» Ma carrière, c’est DIX ANS DE FOLIE »

Il est question de sa filiation avec Anderlecht, ses supporters, ses couleurs, de son enfance à Neerpede, de sa reconnaissance envers Van Holsbeeck, du futur rêvé en Diable, des agents véreux, mais surtout de sa mère partie trop tôt.

Le rendez-vous est fixé à 9 h 15. Anthony se pointe à 9 h 10. Souriant, décontracté. Heureux de retrouver son chez lui. Anderlecht, sa ville où il a grandi, son club où il a appris son métier. Six ans après avoir quitté la maison, le seul echte Anderlechtois du noyau va prendre le temps de se confier en profondeur, de revenir à seulement 25 ans sur une carrière déjà longue et souvent tortueuse. Le regard évasif, parfois gêné, les mains qui s’entremêlent sans cesse, AVB en toute sincérité.

Comment te sens-tu aujourd’hui ?

Libéré. Surtout depuis que j’ai signé mon contrat.

As-tu craint que cela n’aboutisse pas ?

Non, pas vraiment. Dès mon retour en janvier, je savais que si je faisais ce que j’avais à faire, l’issue serait positive. Que ce soit avec les dirigeants ou le coach, tout a été clair très vite.

2 ans de contrat, c’est ce que tu désirais ?

2 ans, c’est parfait pour moi (il sourit). Et je pense que c’est la meilleure solution pour tout le monde

Physiquement, comment te sens-tu ?

C’est le début de la préparation, je dois être à 50 %. Dans un mois, j’espère être à 90 %.

Les vacances ont été intenses ?

Non. Je n’ai pas fait grand-chose, hormis une semaine au Mexique avec les potes…

 » Anderlecht, c’est mon enfance, c’est ma vie  »

Revenir à Anderlecht, c’était devenu une évidence après autant de galères ?

Oui, clairement. Ici je suis chez moi. De mes 8 ans à mes 16 ans, j’ai été formé, j’ai évolué en première jusqu’à 19. Je connais tout le monde, tout le monde me connaît. Pour se relancer, il n’y a pas meilleur endroit que  » chez toi « .

Qu’est-ce que ce club représente pour toi ?

Tout. C’est mon enfance, c’est ma vie. C’est Anderlecht qui m’a permis d’avoir une assez belle vie.

Fier d’être anderlechtois ?

Bien sûr ! Je suis supporter d’Anderlecht, fier de ce club. J’ai toujours gardé des amis ici.

Tu as trouvé directement tes repères ?

A part les murs, rien n’a changé en fin de compte. La mentalité est toujours la même. C’est comme si je n’étais jamais parti.

Quand Anderlecht a été champion cette saison, tu semblais plus heureux que lors du sacre avec Genk alors que tu n’avais joué que quelques minutes à Gand.

Exactement. Comme je te le répète : je suis Anderlechtois. Je suis joueur-supporter d’Anderlecht ! Quand j’étais jeune, j’allais voir les Mauves. Anderlecht, c’est tout pour moi.

Et revenir vivre à Bruxelles, c’est important pour ton équilibre ?

Avoir ses amis, sa famille près de toi, ça rend la mission moins compliquée. Etre parti très jeune à la Fiorentina, c’était chaud quand même.

L’Italie, un choix bizarre à 19 ans ?

Non. Un joueur de foot veut toujours goûter à mieux sportivement. Et c’est là-bas que je me suis rendu compte que le foot n’était pas facile. Ou plutôt ce qu’il y avait autour du foot

C’est-à-dire ?

Quand tu es jeune, tu joues pour le plaisir. En arrivant en Italie, tu bosses, la formation c’est terminée, il n’y a plus de suivi, personne n’est là pour t’aider. On te donne ton salaire, et tu as intérêt à faire tes matches, le reste ils s’en foutent. Et puis quand je suis parti en Italie, j’ai perdu ma maman. Ça a tout compliqué.

