Le roublard

Les héros d’antan décèlent à l’attaquant un don unique :  » C’est l’instinct qui dicte où et quand courir. Il le possède « .

Récemment, le Kiel tout entier a scandé le nom de François Sterchele, lors du match Germinal Beerschot-Club Bruges, lors de son remplacement à la 74e minute. Le retour ponctuel du meilleur buteur de l’exercice présent a donc connu un final de classe, les supporters des deux camps le félicitant de concert. La Belgique célèbre son nouveau héros mais que vaut-il aux yeux des héros du passé ?

 » Le Club doit calquer son jeu sur le sien  » (Brylle)

Kenneth Brylle, qui a marqué de nombreux buts pour Anderlecht et le Club :  » Je vais vous faire un aveu, j’ai nourri quelques doutes. A 25 ans, avec seulement deux saisons d’expérience en D1, Sterchele allait-il atteindre le niveau requis à Bruges ? Il me surprend agréablement. Il prouve qu’il a le talent requis. Il est très facile ballon au pied mais il est également solide physiquement. C’est difficile de l’écarter. Il est capable de réaliser des actions individuelles et s’implique bien dans les combinaisons. Il est très complet. Le sale travail, il s’en accommode également, ce que les supporters du Club apprécient. Surtout, il marque facilement, du gauche comme du droit. Prenez le premier but qu’il a inscrit pour le Club, lors du premier match de championnat. Il y a montré l’étendue de sa classe.

Il a un atout inestimable : il ne se laisse pas désarçonner. De ce point de vue, il me rappelle un compatriote, Preben Larsen, qui a joué à Lokeren. Il avait la même devise : – Envoyez-moi tout, je me débrouillerai. Beaucoup d’attaquants ont des problèmes de confiance quand ils ratent quelques occasions. Je ne pense pas que François soit ainsi fait. S’il tire à côté du cadre, il a l’air de penser : – Ce n’est pas grave, je marquerai la fois suivante.

Selon moi, il a effectué le bon choix en signant au Club. D’abord parce qu’il y est à peu près sûr de sa place. C’est important, surtout pour un avant. Il y a plus de concurrence et de rotation à Anderlecht, même si sa mentalité l’aurait certainement aidé à gérer cette situation aussi. S’il a pris une bonne décision, c’est aussi parce que le Club pense davantage en termes collectifs qu’Anderlecht. Même si Frankie Vercauteren ne cesse d’insister sur l’importance d’un football collectif, c’est davantage chacun pour soi, chez les Mauves. A Bruges, plusieurs joueurs se placeront à son service, ce qui n’arrive pas fréquemment chez le champion en titre.

Je ne pense pas que Sterchele doive adapter son jeu. C’est plutôt le Club qui doit calquer le sien sur les qualités de son attaquant. Observez Mbark Boussoufa : on ne retrouve plus en lui les qualités qu’il avait à Gand parce qu’il doit se placer au service du Sporting. L’amateur de football en moi le déplore. On achète souvent un joueur possédant des qualités bien spécifiques pour ensuite l’obliger à évoluer dans un registre complètement différent. Bruges va certainement miser sur les qualités de Sterchele car elles lui sont précieuses. Des garçons tels que Ivan Leko, Sven Vermant et Philippe Clement sont prêts à s’adapter. Aussi longtemps que le Liégeois travaillera aussi pour les autres, nul n’y verra d’inconvénient. Cet aspect est d’ailleurs très relatif car il ne faudra pas changer grand-chose. François est bien démarqué et Leko est capable de distiller la dernière passe. Il sent où Sterchele se dirige et comment il doit le servir.

