« Ne pas me mentir »
Les valises du Marseillais sont prêtes mais il ne signera pas n’importe où. » Je suis à un tournant hyper important de ma carrière, je ne peux pas le louper « .
Les meilleurs médians du championnat de Belgique 2006-2007 : and the winner is… Fabien Camus. Sur la base des cotations attribuées tout au long de la saison par Sport/Foot Magazine, le Marseillais de Charleroi a émergé devant Lucas Biglia, Ahmed Hassan, Tim Smolders, Sven Vermant, etc. A 22 ans, Camus a pété le feu pendant presque toute la saison : 32 matches joués, 6 buts, 4 assists et des prestations de fou dans les matches contre les gros clubs. Anderlecht, Genk, Leverkusen, Monaco et le Steaua Bucarest, entre autres, sont venus aux nouvelles.
Il y a un peu plus d’un an, alors qu’il venait de boucler sa première saison en Belgique, on ne le considérait pourtant pas comme un transfert exceptionnel. Il avait montré de bonnes choses à l’occasion mais avait aussi plus d’une fois marché à côté de ses pompes. Il n’avait d’ailleurs disputé qu’une grosse quinzaine de matches complets. Bref, un premier bilan belge plus que mitigé.
Expliquez-nous cette métamorphose.
Fabien Camus : Pour un nouveau joueur, c’est déjà compliqué de s’imposer dans une équipe qui vient de terminer à une cinquième place inespérée et s’est qualifiée pour l’Intertoto. En plus, l’effectif n’avait pas beaucoup bougé. Tout a très mal commencé pour moi : je me suis blessé pendant la préparation. Cette blessure a rendu ma mission encore plus difficile. Et quand j’ai commencé à jouer, Jacky Mathijssen m’a aligné comme ailier alors que ce n’est pas du tout mon truc. Je suis un vrai médian offensif, je m’éclate comme homme libre dans l’axe, voire à gauche ou à droite dans un 4-4-2. Mais être cloîtré sur un flanc et attendre le ballon, ce n’est pas pour moi. J’ai besoin de pouvoir rentrer dans l’axe, de courir continuellement. A la fin de ma première saison, j’étais un peu frustré parce que j’avais la conviction de ne pas avoir montré tout ce que j’avais dans le ventre. Je ne me plaignais pas de mon temps de jeu, vu que j’avais quand même été sur le terrain dans plus de 20 matches, mais mon niveau ne me satisfaisait pas. J’ai repris du poil de la bête dès la fin du championnat, quand Mathijssen m’a dit qu’il comptait sur moi pour jouer dans un vrai 4-4-2 où je pourrais m’exprimer. Je connaissais le pays, la compétition belge, le groupe : j’étais sûr que j’allais éclater pendant ma deuxième saison.
Et vous l’avez fait ! On a énormément parlé de vous pendant toute la saison !
Je crois, oui… Mais je lis très peu les journaux. Je les parcours au stade mais je n’en achète jamais. Je préfère être mon seul juge, ne pas laisser ce soin-là aux médias. Je sais ce que j’ai fait la saison dernière : j’ai été bon mais je suis aussi conscient que je n’ai pas été performant du début à la fin. Les cotations, je les regarde, par curiosité. Mais je suis rarement d’accord avec ceux qui donnent les points aux joueurs. Pas grave. Si j’ai été nul, je ne mens pas à moi-même, j’assume. Même si on m’a accordé une bonne cote.
Si vous lisez peu les journaux, vous n’avez pas découvert toutes les critiques positives ?
On a dit et écrit des trucs vrais. Des trucs faux aussi. Quand Stéphane Pauwels déclare qu’il ne faut pas faire tout un plat avec Camus sous prétexte que je n’étais même pas titulaire en CFA à Marseille, je ne peux pas accepter. C’est un mensonge pur et simple. Je jouais régulièrement dans cette équipe et j’en étais parfois le capitaine. Enfin bon, on ne peut pas plaire à tout le monde, et d’ailleurs, je ne me plais pas toujours à moi-même… Je n’en veux ni à Pauwels, ni aux autres qui m’ont attaqué : je cherche à être bon sur le terrain, j’aime le foot, rien que le foot, et tout le reste, je m’en balance.
Les jeunes ne parviennent pas toujours à prendre autant de recul par rapport aux commentaires.