Tu es à l’étranger, tout seul, ta maman n’est plus là. La douleur disparaît difficilement. Quand tu as du sang africain, tu penses toujours à elle quand tu joues, tu veux la rendre fière, lui rapporter un cadeau quand tu rentres de l’étranger, même si le foot n’était pas son truc.

 » Je n’étais pas un gangster, loin de là  »

N’étais-tu pas trop fort, trop tôt ? Celui que tout le monde présentait comme  » Le plus grand talent d’Anderlecht, une version améliorée de Kompany  »

Oui, peut-être. Mais c’est Anderlecht qui a décidé de me mettre en première à 16 ans et Anderlecht, c’est quand même pas un petit club, les dirigeants, les coaches savaient ce qu’ils faisaient.

N’as-tu pas rencontré des difficultés à passer un cap chez les adultes alors que chez les jeunes tu te baladais ?

Oui. Surtout quand on te sort du cocon d’Anderlecht et qu’on te lâche à l’étranger. A Anderlecht, j’étais l’enfant du club. Dès que je rencontrais le moindre problème, on le résolvait, tranquillement. A l’étranger, c’est plutôt : tes problèmes tu les arranges tout seul, démerde-toi.

Comment avais-tu le sentiment d’être perçu par le monde extérieur ?

On m’a souvent collé une étiquette de fou. Oui, j’ai fait des conneries, comme beaucoup de gens. Mais je n’étais pas un gangster, loin de là. Mais comme je suis timide, réservé, on pense que je suis un gros cou… Maintenant que je porte la barbe, j’entends des critiques là-dessus. Avec moi, y a toujours un problème, comment tu veux que je fasse ?

Même tes amis ne savent pas toujours te cerner…

Je suis compliqué, c’est vrai. Mais je suis très gentil, j’ai un grand coeur. Mais si on me fait un sale coup, je n’oublie pas. Et je tire un trait.

On t’a fait beaucoup de sales coups ?

Ceux qui m’ont le plus déçu, ce sont les agents de joueurs. Ce sont les pires personnes dans le monde du foot. Ils t’utilisent. Certains ont cassé du sucre sur mon dos pour le plaisir. C’est comme ça, ce sont des requins.

Tu es avec Christophe Henrotay désormais ?

Il était déjà mon agent dans le passé. Je l’ai quitté alors que tout se passait bien. C’était pas très intelligent. Mais on m’avait fait miroiter tant de choses.

Quel est le rôle de Mbo Mpenza auprès de toi ?

Il m’encadre, il m’aide dans mon quotidien comme le font Jean-François Lenvin, Peter Smeets, de la cellule sociale. Ils font du super boulot. Tout comme Grégoire Lits, le préparateur physique personnel, qui m’a aidé à retrouver la condition.

L’été dernier, tu t’étais retrouvé à West Ham pour y effectuer un test qui ne s’était pas révélé concluant. Notamment à cause de plusieurs kilos en trop…

Avec moi, c’est comme ça. Je m’arrête quelque temps et je prends trois kilos. Je suis le genre de joueur qui doit vraiment faire attention à ce qu’il mange. Et en allant à West Ham, je savais que je n’étais pas préparé. Mais c’est encore des agents qui m’ont poussé à y aller.

Avant qu’Anderlecht te tende la main, tu as hésité à te rendre dans d’autres contrées comme l’Arabie Saoudite ?

Bien sûr…

Mais en sachant alors que ta carrière était terminée ?

Exactement. Je connais le milieu. En signant en Arabie Saoudite, tu fais 2-3 ans et puis c’est fini. Et encore t’es pas sûr d’aller au bout de ton contrat…. C’est un choix de vie. Mais si je me retrouve à Anderlecht, c’est un peu le destin.

 » J’ai été trop gentil  »

Dans un coin de ta tête, tu te disais toujours : je reviendrai à Anderlecht ?

Oui. Surtout l’an dernier quand je n’avais de club. C’était Anderlecht ou rien. Quand Henrotay, Mbo, Peter Smeets et surtout Herman (Van Holsbeeck) sont venus, tout était clair. Herman a montré qu’il n’était pas qu’un simple dirigeant. Il a aussi un grand coeur. Il s’est vraiment mouillé pour moi.

