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 » Je préfère mettre des coups qu’en prendre « 

Désormais titulaire indiscutable dans l’arrière-garde de l’Antwerp, Dino Arslanagic, 25 ans, revient sur son parcours. Entretien XXL, avec un peu d’Air Max Caméléon, de  » chiens de la casse  » et d’Afrique du Sud, ou même une amitié chèvre-éléphant.

Le regard glacial, le sourire enjôleur. Toute l’ambivalence de Dino Arslanagic se trouve dans ses mimiques, ses tics de langage.  » Je parle très bien français, mais je suis un peu vulgaire « , rigole celui qui a grandit du côté de Luignes, commune de Mouscron. Le grand pote de Maxime Lestienne, fait toutes ses classes au Futurosport, avant de rallier Lille, puis le Standard, en 2011. Il y connaît toutes les émotions : le presque titre de 2014, la coupe en 2016, le noyau C dans la foulée.  » Quatre mois à souffrir  » qui forgent un mec simple, avant tout.  » Cette année, j’étais en vacances à Las Vegas, c’était bien. Mais la prochaine fois, je pourrais aller dans un camping avec mes potes, à Argelès, pour rigoler. Par exemple, quand Anthony Knockaert vient me voir, on mange, on joue à la pétanque, tranquille.  »

Rednic m’a lancé au Standard, m’a relancé à Mouscron. C’est mon papa du foot.  » Dino Arslanagic

Ton père, Orhan, était volleyeur, comme celui de Thibaut Courtois. Ton destin n’était pas de t’installer dans les cages ?

DINO ARSLANAGIC : Mon destin, déjà, ce n’était pas le football. Mon père n’aimait pas trop l’idée que j’y joue. Je crois que son rêve, ça aurait été que j’aille aux États-Unis, à l’université, et que je joue au foot là-bas. En fait, pour lui, d’un côté, il y avait le volley et les gens plutôt classes dans les gradins. De l’autre, il y avait le foot et des fous en tribunes ( il rit). Du coup, j’ai fait basket, gymnastique, natation… Mais j’ai quand même pris une licence de foot, à six ans et demi, à Mouscron.

Il pense quoi de ton métier aujourd’hui ?

ARSLANAGIC : Il aime quand même bien le football. Il regarde mes matches, il vient voir, il est limite plus stressé que moi. Il est content pour moi. Tant que je suis heureux, c’est le principal pour lui. Et quand j’étais chez les jeunes, il m’a toujours rappelé que si je voulais arrêter le foot, ça serait dommage pour tous les efforts que mes parents ont fait.

BARAKI DE MOUSCRON

À Lille, tu suis des cours pour obtenir le baccalauréat scientifique, souvent présenté comme le plus compliqué en France…

ARSLANAGIC : Je l’ai pas eu ( rires). J’étais dans un internat avec trente jeunes, dans ma classe, on était quatre… Se concentrer, ce n’était pas simple… Je n’y ai pas non plus mis du mien. Je ne foutais rien. Je m’entraînais, je jouais. Je traînais avec mes potes, je jouais à la console, au billard, je regardais des films… Avec le recul, je me dis que j’aurais dû réussir mon bac pour mon père. C’était un peu la honte pour lui. Je ne me souviens plus de ses mots, mais il n’était pas content ( il sourit).

Deux de tes potes dans le milieu, Sambou Yatabaré et Nader Ghandri, te surnomment le  » baraki de Mouscron  » pour tes joggings, tes baskets, etc.

ARSLANAGIC : ( Il coupe) Ce sont des Parisiens… Je ne m’habille pas comme eux, je n’écoute pas la même musique qu’eux. Pour eux, j’écoute du rap un peu ringard, mais moi, j’aime bien me mettre un bon album de LIM, à l’ancienne. Ça les fait rire. Parfois, je viens avec un bob, un polo Lacoste, des Tn ( chaussures Nike, ndlr)… Pour moi, quand j’étais gosse, avoir ces pompes-là, c’était un truc de ouf. J’avais explosé mes Air Max Caméléon après quinze jours parce que j’avais joué au foot avec… Mon père voulait me déchirer ( rires). Tout ça, c’est peut-être démodé, mais moi, je m’en fous. Je suis bien comme je suis.

Tu revendiques ton identité mouscronnoise ?

ARSLANAGIC : Je me sens mouscronnois. J’y suis arrivé à cinq ans de Nivelles. J’ai fait toute ma jeunesse à Mouscron, j’ai joué au foot, j’étais à l’école là-bas. Quand j’étais petit, j’allais toujours à l’Excel. J’ai connu la grande époque et je suis un enfant de la ville. Si je ne peux pas dire que je suis mouscronnois, je ne sais pas ce que je suis.

Et puis, tu débarques à Liège, en 2011.

