Le point sur la triche

Les joueurs et les managers ne reculent devant rien pour profiter de l’arrêt Bosman.

Tout a commencé le 26 mai 2000 à l’aéroport de Francfort. Les joueurs de Strasbourg, fourbus, rentrent d’une tournée amicale en Malaisie. Pour plus de facilité, il a été décidé que le voyage aérien se terminerait en Allemagne. Les 200 derniers kilomètres pour rallier la capitale alsacienne seront effectués en bus. Le scenario fut respecté. Sauf pour Diego Garay.

Le meneur de jeu strasbourgeois possède deux passeports: le premier est argentin, le pays où il est né. Le second est italien, le pays qui fut celui d’un de ses ancêtres et qui lui donne, selon la loi transalpine, le droit à la nationalité italienne.

Mais les services d’immigration allemands sont formels: le document italien présenté par Garay est faux. Le joueur est retenu pendant sept heures à l’aéroport de Francfort avant d’être relâché après avoir exhibé son (vrai) passeport argentin. Il est assez symptomatique de noter que ce soient des services d’immigration étrangers qui décèlent le pot aux roses et non les services français!

Il en ira de même avec les deux joueurs de l’Udinese, les Brésiliens Warley et Alberto dont la fausseté des passeports portugais fut découverte par les douanes polonaises après une rencontre de coupe d’Europe à Varsovie.

On se rendit compte rapidement que le cas de Diego Garay était loin d’être isolé. En Italie, au Portugal et en Espagne, la double nationalité dont se revendiquent des joueurs d’origine extra-communautaire est parfois sujette à caution.

La Belgique abat les limites

Pour faire la lumière là-dessus, il faut remonter avant l’arrêt Bosman (1995). A l’époque, tous les clubs appartenant à une fédération membre de l’UEFA étaient tenus au respect de la règle du 3+2. Une équipe ne pouvait aligner sur le terrain que trois étrangers et deux autres, assimilés à des nationaux (il fallait cinq années consécutives d’affiliation dans un club pour être assimilé à un joueur du cru ou s’être affilié à une association européenne avant l’âge de 18 ans).

Vint alors l’arrêt Bosman. La Cour européenne de justice, on le sait, suivit l’avocat général Lenz en supprimant les indemnités de transfert pour les joueurs en fin de contrat. Les juges indiquèrent également que l’on ne pouvait faire de différence entre un national et un joueur ressortissant d’un pays de l’Europe des Quinze. La règle du 3+2 ne valait plus dès lors que pour les joueurs extra-communautaires. Les fédérations nationales durent prendre attitude à propos de ce volet de l’arrêt de la Cour de justice européenne de Luxembourg.

L’Union Belge décida d’abolir purement et simplement la règle du 3+2 et de ne plus limiter du tout le nombre d’étrangers, communautaires ou non, qu’un club pouvait aligner. Il y a deux ans, La Gantoise disputa une rencontre de championnat sans aucun joueur belge en ses rangs.

D’autres fédérations continuèrent à limiter le nombre de joueurs hors-communauté européenne autorisés dans une équipe. En France, ils peuvent être trois en D1 (un seul en D2) et en Espagne, ils peuvent être quatre. En Italie, trois non-Européens des quinze étaient autorisés mais à la demande de l’AC Milan, leur nombre est maintenant illimité.

Un passeport des Quinze suffit

Dans les pays ayant gardé un quota, on recrutait donc plus volontiers des joueurs ayant une nationalité européenne. Les Brésiliens, Africains ou ressortissants de l’Est devaient avoir une solide carte de visite sportive pour trouver grâce aux yeux des dirigeants du Vieux Continent. Pour contourner la limitation, il suffisait pourtant de présenter un passeport d’un des pays de l’Europe des Quinze. Pour ce faire, il y a trois moyens légaux: le mariage, la naturalisation administrative ou celle acquise suivant le prescrit d’une loi spéciale.

Convoler en justes noces, c’est toujours possible mais effectuer un mariage blanc ne l’est pas pour les personnages publics que sont les vedettes du foot. L’acquisition normale de la nationalité a un gros défaut: elle prend pas mal de temps. Restent les lois spéciales. En Italie, un accord de réciprocité avec l’Argentine, accorde la double nationalité automatique à quiconque peut prouver qu’il possède des ancêtres dans l’autre pays.

Un accord pratiquement similaire existe pour les Brésiliens et la nationalité portugaise. Des cabinets d’avocats, pas très regardants sur les moyens et les méthodes, se sont donc mis en quête d’ancêtres italiens de joueurs argentins.