Et pourtant vous étiez en froid pendant tout un temps…

Oui mais c’était un froid façon père et fils. Herman a des enfants et il sait qu’ils font parfois des erreurs. Ce qui explique qu’il m’a redonné une chance.

As-tu commis trop d’erreurs dans ta carrière ?

Non, j’ai surtout l’impression d’avoir été trop gentil. Au final, c’est toi qu’on prend pour un con, pour le mauvais garçon, etc.

Tu as le sentiment d’avoir toujours une mauvaise image ?

Pas auprès de ceux qui me connaissent vraiment. Avec les supporters d’Anderlecht, ça se passe très bien, ils savent que je suis un enfant du club et donc ils m’encouragent. Mais pour les autres, oui j’ai une mauvaise image..

Impatient de rejouer au Parc Astrid ?

C’est normal. J’aime le foot pour ce qu’il est. Si ce n’était pas le cas, je serais parti chercher l’argent un peu n’importe où. Ici, j’ai fait un sacrifice, pendant un an je n’ai pas touché de salaire mais je n’ai pas hésité. J’ai dit  » y a pas de problème.  »

Dans une interview à Sport/Foot Magazine, Herman Van Holsbeeck avait déclaré : si on n’avait pas tendu la main à Anthony, il aurait pu finir chauffeur de taxi.

C’est possible…

Si ta carrière s’arrêtait demain, tu te verrais faire quoi ?

Rien. Il n’y a que le foot que je sais faire.

Ta remise en question était donc décisive ?

Bien sûr. Je suis pas le genre de gars qui croulera sous les opportunités après sa carrière.

Ouvrir un snack ?

Non même un snack. Je serais incapable à gérer (il rit).

Vu que tu as débuté très tôt en équipe première, beaucoup de gens pensent que tu as plus de 25 ans. Surtout avec la barbe…. Tu t’es converti à l’islam ?

Ça n’a rien à voir. Je n’aime pas me raser c’est tout. Les gens maintenant se braquent là-dessus, moi je m’en fous. L’important, c’est le terrain, rien d’autre et que je sois rentable pour le club.

Comment ça se passe avec Van den Brom ?

Ça se passe très très bien. Si j’ai reçu un contrat, c’est parce qu’il a été peut-être le premier à affirmer qu’il fallait me garder. Mais maintenant c’est à moi de me montrer digne de confiance. S’il y a bien deux personnes que je ne dois pas décevoir, c’est Herman et le coach.

 » Le passage des jeunes aux pros fut trop difficile  »

Comment tu décrirais Van den Brom ?

C’est le foot hollandais, ça joue au ballon, mais tout en gardant une certaine rigueur. Il est tranquille, il donne beaucoup de liberté et de confiance à ses joueurs. Il est au début de sa carrière, il est ambitieux, comme nous, comme le club.

La différence entre l’Anderlecht que tu as quitté et celui d’aujourd’hui ?

Les infrastructures sont beaucoup plus modernes même si Neerpede, le vrai Neerpede, celui que j’ai connu jeune, c’était très bien aussi. Maintenant, ici, c’est le top, tout est parfaitement réglé, le personnel est au petit soin pour toi, etc. Quand tu as des problèmes privés, il y a une cellule sociale, administrative.

Y a-t-il davantage de talents chez les jeunes aujourd’hui ?

Lors de mon premier passage, on donnait plus difficilement la chance aux jeunes même si je suis persuadé qu’il y avait autant de talent que maintenant. La différence, c’est que désormais il y a une structure, un coach, une politique dont le but est de voir les jeunes s’exprimer.

Les Pelé Mboyo, Michy Batshuayi, Hervé Kagé, Geoffrey Mujangi-Bia, Dries Mertens, etc, tous sont passés par Neerpede avant de réussir ailleurs. Ont-ils tous gardé la  » touche anderlechtoise  » ?