ARSLANAGIC : Pour moi, j’arrivais dans une grande ville. À Lille, j’étais à l’internat, donc je ne voyais pas grand-chose. Liège, c’était top. C’était une ville beaucoup plus vivante, avec beaucoup plus de choses à faire. J’habitais juste derrière l’Académie. J’allais à l’entraînement à pieds. Après, j’ai emménagé à Embourg, un peu plus loin. J’étais bien là-bas. J’emmenais mon chien, un Rhodesian ridgeback, à Tilff, juste à côté. Il s’appelle Temba.

 » Temba  » ?

ARSLANAGIC : ( Il rit) J’avais regardé un reportage animalier qui racontait l’amitié d’un éléphant et une chèvre. L’éléphant s’appelait Temba, j’ai trouvé ça beau.

PAPA REDNIC

Le 29 novembre 2012, tu fais tes débuts avec le Standard, lancé par Rednic. Après, tout s’enchaîne. Jusqu’à son licenciement. Tu peux revenir sur ce moment ?

ARSLANAGIC : Je suis dans le train avec Mpoku. Il me montre son téléphone :  » Rednic viré « . On était dégoûté parce que je pense que tout le monde l’aimait bien, surtout les jeunes. Il nous avait pris sous son aile, avec Michy ( Batshuayi, ndlr) aussi. J’étais triste parce que c’est lui qui m’a lancé. C’est encore lui qui m’a relancé, à Mouscron. C’est pour ça que je dis que c’est mon  » papa du foot « . Papa Rednic

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À l’époque, on te voyait aller assez loin. Rednic a même déclaré :  » Arslanagic deviendra un jour Diable Rouge « . Tout ça ne t’est pas monté à la tête ?

ARSLANAGIC : Non. La presse, je ne l’écoute plus. Un jour, tu es le roi. Le lendemain, tu es une merde. D’autant que Rednic ne m’aurait jamais dit ça en privé. Après mes débuts à Genk, on joue contre Waasland-Beveren. Tout le monde trouvait que j’avais bien joué, moi aussi. Rednic est venu me voir après un entraînement, il m’a descendu :  » Tu fais que des fautes  » ;  » Reconcentre-toi  » ;  » Tu crois que ça y est « , etc. Il reste toujours exigeant. Il est juste, c’est ce que j’aime avec lui.

Tu as besoin qu’on te rentre dedans ?

ARSLANAGIC : Peut-être. Après, je ne me prends pas pour une star. Ça, c’est sûr et certain. Je suis normal, point. Pour moi, il n’y a pas de joueur de foot, de chanteur, etc. On est tous pareil, chacun fait ce qu’il veut. Tu n’as pas le droit de prendre les gens de haut, tu n’es pas au-dessus des autres. Quand tu as fait un bon match, qu’on te le dit, tu es content, tu es flatté. Mais ce n’est pas pour autant que tu dois manquer de respect aux gens. Avant mon départ de Mouscron, on a dit que je trouvais que le niveau du groupe était mauvais. N’importe quoi. À l’époque, on n’était pas prêt, il n’y avait que cinq joueurs à avoir joué en D1 et oui, je l’ai dit. Mais jamais je ne me permettrais de dire que les autres n’ont pas le niveau.

NOYAU C

Fin décembre 2015, juste avant la réception de Mouscron, une embrouille à l’entraînement avec Yannick Ferrera t’écarte du groupe pour plusieurs semaines.

ARSLANAGIC : Il faisait froid, il y avait de la neige, mais Yannick voulait jouer. J’ai mis un petit pont dans le rectangle et ça ne lui a pas plu. Il s’est énervé, j’ai répondu et j’ai été sanctionné… Mais on a réglé ça. De mon côté, j’étais dégoûté, mais quand c’est de ta faute, tu fermes ta gueule. Yannick, quand je le croise, je suis content de le voir. Je l’aime bien et je pense que lui aussi ( il sourit).

Sous l’ère Jankovic, tu disputes 73 minutes, le 31 juillet 2016, à Westerlo. Après, plus rien…

ARSLANAGIC : ( Il répète) Plus rien… Après, j’ai vu que j’étais dans le noyau C. ( Il marque une pause) Je m’en souviendrai toujours. C’était au tableau : Yattara et moi, premiers notés. Il s’est passé ce qu’il s’est passé. Sauf que c’était la fin du mercato et j’ai perdu six mois. Avant ça, j’avais des offres et je voulais partir. Je voulais voir autre chose. J’étais bien au Standard, mais c’était un peu les montagnes russes. Je faisais quelques petites erreurs et j’avais l’impression que ça allait être un cercle vicieux. C’était une sale période. La pire de ma carrière. Ce n’est pas le fait de ne pas jouer, c’est le fait de ne pas être dans le groupe. Quand je suis parti, il y a eu un autre noyau C. Eux se changeaient dans un autre vestiaire. Moi, j’étais quand même dans le vestiaire avec l’équipe. Sauf que psychologiquement tu n’es plus là. Tu te mets tout seul dans ton coin. La semaine, tu t’entraînes, à part. Le week-end, tu ne regardes même pas la liste, tu pars. C’est un truc que je ne souhaite à personne.

