Pommade et extincteurs

Lors d’un de ses premiers entraînements au Club Bruges, le légendaire Ernst Happel avait demandé à Johny Thio et à Pierre Carteus, les charnières de l’équipe, comment ils se sentaient. Pas très bien, soupirèrent les deux hommes, réputés pour leur amour des sorties. Ils étaient un peu blessés, ont-ils expliqué à Happel, et ne pouvaient donc se livrer à fond à l’entraînement. Ce n’était pas un problème aux yeux de l’Autrichien. Il leur a annoncé froidement qu’ils ne joueraient pas le dimanche suivant. Il a aligné deux jeunes et le Club s’est imposé 0-2 sur le terrain du FC Diest.

Quand le Néerlandais Hans Croon, le premier entraîneur à conduire un club belge à la victoire en Coupe d’Europe, a repris Anderlecht, son approche très conséquente a surpris le groupe. Il ne consentait pas d’exception. Quand Rob Rensenbrink, qui avait coutume de somnoler en semaine, était trop mou à l’entraînement, il le renvoyait au vestiaire et il disait au virtuose stupéfait qu’il n’avait pas vraiment besoin de lui pour remporter des matches.

C’était une autre époque et, depuis, l’approche des entraîneurs a beaucoup changé. Ils doivent passer la pommade et jouer les pompiers de service. Quand l’un d’eux opte pour une approche directe, voire la confrontation, tout le monde trouve ça étrange. Des joueurs du Club Bruges évoquent toujours la sévérité, extrême à leurs yeux, de Christoph Daum. Pourtant, le précepte de l’Allemand est très simple : sans règles, c’est l’anarchie. On garde en mémoire l’image de Lior Refaelov, s’effondrant blessé, la saison passée. Immédiatement, un joueur s’est présenté sur la ligne de touche, prêt à le remplacer. Quand l’Israélien a voulu poursuivre le jeu, Daum a jailli du banc comme un diable de sa boîte : Refaelov devait bel et bien rejoindre le banc.

Les entraîneurs sont souvent mus par leur instinct de conservation. Quand Nabil Dirar provoquait les supporters du Club Bruges, les dirigeants devaient intervenir et le sanctionner. C’est très rare mais c’était nécessaire : Adri Koster préférait passer l’éponge.

Il y a deux semaines, Carlos Bacca a refusé la main tendue de Juan Carlos Garrido quand celui-ci l’a remplacé, contre le Cercle, après une prestation médiocre. Le buteur colombien du Club a reçu une amende mais samedi dernier, il a joué à Zulte Waregem. Quand il a marqué, il a sauté dans les bras de son entraîneur – sans grande spontanéité.

À Anderlecht, John Van den Brom a exprimé clairement sa façon de penser suite à l’exclusion de Dieumerci Mbokani en Coupe contre Genk. Il a estimé, à juste titre, que l’attaquant avait abandonné son équipe et le Sporting a soutenu son entraîneur par un signal très fort : il ne s’est pas pourvu en appel contre la suspension de Mbokani.

Pourtant, en Europe, les entraîneurs ne peuvent pas toujours faire ce qu’ils veulent dans le monde impitoyable du football. Ils doivent accepter plus souvent des compromis et, surtout, briller en management people. L’esprit de club ne compte pas au sommet. Les footballeurs sont devenus de petites entreprises qui veulent gagner le plus d’argent possible et utilisent leur club du moment comme tremplin. Souvent portés aux nues par des managers, ils ont une telle image d’eux-mêmes qu’ils deviennent des projectiles incontrôlables. L’entraîneur qui intervient énergiquement n’affaiblit pas seulement son équipe : il détruit une partie du capital de son club. Aucune direction ne le tolère. Les intérêts économiques priment les sportifs. Les entraîneurs perdent donc une partie de leur influence et sont contraints à gérer les caprices des vedettes.

Les footballeurs qui aspirent à changer d’air plongent souvent dans un univers de fausses illusions et croient pouvoir tout se permettre. Il y a quelques mois, Matias Suarez ne s’était pas exprimé de manière positive sur Anderlecht. Mais samedi, quand l’Argentin est entré au jeu, contre Malines, après dix mois d’absence, les supporters l’ont acclamé. En football, les paroles sont très vite excusées et oubliées. Elles s’envolent encore plus vite que le vent.

PAR JACQUES SYS

Les intérêts économiques priment les sportifs.

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