Quand vous venez d’une ville aussi vicieuse, aussi tordue que Marseille, vous êtes blindé dès votre plus jeune âge. Et quand vous êtes formé dans un club comme l’OM, vous grandissez beaucoup plus vite que la majorité des footballeurs.
Marseille est une ville vicieuse ? Expliquez un peu.
Là-bas, c’est chacun sa peau. Les gens de cette ville donnent l’impression d’être toujours souriants, solidaires, généreux, mais un Marseillais sur deux est vicieux, tellement malin qu’il arrive à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.
» Meilleur médian de la saison, moi ? Non ! On fait quoi de Conceiçao, Biglia, Hassan, Boussoufa, Dalmat et Oulmers ? »
Revenons à votre saison : pourquoi n’êtes-vous pas entièrement satisfait ?
Sur le coup, j’étais très content de moi. Mais avec le recul, après avoir bien réfléchi et discuté, après avoir revu des images, je me rends compte que j’ai eu quelques passages à vide. D’accord, je suis encore jeune mais je ne veux pas me servir de mon âge comme excuse. Un pro qui veut jouer plus haut qu’à Charleroi doit être plus régulier et plus décisif d’un bout à l’autre de la saison. J’ai marqué 6 buts : j’estime que ce n’est pas assez pour un médian offensif. J’ai raté plusieurs grosses occasions, j’aurais dû en mettre une dizaine au fond. Il me reste pas mal de petits détails à régler.
Lesquels ?
Si je le savais, je ne commettrais pas les erreurs que j’ai commises la saison dernière ! C’est peut-être un manque de rigueur, de concentration, je n’en sais rien.
Votre premier tour a été globalement meilleur que le deuxième, non ?
Ce n’est pas mon avis. On a plus parlé de moi au premier tour parce que j’ai fait de gros matches contre les meilleures équipes, mais c’est pendant cette période que j’ai connu un creux. J’ai fait moins de gros trucs marquants entre janvier et la fin de saison, mais j’ai été plus régulier.
Votre match référence, c’est celui contre Genk à domicile ?
Tout le monde me parle de cette soirée-là parce que j’ai mis deux buts, parce que j’ai été dans tous les bons coups, parce que nous avons atomisé Genk qui était toujours invaincu. Mais je trouve que j’ai été plus fort dans d’autres rencontres : chez nous contre Anderlecht, et aussi au Standard.
Vous donnez de l’eau au moulin de ceux qui disent que vous jouez un peu à la carte, que vous êtes éclatant surtout dans les matches de prestige.
N’importe quel footballeur adore les grands rendez-vous, les stades pleins, les défis. Dans ces cas-là, il y a peut-être une motivation naturelle qui s’ajoute à la motivation professionnelle. D’un côté, je me dis que c’est très difficile d’être à bloc dans 20 ou 25 matches sur une année. D’un autre, je sais que c’est le prix à payer pour passer un palier, pour jouer dans un plus grand club que Charleroi.
On aurait exagéré en vous considérant comme le meilleur médian du championnat ?
Certainement. Je ne suis pas d’accord avec ce classement. C’est flatteur et enthousiasmant d’être vu comme le numéro 1 de toutes les lignes médianes du foot belge, mais il y a eu de meilleurs médians que moi la saison dernière : Sergio Conceiçao, Lucas Biglia, Ahmed Hassan, Mbark Boussoufa, Wilfried Dalmat. Et si un garçon comme Majid Oulmers avait joué dans l’entrejeu de Bruges ou d’Anderlecht, il aurait encore plus cassé la baraque. Sur le terrain, mais aussi dans les médias car on parle plus de ces clubs-là que de Charleroi.
Vous connaît-on enfin en France ?
On a commencé à y parler de moi la saison dernière. Pas tellement dans la presse mais plus au niveau des clubs. Des scouts de plusieurs équipes sont venus me voir.
Et vous avez été à deux doigts de rejoindre les Espoirs.
Oui, mais je n’ai finalement jamais été appelé. C’est sûrement la preuve que je n’ai pas encore été assez bon. De toute façon, je me dis que je n’ai pas grand-chose à revendiquer quand je vois les joueurs qui évoluent actuellement en Espoirs français : il y en a qui jouent à Chelsea, à Marseille, à Lyon, à Milan. Moi, je suis en Belgique…
Vous y avez cru, quand même ?