Après quatre mois de placard, tu reviens à Mouscron, chez toi. Sauf que ce n’est pas l’Excel de ta jeunesse, c’est celui des transferts à la pelle et à la direction floue. Un gros risque ?

ARSLANAGIC : Il fallait que je me relance, que je trouve un truc stable. Il y avait Mouscron. Dernier, avec neuf points. On a connu plus stable. Le point positif, c’est que je connais la maison. Après, bien sûr, je me suis dit que je pouvais aller là-bas, faire des mauvais matches et couler. Heureusement, je me suis distingué.

VRAI JOUEUR DE FOOT

Tu es arrivé à la fois comme le sauveur et le gamin du cru, la caution hurlue du noyau. Tu n’a pas eu le sentiment de laisser un navire à la dérive ?

ARSLANAGIC : ( Direct) Les supporters n’ont pas été corrects avec moi. Ils ont dit que je les avais abandonnés. Quand je suis arrivé, je l’ai dit tout suite : je reviens parce que je dois me relancer et je vais essayer de sauver mon club de coeur. Tout le monde se satisfaisait de ce discours-là. Sauf que la direction savait très bien que je venais pour me relancer et partir après six mois, alors que j’avais signé pour un an et demi. À la base, ils voulaient me faire signer pour six mois, mais si je me blesse et que je suis libre après six mois, je fais quoi ? Je faisais attention à mes arrières.

Cette saison, tu as disputé l’intégralité des dix premières rencontres. Quel regard tu portes sur ton parcours jusqu’ici ?

ARSLANAGIC : Je me sens bien à Anvers. La ville est top. Je suis avec des bonnes personnes, on est bien entouré, les supporters sont incroyables. Les joueurs aiment bien dire ça, mais c’est vrai. Par rapport à mon parcours, j’aurais bien aimé faire comme mes potes et peut-être aller à l’étranger. J’ai toujours joué en Belgique. Mais j’ai 25 ans, j’ai le temps. Surtout, j’ai l’impression que maintenant, je suis devenu un vrai joueur de foot.

Dans quel sens ?

ARSLANAGIC : Je connais les vices ( voir cadre). On disait :  » Dino, il est sobre « , etc. Maintenant, je sais qui fait quoi. Mbaye Leye tombe, Hamdi Harbaoui met des petits coups. C’est comme ça, c’est le football. J’étais trop propre, je suis devenu plus méchant. J’ai aussi fait des erreurs, je ne travaillais pas assez, je me relâchais un peu trop. Je suis devenu beaucoup plus exigeant avec moi-même.

Dino Arslanagic :
Dino Arslanagic :  » J’étais trop propre, je suis devenu plus méchant. « © BELGAIMAGE

L’art de la guerre

On te connaît pour ton fort tempérament. Pourtant, à tes débuts, on te présente plutôt comme un défenseur classieux. Tu ne trouves pas que le football manque de joueurs crapuleux ?

DINO ARSLANAGIC : Aujourd’hui, c’est très difficile d’avoir du vice. Il y a des caméras partout. Pour moi, le  » chien de la casse  » par excellence, c’est Diego Costa. J’adorerais l’avoir dans mon équipe, un peu moins jouer contre lui. Il me saoulerait. Il met des coups, il s’arrache… Je préfère avoir des fainéants au marquage ( il sourit). Et je préfère mettre des coups qu’en prendre, normal. Mais je ne suis pas quelqu’un de vicieux, je cherche pas à  » casser  » des jambes. Par contre, si je vais au duel, j’y vais à fond.

C’est aussi pour ça que tes coéquipiers t’appellent  » le soldat « …

ARSLANAGIC : Si tu veux une équipe de gagnants, tu as besoin d’avoir des egos, donc des conflits. Je préfère que ça se rentre dedans à l’entraînement. S’il doit se passer quelque chose, je sais que je pourrai compter sur toi. Ce que je déteste, ce sont ceux qui font les fous juste devant l’entraîneur. Si tu as quelque chose à dire, ça se passe dans le vestiaire. Tu as pris un coup, tu te lèves. Le vestiaire, c’est pour les joueurs. Là, on s’explique. Moi, je ne suis pas un fou, mais je ne me laisse pas faire. Je peux m’énerver, je peux être correct. Je sais être gentil, je sais être méchant. Seulement, il y a des joueurs qui font les acteurs. C’est complètement faux. Ils font les hargneux, ils se lèvent, ils menacent l’arbitre… Mais c’est juste pour le show.

Ce vice, comment il se matérialise sur le terrain ?

ARSLANAGIC : Par exemple, je suis quelqu’un qui ne saute pas beaucoup. Quand l’attaquant arrive, je mets mon bras. C’est Igor de Camargo qui m’a appris ça. À l’entraînement, il me disait :  » quand je pars, tu me rentres dedans !  » L’attaquant est déstabilisé dans sa course, il perd du temps pour aller au ballon. C’est simple. À la fin, je le faisais contre lui et il devenait fou ( il rit).

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