les clubs n’ont pas la possibilité de s’aligner sur le géant néerlandais. Mais un énorme pas dans la bonne direction pourrait tout de même être fait si l’Etat y mettait du sien. Je m’explique : je suis prof d’éducation physique et j’ai la chance d’être nommé et de pouvoir exercer ce métier. Bon nombre de régents ou de licenciés en éducation physique se retrouvent malheureusement sur le carreau mais, au lieu de les envoyer au chômage, ne pourrait-on pas aiguiller vers l’encadrement des jeunes ceux qui ont la fibre du football ? Idem pour le basket, le volley et j’en passe. Je suis sûr que dans ces conditions, on aurait davantage de talents belges. Car que se passe-t-il pour le moment : les uns se perdent pour ne pas avoir bénéficié de l’écolage idéal et d’autres, comme Kevin Mirallas ou Tom De Mul sont tout bonnement récupérés en bas âge par des clubs français ou néerlandais où ils jouissent précisément d’un suivi adéquat. C’est peut-être bien pour eux mais, en soi, il n’est quand même pas normal que leur talent ne profite pas, en premier lieu, à un club belge. Si on change la donne, je suis convaincu que nos clubs sortiront tant et plus de bons jeunes. Et qu’on imitera un jour l’exemple de nos voisins qui, eux, n’hésitent pas à jouer la carte de toutes ces promesses. Mais avant d’en arriver là, il conviendrait peut-être de revoir la réglementation en vigueur chez nous.
» Trop d’étrangers » Une proposition ?
Il y a beaucoup trop d’étrangers dans nos clubs et la plupart d’entre eux ne valent pas tripette. Aucune fédération n’est aussi libérale que la nôtre car il n’y a qu’en Belgique qu’on peut jouer avec 11 Ivoiriens, comme Beveren l’a fait à un moment donné. Dans la mesure où on ne peut pas contourner le Traité de Rome, il serait bon de freiner l’accès des extracommunautaires. Quels sont ceux qui constituent un enrichissement pour notre football ? Je vois deux Argentins au RSCA, un Serbe et un Américain au Standard, un Togolais et un Roumain à Gand, et c’est à peu près tout. L’idéal, à mes yeux, c’est un groupe de 20 joueurs dont la moitié serait constitué de Belges. On est loin du compte et c’est désolant. A un moment donné, j’avais sous mes ordres, au RWDM, des garçons tels que Patrick Thairet, Dirk Devriese, Rudy Cossey, Thierry Rouyr, Harm Van Veldhoven, Willy Wellens, Frankie Vercauteren et Stan Vandenbuys. Des gars de chez nous, qui étaient tous parties prenantes dans le onze de base, sans exception. A présent, dans le même stade Edmond Machtens, je ne vois plus que des Français malgré la prétendue volonté du président Johan Vermeersch de jouer un jour avec onze Bruxellois. J’avoue ne plus me reconnaître du tout en ces lieux que j’ai pourtant fréquentés pendant tant d’années. D’ailleurs, je n’ai plus mis les pieds là-bas depuis la faillite en 2002. J’ai vécu de beaux moments chez les Coalisés, mais la toute dernière impression, hélas, me laisse un très mauvais souvenir. Je n’ai pas digéré que certains m’aient fait porter le chapeau de la faillite alors que le volet financier du club était du seul ressort du président Erik De Prins. Je n’ai donc plus la moindre attache avec ce club. Dans l’ensemble, je me rends d’ailleurs très peu sur les stades belges. Je préfère de loin disséquer les matches de la Ligue des Champions. Là, je prends vraiment mon pied.
Une équipe vous tient-elle tout particulièrement à c£ur ?
J’aime beaucoup l’animation offensive de Barcelone. Ronaldinho, Lionel Messi, Thierry Henry et Samuel Eto’o, c’est un régal. Dans un autre registre, j’aime également la rigueur défensive de l’AC Milan. Il n’y a vraiment pas moyen d’introduire une épingle dans ce bloc défensif. Enfin, je suis toujours sous le charme, aussi, de Chelsea, pour son engagement. L’équipe idéale, c’est celle qui présenterait un mix des trois.
Le football belge compte trois représentants en Coupe de l’UEFA. C’est son niveau ?
Pas du tout. Si le Steaua Bucarest ou le Slavia Prague sont en Ligue des Champions, je ne vois pas pourquoi Anderlecht, le Club Bruges ou le Standard détoneraient à cet échelon. Les Liégeois n’étaient pas tellement inférieurs aux Roumains, la saison passée, et Anderlecht a déjà battu les Tchèques en préliminaires de cette compétition. Pour moi, le problème se situe davantage dans la tête qu’au niveau de la trésorerie. Je ne sais pas pourquoi, mais on adopte souvent le profil bas. Que le Sporting joue contre Fenerbahce, le Rapid Vienne, Dender ou Hamme, on a toujours l’impression que c’est l’Everest qui se dresse sur sa route. Moi, je ne me suis jamais embarrassé de telles considérations et j’ai battu les Mauves tant avec le RWDM qu’avec Saint-Trond : 4-0 au Staaienveld. Et, dans ces mêmes installations, mes joueurs avaient battu le Standard également : 2-0. Après cette rencontre, malheureusement, j’ai été limogé. J’avais eu l’outrecuidance de dire que la direction trudonnaire, c’était le pompon après ce que j’avais connu au RWDM avec Erik De Prins et Filippo Gaone à La Louvière. On ne me l’a jamais pardonné…
par bruno govers – photos: reporters/ gouverneur
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