Oui, mais je ne me suis jamais pris la tête avec ça. J’ai toujours essayé de faire le maximum pour l’équipe et pour moi-même, mais quand on commence à s’encombrer l’esprit avec des sélections, on devient mauvais.
En janvier, Christian Leiva a remplacé Sébastien Chabaud comme médian défensif : cela n’a eu aucune incidence sur votre rendement. Parce que ce sont deux joueurs identiques ?
Sans aucun doute. Deux copies presque conformes. J’ai également joué devant Sergiy Serebrennikov : lui aussi avait exactement le même profil. Ce sont de vrais médians défensifs qui jouent simple : ils arrachent le ballon, contrôlent puis passent directement à un joueur offensif. Ils ne cherchent pas à faire le jeu parce que ce n’est pas ce qu’on leur demande.
» C’est le moment idéal pour partir »
Des gens qui vous ont connu à Marseille vous ont traité de cabochard : êtes-vous d’accord ?
Oui. Je viens du sud, je suis comme ça…
Et vous essayez de changer ce tempérament ?
Il le faut.
Comment se manifeste-t-il ?
Je n’explose pas mais je ne me laisse pas marcher sur les pieds. Cela m’a déjà joué des tours. J’ai eu quelques petits problèmes avec la direction de Marseille. Je n’étais pas d’accord avec certaines personnes, je ne me suis pas laissé faire et cela ne leur a pas plu.
C’est ce qui vous a empêché de vous retrouver en équipe Première de l’OM ?
Dans leur esprit, peut-être. Dans le mien, non…
Pourquoi n’y êtes-vous pas parvenu, alors ?
Lors de ma dernière saison là-bas, j’ai eu des pépins physiques qui m’ont empêché de confirmer ce que j’avais montré l’année précédente.
Des regrets ?
Euh… (Il réfléchit). Sur le coup, j’en ai eu. Aujourd’hui, je n’en ai plus du tout.
Vous rêvez d’un retour en France par la grande porte ?
Ça m’intéresse mais ça ne m’obsède pas. L’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne, c’est bien aussi…
Et la Roumanie ?
(Il rigole). Non.Enfin.
Le Steaua Bucarest vous a fait une offre qui ne se refuse pas, la saison dernière. Et ce club est encore revenu à la charge le week-end dernier.
Tout à fait. Mais ce championnat-là ne m’attire pas vraiment. L’offre qu’on m’a faite le week-end passé est intéressante financièrement, mais la compétition roumaine n’est pas excitante. L’année passée, j’ai un peu hésité parce qu’il y avait la perspective de 6 matches de Ligue des Champions. Mais à part çaà Disons que le deal n’était pas du tout négociable il y a un an mais qu’il est devenu un peu envisageable aujourd’hui. Je me tâte.
Cyril Théréau a accepté le contrat du Steaua. Aujourd’hui, il est à Anderlechtà
Oui, ça a marché pour lui. Mais qui peut dire que ça marcherait aussi pour moi ? C’est un pari, je serais peut-être nul en Roumanie. Et après ?
Votre objectif, c’est d’aller plus haut, le plus vite possible ?
Exactement, c’est un bon résumé de mes ambitions. J’estime que c’est le moment idéal pour progresser, pour passer à autre chose. Mais ce n’est pas simple : je dois y trouver mon compte sur les plans sportif et financier, Charleroi doit aussi s’y retrouver. J’ai déjà refusé des offres faramineuses parce que je ne veux pas aller jouer n’importe où. Je suis à un tournant hyper important de ma carrière, je ne peux pas le louper, je ne peux pas me planter. A 22 ans, je dois continuer à jouer chaque semaine. Si je me retrouve dans un club où je passe un an sur le banc, la spirale sera cassée. C’est pour cela que je prends mon temps, que je ne m’emballe pas. Je partirai peut-être avant la fin du mois d’août, mais il est aussi possible que je reste à Charleroi. J’ai encore deux ans de contrat ici. Pour que je m’en aille, il faut que je le sente bien.
» 4 millions pour moi ? N’importe quoi. Avec un million et demi ou deux millions, Charleroi ferait déjà une bonne affaire »
Et à 22 ans, vous avez encore tout le temps, finalement ?
C’est faux. Mon pote Samir Nasri est devenu international A en France à 19 ans. Je refuse de me dire que j’ai le temps parce que le temps n’existe pas en football. Ou en tout cas, il passe très, très vite.