Juan Veron (ex-Lazio et Man U) se retrouva un bisaïeul calabrais. Mais cet arrière grand-père ne résista pas aux investigations des services de l’état-civil italien. Des politiciens se mêlèrent de l’affaire et allèrent jusqu’à prétendre que la Lazio devait perdre tous les points gagnés avec l’aide du joueur. C’était trop gros: l’équipe romaine venait de fêter son titre. Le cas Veron fut donc résolu: les magistrats déclarèrent que tout était en… ordre et qu’il n’y avait pas eu de tricherie. Mais quelques semaines plus tard, l’Udinese revenait de Pologne et les -faux- passeports de plusieurs Brésiliens étaient saisis. Une vaste enquête partit du Frioul et fit notamment une halte à Milan où Alvaro Recoba s’était également inventé un aïeul italien. Le joueur uruguayen fut lui plus lourdement sanctionné: un an de suspension mondiale. Mais après appel, cette punition fut limitée à l’Italie. Recoba peut donc jouer avec l’équipe nationale uruguayenne mais, comme l’Inter ne tient pas à le vendre, il est considéré en Italie comme le chômeur le mieux payé du monde.

Quelle bonne foi?

Sans doute ne saura-t-on jamais avec exactitude ceux qui étaient de bonne foi et ceux qui ne l’étaient pas. Les managers appartenaient le plus souvent à la deuxième catégorie dans ces cas d’espèce. Et certains joueurs ou dirigeants de clubs manquèrent de la prudence la plus élémentaire comme ce fut le cas à St-Etienne. Ce club indiqua sur la feuille d’arbitre de la rencontre contre Toulouse la saison dernière, le joueur Levytsky comme Ukrainien au match aller et comme Grec au match retour. Idem pour Alex, Brésilien à Toulouse mais Portugais sur le terrain de St-Etienne. Le club fit ausculter les passeports des deux joueurs. Les deux premières analyses ne donnèrent rien mais la troisième (passage aux rayons ultra-violets et comparaison avec les documents volés dans l’espace Schengen) prouva qu’il s’agissait de faux. La Ligue française obligea les clubs à faire vérifier par les autorités idoines les passeports des 78 joueurs évoluant en D1 qui possédaient la double nationalité. Parmi ceux-ci, 23 Italiens dont quatre seulement étaient nés dans la Botte. On découvrit bien quelques nouvelles irrégularités mais pas vraiment de réseau organisé ni preuves de vaste trafic.

Tout au plus a-t-on constaté que plusieurs joueurs fautifs, dont Alex et Dida, avaient fait effectuer toutes les démarches par le même groupe de managers: la société d’intermédiaires Systema, de Rio. Les autorités ont également constaté que la Grèce était à la double nationalité ce que le Luxembourg et la Suisse sont au secret bancaire.

En France, l’affaire des faux passeports alla jusqu’au Conseil d’Etat. La décison de la plus haute juridiction républicaine évita que le chaos s’installe dans le foot professionnel français, sonnant par là même le glas du club de Toulouse.

Le bras long des dirigeants

Il est vrai que dans l’Hexagone, comme partout en Europe ou ailleurs, les dirigeants du monde du ballon rond ont le bras long. Ainsi, le Libérien Georges Weah, lorsqu’il évoluait au PSG, disposait-il d’un passeport français sans qu’aucune raison objective le justifie. C’était avant l’arrêt Bosman, certes, mais cela ne joue pas pour un Africain.

En faisant disposer Weah de la nationalité française, le PSG faisait coup double: il libérait une place dans le quota d’étrangers du club et apportait une énorme plus-value au joueur en cas de transfert.

Mais qu’a fait la police pendant tout ce temps? Elle a constaté et enregistré. Puis interdit l’entrée sur le territoire des fautifs. L’objectivité et le simple bon sens obligent à constater, comme l’ont fait les autorités, que les petites magouilles du monde du foot étaient relativement innocentes par rapport à ce qui se passe dans le monde de la prostitution et du trafic de mineurs. La commission d’enquête belge sur le commerce des êtres humains en a convenu tacitement.

Du côté des autorités footballistiques, il n’y eut de sévérité que de façade au début des affaires. Josef Blatter (FIFA) y est allé d’un discours toniturant après avoir reçu la commission d’enquête brésilienne qui investiguait Europe sur le trafic des jeunes sud-Américains: « Il faut que le football collabore étroitement avec le politique pour faire la clarté sur les faux passeports ».

