© DAVID PINTENS

Les secrets de l’Homme de fer

Samedi, Frederik Van Lierde (39) prendra part à son onzième Ironman de Hawaï, le triathlon le plus célèbre du monde, qu’il a remporté en 2013. Comment s’y est-il préparé ? Et quels sont les pièges qui l’attendent sur l’île de Kona ? Mode d’emploi.

La préparation

Frederik Van Lierde :  » Je vis 80 % de l’année en fonction de Hawaï. Je me prépare certes pour quelques autres Ironman, comme celui de Nice, fin juin (cette année, Van Lierde s’y est imposé pour la cinquième fois, ndlr) mais avant, et surtout après, je planifie mes stages en altitude, mes entraînements et mes courses en vue du mois d’octobre.

Cette fois, je suis allé à Font-Romeu avant Nice. Je m’y suis entraîné en altitude pendant trois semaines puis je suis revenu à la maison pour deux semaines et demi et j’ai dormi dans une tente pressurisée. Vendredi dernier, j’ai pris l’avion pour Hawaï. Cela devrait suffire à digérer les douze heures de décalage horaire et à m’habituer à la chaleur ainsi qu’à l’humidité.

A Hawaï, je ne fais qu’entretenir le moteur, avec un maximum de trois heures d’entraînement par jour. Samedi dernier, par exemple, j’ai fait 2 km de natation, 40 km à vélo et 6 km de course à pied. Depuis, ça diminue. Vendredi, je nagerai calmement pendant une demi-heure. Entre-temps, j’essaye de me reposer au maximum. Pas à l’hôtel mais dans un appartement que nous louons chaque année.

Je préfère être dans ma bulle et c’est plus pratique : je peux manger ce que je veux et quand je veux. Cette année, ma mère est ma cuisinière, je suis aussi accompagné de mon père, de mon kiné, d’un photographe et de deux amis de mes parents. Une équipe de si personnes car chacun des 2000 participants est bien entouré.

C’est donc l’équivalent d’une petite commune qui, chaque année, débarque à Kona. Pendant toute la semaine, on ne parle que de triathlon. Comme je suis un des trois ex-vainqueurs au départ, j’ai un tas d’obligations : une interview pour NBC, un talk-show avec Bob Babbitt, l’historien de l’Ironman, une séance photos pour un sponsor, le briefing d’avant course… Tant que tout est programmé, il n’y a pas de problème. Après dix participations, je suis beaucoup moins stressé. Les deux derniers jours, je suis très concentré et je visualise plus de phases de course. Je commence aussi le carboloading – un régime à base d’hydrates de carbones : des pâtes, du riz, du pain. Je pèse donc 73 à 74 kg au lieu de 70 à 71, mes réserves sont pleines.

Secrètement, je rêve d’une place dans le top 3.  » Frederik Van Lierde

La nuit de vendredi à samedi, je me lève à 3h15 afin de prendre un petit déjeuner trois heures avant le départ, qui est donné à 6h35. La nuit est courte car, la veille, je ne m’endors pas avant 22 heures. Mais si je me suis bien reposé les jours précédents, ce n’est pas bien grave. Après le petit déjeuner, je prépare mes bidons et les vêtements que je dépose dans la zone de transition près du départ. Je gonfle également mes pneus. Nous devons tout préparer la veille sans quoi, le jour-même, avec 2000 participants, c’est le chaos. A cinq heures, je me présente au départ pour le  » bodymarking  » : on colle mon numéro sur mes bras.  »

Natation

 » Un quart d’heure avant le départ, je rentre dans l’eau pour faire quelques sprints puis l’hymne américain retentit et, à 6h35, c’est le fameux coup de canon qui donne le départ. J’aime partir à l’extrême gauche car je respire du côté droit en nageant et cela me permet de voir tout le monde, la plupart des athlètes partant à droite. Cela me demande un peu plus d’énergie mais je démarre rapidement et j’échappe ainsi aux remous des 100 ou 200 premières mètres. Dès le départ, tout va très vite : un peu plus d’une minute par tranche de 100 m. Par la suite, ça diminue un peu : 1’10 à 1’12 ». Çà reste costaud mais il ne faut pas se mettre dans le rouge, sauf pour boucher un trou et rester dans le groupe de tête. Car se retrouver seul peut-être fatal.

Les secrets de l'Homme de fer
© DAVID PINTENS

Dans ce premier groupe d’environ 25 mètres, il faut rester concentré. Et bien s’orienter en suivant les bouées dans l’eau car le parcours est à la fois simple et difficile : deux km aller-retour, tout droit. L’ ocean swell, qui fait monter et descendre le niveau de l’eau de deux mètres, rend les choses plus difficiles. Quand l’eau est au plus bas, on ne voit même pas le bateau au virage. Mais comme je suis puissant, ces ondulations me conviennent.

Lors de mes dix participations antérieures, j’ai toujours réussi à sortir de l’eau au sein du premier groupe, même si les tout bons nageurs arrivaient en zone de transition avec une trentaine de secondes d’avance. C’est un moment crucial, il faut se concentrer sur soi-même et sur les gestes qu’on fait : enlever son maillot, mettre son casque et ses lunettes… Si on se laisse distraire par les autres, on perd du temps. Je me dis à chaque fois que je ne dois pas être rapide mais efficace.  »

Vélo

 » Comme, après 50 minutes de natation, la plupart sont encore frais, la partie vélo commence à fond. Souvent avec le vent dans le dos, à 55 km/h pendant les 60 premiers kilomètres sur Queen Ka’ahumanu Highway, le long de la côte. C’est très dur. Avant, le peloton s’effilochait rapidement mais ces dernières années, malgré ce départ agressif, les participants restent longtemps ensemble. Là aussi, il est crucial de rester bien placé, même s’il est interdit de se relayer. En ligne droite, nous devons en effet laisser douze mètres entre notre roue avant et celle du coureur qui précède. On ne profite donc pas vraiment du sillage mais on a un point de mire, il y a des motards, un hélicoptère…

Je vis 80 % de l’année en fonction de Hawaï.  » Frederik Van Lierde

Il faut veiller à rester entre la cinquième et la dixième place. Pas dans le top 3 car si le premier craque, on se retrouve devant. Pas trop bas non plus car derrière, si le rythme chute, on risque de se retrouver trop près de celui qui précède. En 2016, ça m’a valu cinq minutes de pénalité. J’aurais dû me déporter directement sur la gauche mais tout va très vite, hein. Il est également très difficile de dépasser car si tous ceux qui sont devant conservent une distance de 12 mètres entre eux, il faut tous les dépasser par la gauche. On ne peut se rabattre vers le milieu que si la distance est plus grande.

Il y a toujours des fous, ou des super-cyclistes qui tentent de démarrer dès le début mais pour ma part, je tente de dépenser le moins d’énergie possible dans les 90 premières minutes, jusqu’à l’ascension de Hawi, après 70 ou 80 km. Ces 450 mètres de dénivelé – de 150 à 600 m. – et le vent de face permettent souvent une première sélection.

Les gros écarts se creusent toutefois lors des deux dernières heures et alors, il faut prendre une décision : suivre les meilleurs ou rester dans le petit groupe derrière. Il est impossible d’y réfléchir à l’avance, c’est un choix qu’il faut faire à ce moment-là. Beaucoup se laissent surprendre par le vent qui se lève de plus en plus sur le coup de midi. Sans parler du parcours vallonné, avec 1772 mètres de dénivelé. Ceux qui se mettent dans le rouge pendant trop longtemps finissent par le payer. Soit à vélo, soit pendant le marathon. C’est pourquoi, sur le chemin de la zone de transition, je tente de ne pas dépasser les 300 watts.

Autre point à surveiller : le ravitaillement. Mieux vaut s’arrêter et perdre quelques secondes pour prendre un bidon – comme je l’ai fait quand j’ai gagné en 2013 – que rouler trop vite pour suivre le groupe de tête et en rater quelques-uns, comme ça s’est passé en 2016 : du coup, j’étais déshydraté pendant le marathon. C’est crucial car je perds beaucoup de sel (jusqu’à 4 grammes par heure) et de liquide (plus de deux litres par heure) quand il fait chaud. Chaque triathlète doit d’ailleurs se peser avant le départ et après l’arrivée afin de déceler les pertes de poids extrêmes.

En 2011, j’ai également commis l’erreur de vouloir combler ces quatre grammes de sel. Mon estomac et mes intestins ne l’ont pas supporté… Depuis, j’ai établi un plan d’alimentation avec des flacons de 40 grammes de sucres concentrés et de deux grammes de sel. Je complète avec de l’eau. Mais pour cela, il ne faut pas rater de bidon…  »

Course à pied

 » À midi, je me protège au maximum de la chaleur : je place des glaçons sous ma casquette, dans le cou, sur la poitrine… Ici aussi, il est très important d’y aller à son rythme, surtout dans les 16 premiers kilomètres, sur Ali?i Drive, le long de l’océan, où la chaleur est encore supportable et où il y a beaucoup de spectateurs. Il faut économiser ses forces car le plus dur reste à venir : on s’éloigne de la côte et on prend l’autoroute le long des champs de lave.

Il n’y a pratiquement plus personne au bord de la route. On se dirige ver le Natural Energy Lab, sous le niveau de la mer. On l’appelle comme ça parce que c’est plein de panneaux solaires. Après une descente de deux kilomètres, au km 28, il y a une ascension de 2 km. Le sommet est à 130 mètres et il fait terriblement chaud. Là, beaucoup craquent, comme sur les douze derniers kilomètres légèrement pentus avec un dénivelé de 307 mètres sur les 42 kilomètres.

Comme je gère bien mes efforts, il m’arrive souvent de dépasser des adversaires dans la deuxième partie du marathon. L’avantage d’accélérer systématiquement, c’est qu’on se heurte moins vite à ses limites. D’autant que, si tout va bien, on est un peu  » en transe  » et on ne sent pratiquement plus la douleur. C’est ainsi qu’en 2013, j’ai dépassé deux adversaires. Et c’est comme ça que Patrick Lange s’est imposé l’an dernier en battant le record du parcours : 2h39.

Comme moi et comme tous les vainqueurs depuis 2000, il a plus de 30 ans. Ce n’est pas un hasard. Il faut une bonne base qui repose sur des années de travail mais aussi de l’expérience et une bonne connaissance de soi-même pour faire face aux situations imprévues. Dans une course aussi longue, il y a toujours quelque chose qui ne va pas : on rate un bidon, on prend une pénalité, on a des crampes… Alors qu’on souffre, tout l’art consiste à chasser ces pensées négatives et à rester lucide. C’est pourquoi, en course, j’utilise des mots-clefs comme  » perfection  » ou  » stop « . Cela me permet de me concentrer sur mon plan et de l’exécuter le mieux possible.

J’ai donc aussi un plan mental que j’affine chaque année avec Els Snauwaert, une psychologue du sport. Mais même avec un plan, c’est parfois trop. L’an dernier, à cause d’une faille dans l’organisation, mon sac de ravitaillement spécial pendant le vélo n’était pas prêt et j’ai perdu beaucoup de temps alors que je me sentais très bien. De plus, cela survenait au terme d’une année au cours de laquelle j’avais déjà vécu une attaque à main armée terrible lors d’un stage en Afrique du Sud et une plaie à tête en heurtant un robinet de douche à Nice… J’étais épuisé mentalement et j’ai arrêté après quelques kilomètres dans le marathon mais je l’ai un peu regretté par la suite. En 2015, malgré les crampes, j’avais poursuivi. Je n’avais terminé que 35e mais je me sentais tout de même mieux qu’après un abandon.

Quand on va jusqu’au bout, on a la chance de faire les deux ou trois derniers kilomètres en descente sur Ali?i Drive. Un moment magique car des milliers de personnes encouragent chaque participant. Malgré la douleur, on se sent heureux. Surtout quand on file vers la victoire et qu’on est accueilli en Ironman. Pour beaucoup, c’est un rêve inaccessible. Moi, j’ai la chance de l’être pour toujours. Mais en fait, tout ceux qui terminent sont des hommes ou des femmes de fer, même les derniers qui arrivent juste avant minuit, l’heure limite, celle à laquelle le vainqueur reçoit un collier de fleurs en guise de respect. C’est ça aussi, la magie d’un Ironman.  »

Le dernier rêve

Frederik Van Lierde:  » Je poursuivrai ma carrière jusqu’en 2020. Je participerai donc encore trois fois à l’Ironman de Hawaï. Sauf si je termine sur le podium cette année ou l’an prochain car je veux terminer sur une note positive et me consacrer à d’autres épreuve. En tout cas, je ne veux pas rester sur un abandon, comme l’an dernier.

Si je termine septième mais avec le sentiment d’avoir tout donné et en sachant que les six premiers étaient tout simplement meilleurs, je m’en satisferai. Mais secrètement, je rêve d’une place dans le top 3. Les dernières années, physiquement, j’étais au moins aussi bien que l’année où j’ai gagné. Si je peux éviter les erreurs et les contre-temps, si toutes les pièces du puzzle s’imbriquent comme en 2013, c’est possible. Même à 39 ans. « 

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