Quels clubs vous ont fait des propositions faramineuses ?
Le Spartak Moscou, le Steaua Bucarest, des équipes turques et françaises aussi.
Anderlecht et Genk vous ont aussi sondé, non ?
On m’en a parlé mais je ne suis au courant de rien. Je n’ai rien refusé en Belgique parce qu’on ne m’a rien proposé ! Mon agent avait autrefois rencontré Herman Van Holsbeeck mais c’était simplement un dialogue de présentation, il n’y a jamais eu d’offre concrète.
Et Leverkusen ?
Les Allemands sont venus me voir 13 fois la saison dernière mais je n’ai pas eu de nouvelles.
Monaco ?
Laszlo Bölöni me voulait mais tout est tombé à l’eau quand il a été viré.
Y a-t-il un deadline pour Charleroi et pour vous, une date au-delà de laquelle vous serez sûr de rester ici au moins jusqu’à la fin du premier tour ?
Le deadline, c’est le 31 août… Jusqu’à cette date-là, tout peut arriver. La direction m’a donné un bon de sortie.
Le club qui vous voudra, devra mettre 4 millions sur la table, c’est ça ?
Non ! Je ne peux pas accepter que des gens pensent que je vaux 4 millions… C’est complètement fantaisiste. Je suis arrivé gratuitement à Charleroi : si ce club peut gagner un million et demi, voire 2 millions en me vendant, je trouve que ce sera déjà très bien.
Mais on a cru comprendre que le Sporting ne se contenterait pas d’aussi peu.
On ne sait jamais.
Ahmed Hassan, Lucas Biglia, Karel Geraerts, Sven Vermant, Alin Stoica, Steven Defour, Marouane Fellaini : tous ces médians vont jouer cette saison en Coupe d’Europe. Si vous restez à Charleroi, vous devrez vous satisfaire du championnat et de la Coupe de Belgique. Ce n’est pas frustrant ? Parce que vous avez été certainement aussi bon qu’eux, finalement !
(Il sourit). L’Europe, c’est toujours excitant et c’est un manque quand on n’y est pas. Mais je préfère me dire que si nous ne sommes pas qualifiés, c’est uniquement notre faute. Nous avons fait une bonne saison mais nous n’avons pas été capables d’atteindre l’objectif. Je suis persuadé que nous avions les moyens de terminer sur le podium.
Quel sera votre état d’esprit au début du mois de septembre si vous êtes toujours à Charleroi ?
Dès que le marché fermera, il faudra que j’oublie au plus vite. Pour le moment, mon objectif est d’être prêt début août pour la reprise du championnat. Je suis un peu blessé, je me concentre sur mon retour. Si je pars avant la fin du mercato, tant mieux. Si je reste, je serai à 100 % mentalement. Charleroi pourrait refaire le coup d’une bonne saison, d’ailleurs.
La direction vise le titre, ou au pire la deuxième place.
Je pense que ce groupe peut viser le Top 5, voire le podium si nous gaspillons moins de bêtes points que la saison passée.
Il n’y a pas eu d’exode : c’est ça, la grosse surprise de l’été à Charleroi.
Sur le papier, l’équipe est plus forte que la saison dernière. Bertrand Laquait est revenu et Christian Leiva a pris un an d’expérience belge. Mais bon, attendons fin août pour juger. Il peut aussi y avoir quatre gros départs demain ou après-demain. On a vu ce qui s’est passé tout en fin de mercato il y a un an.
L’ombre de Jacky Mathijssen ne continue-t-elle pas à planer sur le stade, dans le vestiaire, dans la salle des joueurs ?
Non, on ne parle plus de lui. C’est un très grand entraîneur, mais il y a un temps pour tout et tout le monde est pro. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur notre saison, nous ne pensons plus du tout à Mathijssen. De son côté, Mathijssen pense à Bruges, plus du tout à Charleroi.
Lundi matin, au moment du bouclage de ce magazine, Camus, le Sporting de Charleroi et le Steaua Bucarest restaient en contact étroit pour un transfert. Les deux clubs poussaient à fond pour une transaction évaluée à 3 millions. Le joueur était en pleine réflexion. Les choses ont peut-être évolué entre-temps !
par pierre danvoye – photos : reporters
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