La collaboration étroite a duré le temps du discours. La FIFA s’est fendue de quelques circulaires envoyées aux associations nationales. La troisième (circulaire 767 du 8 janvier 2001) demande aux fédérations concernées une certaine clémence vis-à-vis des fautifs. Les suspensions ne valent plus que dans les pays où l’irrégularité a été constatée.

Dida (ex-Milan AC) est ainsi autorisé à jouer partout, sauf en Italie. Les fédérations doivent octroyer à ces joueurs suspendus le certificat international de transfert.

La FIFA est anti-discriminations

Explications de Michel Zen Ruffinen, secrétaire général de la FIFA: « Cela permet d’éviter les discriminations car les fédérations nationales donnent des sanctions différentes ».

A l’heure actuelle, le débat fait rage à tous les niveaux concernant les quotas de limitation de joueurs non-communautaires qui existent encore dans pas mal de pays européens à tous les niveaux. Dans le monde du ballon rond, on serait plutôt partisan de moins de libéralisme.

« Une limitation du nombre d’étrangers ne pourrait qu’être profitable à la formation et à l’éclosion des jeunes joueurs britanniques », dit Gordon Taylor, président de l’association anglaise des joueurs et de la FIFPRO.

L’ancien coach national Kevin Keegan lui a emboîté le pas: « Le foot pro anglais comptait une trentaine d’étrangers en 1990. Ils sont plus de 400 aujourd’hui dont 160 en Premier League« .

Mais le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté est opposé à faire une exception pour le football car la Grande-Bretagne est un modèle d’intégration des populations qui viennent s’installer sur les Iles.

Bien que les Britanniques d’origine pakistanaise ou asiatique ne fréquentent pas les stades, pas question pour le premier ministre Tony Blair de limiter le nombre d’étrangers dans les équipes anglaises. Les autorités ont passé au peigne fin les 80 passeports de joueurs pros ayant une double nationalité, sans y trouver d’anomalies graves. Au delà du Channel, c’est le genre de chose avec laquelle ont ne badine pas.

L’Italie a franchi le pas et supprimé les quotas. La France devrait suivre. En Espagne, les joueurs y sont totalement opposés. Ils ont levé leurs boucliers lorsqu’un tribunal madrilène a estimé que le Russe Karpin devait être assimilé à un Ibérique. D’une manière générale, la justice en Europe a tendance à estimer que tous les joueurs évoluant dans un club européen avaient les mêmes droits, qu’ils soient nationaux, européens ou extra-communautaires. Le tribunal administratif de Nancy n’a rien fait d’autre en assimilant la basketteuse polonaise de Strasbourg Malaja à une Européenne des Quinze (il existe un traité entre l’UE et la Pologne). Les tribunaux italiens ont fait de même avec Shevchenko (AC Milan) ou le basketteur américain Sheppard. Si la FIFA avait laissé aller l’affaire Balog à son terme devant la Cour européenne de justice (elle préféra un accord à l’amiable à un deuxième camouflet à Luxembourg, cinq ans après l’arrêt Bosman), les juges auraient sans doute dit qu’il ne pouvait y avoir de discrimination sur base de leur nationalité entre les joueurs d’un même club européen, en l’occurrence le Sporting de Charleroi.

Le lobby de l’UEFA

Actuellement, l’UEFA fait du lobbying auprès de la communauté européenne, comme elle le fit avec un succès certain concernant la réforme des transferts, pour que le système des quotas soit réintégré.

A la règle du 3+2 succéderait le 6+5: toute équipe de club devrait aligner au minimum six joueurs susceptibles d’être sélectionnés dans l’équipe nationale de la fédération dont le club est membre. Mais là, l’exécutif européen semble camper sur des positions fermes. Viviane Reding, commissaire européen chargée de la Culture et du Sport, l’a dit clairement à Luxembourg en avril 2000 devant une cinquantaine de fédérations sportives européennes: « Il n’est pas question que la Commission change un iota à l’arrêt Bosman ».

Les autorités européennes ont déjà accepté l’exception sportive dans pas mal de domaines, comme la délocalisation (un club peut disputer ses rencontres à domicile à l’étranger) ou l’interdiction de la double propriété (Ajax et GBA ne peuvent disputer la même compétition européenne car le premier est propriétaire du second). Mais pour ce qui est des nationalités, on touche un point très sensible…

Guy Lassoie

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