Il faut laisser Sterchele jouer selon son instinct, sans l’abrutir avec des trajectoires de course et tout ça. Il a l’instinct du buteur. Il est bien placé huit fois sur dix. Il n’a pas le rayonnement de Bosko Balaban. Il ne clamera pas qu’il est important. Mais quand il a le ballon, il a une autre aura : il sait où se trouve le but. Il pourrait devenir un très grand joueur, même si je ne le vois pas devenir un second ErwinVandenbergh. Les temps ont changé : il n’y a plus d’avant qui marque vingt à trente buts par saison. Pourtant, il va apporter une énorme plus-value au Club. Il va régaler Bruges et la Belgique. Sterchele rêve de la Série A mais il doit d’abord s’épanouir à Bruges, prouver qu’il est capable de marquer à ce niveau aussi. Ses meilleures années sont encore à venir. Pourquoi pas un transfert à l’étranger dans deux ou trois ans ? Je ne parle pas de Milan mais il pourrait réussir dans un club moyen d’Italie « .

 » Dans un jour sans, il ne se camouffle pas  » (Ceulemans)

Jan Ceulemans, qui a offert de magnifiques soirées à la Venise du Nord, précise :  » D’après ce que je vois, lis et entends, il possède une bonne mentalité en match. Il ne se camoufle pas. Quand il est dans un jour sans, Sterchele continue à travailler pour l’équipe alors que beaucoup de footballeurs, dans ce cas de figure, évitent de trop toucher le ballon, pensant qu’ils vont mal le négocier. Les spectateurs aiment les joueurs qui se livrent à fond pendant 90 minutes. Même s’il dispute un moins bon match, les supporters continueront à le soutenir. C’est un atout énorme.

Il est mobile. Quand il est en forme et en confiance, la majorité de ses actions aboutit. C’est un avant qu’il faut constamment tenir à l’£il, qui pèse sur une défense, qui ne laisse pas les arrières en paix un instant. Certains ne participent au jeu que quand leur équipe est en possession du ballon. D’autres, comme Sterchele, travaillent pour leurs coéquipiers. Il n’est pas du genre à ne penser qu’à sa petite personne. Se rendre utile au groupe est une qualité essentielle en football.

Le Club peut être plus présent avec lui, exercer une pression plus forte, jouer de manière plus menaçante. Reste à voir quel résultat cela donnera. C’est encore trop tôt pour en juger. François a de l’avenir. Je n’ai qu’une question : comment va-t-il gérer la pression ? Il a pris un bon départ. Il est la grande vedette de l’équipe, pour l’instant, mais attend-on de lui qu’il réédite de tels matches semaine après semaine ? Si c’est le cas et qu’il échoue, que se passera-t-il ? Pour le moment, il me rappelle un peu l’époque de Gilles De Bilde à l’Eendracht Alost. On avait aussi l’impression qu’il n’y avait qu’un avant, entouré de serviteurs. Il faut faire preuve de patience et attendre sa percée complète car nous avons eu des exemples différents. Salou Ibrahim est un formidable footballeur mais rien ne lui réussit pour le moment. Alors, restons les pieds sur terre. Aujourd’hui, Sterchele est un dieu mais peut-être va-t-il disputer cinq mauvais matches et on racontera qu’il n’a pas les qualités requises pour évoluer dans une grande équipe. Le monde est ainsi fait. Personnellement, je pense qu’il possède les aptitudes nécessaires pour réussir à Bruges. Il a plus de chances de s’imposer que d’échouer « .

 » Il va connaître des moments difficiles  » (Vandenbergh)

 » Il progresse à l’allure d’une fusée « , s’exclame Erwin Vandenbergh.  » Dire qu’il ne joue en D1 que depuis deux ans… Il n’a certainement pas raté ses débuts à Bruges mais la prudence reste de mise. N’oublions pas son âge : 25 ans. C’est le moment de s’imposer. Généralement, les bons footballeurs évoluent déjà à ce niveau depuis des années. On prétend qu’on atteint le sommet de son art à 26 ans. D’une part, on peut donc nourrir des espoirs, de l’autre, il faut voir s’il va confirmer. Selon moi, il va vivre des mois difficiles. S’il survit à cette saison, il sera lancé et pas seulement en Belgique.