Bien sûr. C’est difficile à expliquer. Ça dépasse même le cadre du foot. On a grandi ensemble, on était comme une famille. A Neerpede, il y a une ambiance comme il n’y en a nulle part ailleurs. Ici, ça a toujours été le beau jeu. Le problème, c’est qu’on faisait plus attention au style qu’au résultat ce qui pouvait énerver les coaches. Mais comme on était bien plus forts, ça passait même s’il y avait d’autres bonnes équipes de jeunes comme le Standard ou Molenbeek. Neerpede, c’était vraiment particulier. D’ailleurs, les joueurs passés par là parlent de Neerpede, pas d’Anderlecht. Anderlecht, le club, le stade, en fait, c’était pas notre univers.

Neerpede, c’est une période que tu as adorée ?

Oui, énormément. Le passage des jeunes aux pros a été trop difficile pour moi. Je me rappelle que Franky Vercauteren m’avait interdit de disputer un tournoi en Suisse avec mes potes alors que j’étais en première. Je voulais absolument y aller, c’était pour moi le dernier tournoi que je pouvais faire avec mes amis. J’étais tellement déçu. L’ambiance entre les jeunes et les  » grands « , ça n’avait rien à voir. En première, les gens étaient sérieux, ça ne parlait pas, et si t’arrivais 30 secondes en retard, c’était fini pour toi.

 » Je ne regrette rien  »

Tu es content de ta trajectoire ?

Bien sûr. Et je ne regrette rien du tout. J’entends toujours les gens dire : il aurait pu faire une plus grande carrière, Vincent est au top, lui pas, etc. Mais j’aurais pu faire pire aussi. J’ai connu de bien plus grands talents que moi qui ne sont plus nulle part. Si on évoque Neerpede, tout le monde va te parler de Yasin Karaca. Aujourd’hui, il joue pas au foot (ndlr, en promotion au FC Charleroi). Voilà pourquoi je dis que j’aurais pu faire pire d’autant que je viens de Bruxelles où les tentations sont grandes.

Elles sont toujours grandes aujourd’hui ?

J’ai 25 ans. Je connais. Je ne suis plus un gamin. C’est derrière moi tout ça…

Tu as dit avoir gagné en maturité.

Comment tu veux ne pas gagner en maturité après tout ça ? Ma carrière, c’est dix ans de folie. Des hauts, des bas, des matches de ouf, des matches de merde, il y a tout dans ma carrière. Aujourd’hui, j’ai envie de me stabiliser. C’est bien aussi de ramasser des pêches dans ta vie. Aujourd’hui, je suis serein.

En comparaison, pourquoi tout semble avoir roulé pour quelqu’un comme Vincent Kompany ?

C’est faux de croire que tout s’est bien passé pour lui. Il vient du quartier Nord de Bruxelles, il a connu une période très difficile à Hambourg, à Manchester City aussi. Il faut un peu de chance dans une carrière.

La trajectoire de ton grand ami Pelé Mboyo est encore plus sinueuse ?

Pelé, c’est encore autre chose. Il était derrière les barreaux il y a quelques années et aujourd’hui il est international.

Tu es fier de sa réussite ?

Bien sûr. Je faisais partie du peu de personnes qui ont toujours cru en sa réussite. J’ai toujours été là pour lui comme il a toujours été là pour moi. Sa plus grande fierté, c’est d’avoir été international. En sachant d’où il vient, c’est pas mal…. Vraiment pas mal.

À quoi vas-tu penser quand tu monteras pour la première fois au jeu au Parc Astrid ?

… Je vais penser à tout ça… Je vais penser à ma mère, je ne pense qu’à elle de toute façon. Quand je ne suis pas bien, quand je suis très bien, je ne pense qu’à elle, à rien d’autre.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Je suis joueur-supporter d’Anderlecht ! Ce club est tout pour moi.  »

 » Avec Herman, on était en froid façon père et fils.  »

 » Les agents sont les pires personnes dans le monde du foot.  »

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