Quand un attaquant marque, il continue généralement sur sa lancée. C’est un don. On l’a ou pas. Tout dépend maintenant de sa mentalité. Cela ne fait aucun doute : il va connaître des moments difficiles. Ils sont sans doute passés inaperçus au Germinal Beerschot parce que le club anversois n’est pas sous les feux de la rampe comme Bruges mais la Venise du Nord l’attendra à chaque match, surtout cette saison. Il va devoir gérer cette situation mais je suis confiant. Je le crois capable de rester au-dessus de la pression.

Il doit également comprendre que marquer des buts pour Bruges n’est certainement pas plus facile qu’au Germinal Beerschot. J’ai vécu cette expérience lors de mon transfert du Lierse à Anderlecht. Tous les adversaires de Bruges se surpassent. Le Club joue beaucoup dans le camp adverse alors que le Germinal Beerschot pouvait se permettre de miser davantage sur le contre. Par moments, les espaces seront vraiment restreints mais Sterchele possède un bagage technique et des qualités suffisantes pour s’y faire rapidement.

La saison passée, j’ai suivi le match entre le Germinal Beerschot et Westerlo. Je ne l’ai pas vu de toute la rencontre puis d’un coup, Jurgen Cavens l’a servi et boum, il était là : but. C’est typique des grands avants. Il ne se tracasse pas quand il n’est pas vraiment bien dans un match. Il ne se laisse pas impressionner, il guette patiemment sa chance.

Sterchele est très rapide. Il adore surgir de l’aile vers l’axe. Son jeu de tête n’est peut-être pas parfait mais il n’est pas un avant-centre. Il n’est pas davantage un avant qui dit : – Servez-moi dans les pieds, j’attire deux défenseurs, dos au but. Il éprouverait des difficultés à évoluer au milieu d’un trio offensif. Il n’est jamais meilleur que quand il peut tournicoter autour d’un avant-centre, en 4-4-2. Il aurait eu des problèmes au Standard, je crois, même s’il paraît que c’était le club de ses rêves. Sclessin joue tout autrement. D’ailleurs, le Standard a des attaquants dotés d’un tout autre registre : Igor de Camargo et Milan Jovanovic. Forts de la tête, solides, ils s’appuient sur leur puissance. Cela n’aurait sans doute pas convenu à Sterchele, d’autant que le jeu de l’équipe est à l’avenant.

Dans son choix pour Bruges, la personnalité de l’entraîneur a sans doute été décisive. Les deux hommes se connaissent. Sterchele apprécie le soutien inconditionnel de Jacky Mathijssen, qui ne le lâchera pas même s’il traverse une période plus difficile. Il aura d’ailleurs certainement vécu des moments moins faciles à Charleroi avec Mathijssen aussi. L’entraîneur sait donc pertinemment comment le prendre et Sterchele est tranquillisé, puisque son coach n’oubliera pas ce dont il est capable. C’est un ingrédient essentiel. A Anderlecht, il ne l’aurait pas eu.

S’il poursuit sur sa lancée, l’étranger sera sa prochaine étape, sans le moindre doute. Je n’oserai dire s’il s’agira de l’élite mondiale. Un footballeur qui est transféré dans un club étranger un rien supérieur à l’élite belge n’en est pas très éloigné. Il doit en être capable. Quelle est sa marge de progression ? Un joueur peut toujours en apprendre davantage mais cela ne lui permet pas nécessairement d’améliorer son don. Je doute qu’à 25 ans, il progresse encore beaucoup sur le plan qualitatif. Par exemple, ne vous attendez pas à ce que dans deux ans, il réalise des trucs qu’il ne fait jamais maintenant. Il va acquérir de l’expérience, y compris en équipe nationale, et devenir un meilleur joueur, globalement. Je pense à l’aspect mental, à la résistance, etc. Ces éléments seront évidemment profitables à son football « .

par kristof de ryck – photos: reporters/ hamers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire