Forcé de revenir
Le gardien emblématique du Sporting a retrouvé sa cage dans le Pays Noir.
Après avoir décroché l’estime nationale à défaut des honneurs et des récompenses, Bertrand Laquait avait quitté la compétition belge avec le sentiment du devoir accompli. La tête haute. A 29 ans, une promotion tardive venait offrir à sa carrière l’occasion de décoller. Recreativo Huelva n’était qu’un modeste promu espagnol mais au moins, il aurait l’occasion de toucher des doigts l’une des meilleures compétitions du monde. Le promu s’est presque avéré européen et Laquait a vécu une expérience enrichissante. Certes, il dut rester dans l’ombre du titulaire mais il eut quand même l’occasion de disputer 11 rencontres dans la peau du numéro un.
Un an plus tard, le voilà revenu à la case départ. Huelva n’ayant pas levé l’option et appartenant toujours à Charleroi, le Français (30 ans) a retrouvé nos contrées moins ensoleillées et sportivement moins performantes.
On ne pensait jamais vous revoir à Charleroi. Vous aviez même déclaré que vous n’étiez pas du genre à revenir d’un prêt…
Bertrand Laquait : Il a suffi que je dise cela pour que le contraire se passe.
Mais ce n’était quand même pas votre décision de revenir à Charleroi ?
Il faut être clair. A un moment donné, ce fut un choix forcé. Je voulais continuer l’aventure en Espagne pour plusieurs raisons : sportives et humaines.
Que s’est-il passé ?
Huelva avait une option sur mon transfert jusqu’au 1er mai. Le club voulait que je reste mais à des conditions financières différentes. Les Espagnols voulaient revoir à la baisse le montant à payer à Charleroi et mon salaire. Ils m’ont mis la pression pour que je m’arrange avec Charleroi. Mais j’estimais que ce n’était pas à moi d’effectuer ces démarches. On était dans une impasse. A la mi-mai, je fus titularisé à Séville et Huelva est revenu à la charge cette fois-ci selon le principe : – On donne plus à Charleroi, donc on te donnera moins. J’avais l’impression de payer mon propre transfert et j’ai refusé.
Huelva n’est jamais revenu sur sa décision ?
C’était difficile de dialoguer avec eux. Moi, je désirais simplement rester à Huelva aux mêmes conditions. Ils ont tenté de m’offrir une troisième année de contrat en essayant de rabaisser mon salaire. Je voulais bien cette troisième année mais il n’était pas question qu’on diminue le contrat établi un an plus tôt. Je n’étais pas parti à Huelva pour l’argent. Je l’ai toujours dit. Au niveau salaire, cela correspondait à ce que je touchais à Charleroi. Pas question donc de rabaisser un contrat qui n’était déjà pas mirobolant ! Il y a certainement assez d’argent dans le football espagnol… J’ai certains principes qui vont peut-être me coûter cher. J’aurais pu signer un contrat de trois ans et me contenter d’aller à la plage mais ce n’est pas mon style. J’avais envie de jouer.
Et quel fut le rôle de Charleroi ?
Charleroi s’est conduit très correctement. Les dirigeants carolos ont même laissé Huelva trouver une solution avec moi bien après la date du 1er mai.
A Huelva, vous pouviez devenir premier gardien ?
Le titulaire partait. Le club souhaitait me garder, surtout après ma bonne fin de saison. Mais il voulait raboter mon salaire afin d’attirer un autre gardien international sur une base locative. D’un côté, on me tenait un discours et de l’autre, j’apprenais que le club négociait avec un autre portier. On me disait tout le temps – Tu es gentil, tu es professionnel. C’est bien mais cela ne peut pas non plus me desservir.
Quelle est votre analyse sur votre expérience espagnole ?
Je suis très fier d’avoir réalisé ce parcours. Je n’ai peut-être totalisé que 11 titularisations mais ce furent 11 grands matches.
Ce fut donc enrichissant ?
Evidemment. Au niveau sportif, ce fut grandiose. C’est le haut niveau et il faut sans cesse fournir des efforts pour être compétitif. Il faut garder une concentration optimale aux entraînements et la préparation est poussée à l’extrême. L’alimentation est étudiée minutieusement. Tout est professionnel.
Vous n’avez pas reçu d’autres propositions ?
Plusieurs clubs espagnols sont venus aux nouvelles mais à partir du moment où ils apprenaient que j’appartenais toujours à un club, tout était bloqué. J’ai eu d’autres propositions, notamment d’un club français avec lequel tout était réglé. Ma situation dépendait du gardien en place. Mais il n’est pas parti.
» Il me manque peut-être de la fraîcheur mentale »
Revenir à Charleroi est-ce un échec ?
Non. J’estime avoir montré que j’avais ma place dans le championnat espagnol. Sur une année, j’ai évolué à un certain niveau et cela constitue un point de référence à mes yeux. Je distingue deux phases dans ma saison : la première, quand j’étais remplaçant et que je suis monté au jeu pour suppléer le gardien titulaire blessé. La deuxième, en fin de saison : j’ai dû ma titularisation une nouvelle fois à une blessure de Lopez Vallejo mais quand il fut rétabli, je suis resté numéro un. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’était en raison de la fin de saison : on jouait l’Europe. Nous n’avons pas fini en roue libre !
Si ce n’est pas un échec, c’est quand même un pas en arrière ?
Cela dépend comment on le prend. Je parlerais plutôt d’une autre expérience. Et cela sera peut-être la plus difficile de ma carrière.
La plus difficile ?
Oui, parce qu’on va me parler sans cesse de l’Espagne. On va attendre beaucoup de moi surtout que les dirigeants affirment que si j’avais été là la saison passée, le club aurait décroché le titre. Mais je l’accepte et je fais avec jusqu’à ce que cela se calme.
Comment allez-vous gérer ce statut de sauveur ?
A moi de prouver que je le suis. Je ne sais pas dire comment je presterai mais il y a une chose dont je suis sûr : je serai pro et je m’entraînerai comme il le faut. Et quand tu pars avec cette optique, tu as souvent peu de surprises.
A Charleroi, vous avez déjà tout vécu : comment ne pas tomber dans la routine ?
Quand on n’a pas le choix, on doit se fixer un objectif personnel. C’est ce que je fais. Il y a quand même un point positif à mon retour : je suis dans un club où je me sens bien et qui aujourd’hui me paie. Ce point est important. Je n’oublie pas qu’il y a cinq ou six ans, j’étais au chômage. Herpoel, vous croyez qu’il le vit bien ?
Comment évaluez-vous votre niveau actuel ?
Le plus dur, c’est le mental. Il faut que je me remette dans le bain et physiquement, c’est assez difficile d’enchaîner deux saisons et de passer de l’Espagne à la Belgique. Il me manque peut-être de la fraîcheur mentale. Je n’ai eu qu’une semaine de vacances. Cependant, je n’ai ni le désir ni le temps de me trouver des excuses. Ce qui me rassure, c’est que l’envie est présente. Je dois cependant me réhabituer au jeu belge. En Espagne, on travaille différemment. Tout est basé sur des situations de jeu. Je me suis par exemple découvert certaines potentialités comme l’explosivité.
C’est ce manque de fraîcheur mentale qui explique votre erreur à Westerlo ?
Commettre des fautes fait partie de notre métier. En plus, je vous donne le bâton pour me battre car j’avoue en avoir commise une. Je sais qu’une telle franchise va un jour se retourner contre moi mais j’assume. Cela ne sert à rien de fuir ses responsabilités : sur le but de Westerlo, je commets même deux erreurs. Il y a d’abord une mauvaise interprétation de la trajectoire du ballon et ensuite un mauvais geste. Au lieu d’ouvrir les mains, je ferme les poings. Mais je ne m’en fais pas : parfois, j’ai commis des erreurs et vous n’avez rien vu !
Vous avez affirmé que vous avez été convaincu de revenir quand Philippe Vande Walle succédait à Jacky Mathijssen…
Dans un premier temps, j’ai été déçu par le départ de Mathijssen mais le fait que Vande Walle reprenne le flambeau m’a réconforté car je le connais. Il a une mentalité de gagneur, de meneur d’hommes. On a discuté et je fus soulagé. Il désirait mon retour et c’était important pour moi de le savoir. Je suis convaincu que pour ce challenge le plus difficile de ma carrière, c’est la personne adéquate pour être à mes côtés.
Vous croyez en ses qualités ?
On ne doit même pas se poser la question. Il a gagné quatre matches, fait un nul et n’en a perdu qu’un. Pour lui, on doit se mettre minable.
Minable ?
Oui ( il se marre). C’est français. On doit se défoncer. Il a des idées et on doit y adhérer.
Quelles sont ses idées ?
Sa philosophie est simple : tout le monde est dans le même bateau. Il laisse de la liberté à chacun. Il donne confiance mais il est aussi très exigeant. On n’a pas le choix. Si lui ne réussit pas, c’est que nous aussi avons échoué.
» C’est le même groupe avec une ambition de plus en plus affinée »
Vous avez retrouvé ce groupe après un an. Qu’est ce qui a changé ?
C’est le même groupe avec une ambition de plus en plus affinée et de plus en difficile à gérer.
C’est-à-dire ?
Quand on vous fixe l’objectif d’être champion, ce n’est pas la même chose que de terminer 10e. Si vous voulez le titre, il faut d’entrée réaliser un 6 sur 6. Si on vise la 10e place, avec trois points, le groupe est déjà content.
Et finalement, vous n’en aviez qu’1 sur 6 ?
C’est vrai.
Le titre s’est-il déjà envolé ?
On va tout faire pour atteindre cet objectif mais…
Mais…
Moi, je me retrouve davantage dans la philosophie d’un Guy Roux. D’abord être sauvé avant la trêve et ensuite jouer le titre. Et je ne pense pas que Roux soit quelqu’un qui manque d’ambition. Clamer qu’on va être champion peut être dangereux. Le groupe est bon et bourré de qualités. Peut-être qu’on va finir premier mais si on réalise de mauvais résultats, on sera la risée du pays.
Ce groupe n’est pas assez compétitif ?
Je n’ai pas dit cela. Le groupe est meilleur parce qu’on a acquis de l’expérience, qu’on connaît le championnat belge et qu’on sait le gérer. Mais on sait aussi qu’on éprouve toujours certaines difficultés contre Roulers ou Westerlo.
La concrétisation fait défaut aussi…
Quand on dit qu’il nous manque un attaquant, je dis oui et non. Ceux qu’on a font leur boulot : ils courent, se procurent des occasions, travaillent et respectent les consignes. On ne peut pas leur en vouloir. Il faut prendre un attaquant qui a un style différent. Aujourd’hui, on dispose d’avants rapides qui ont besoin d’espace mais on n’a pas de pivot. Contre Westerlo, on a dominé sans se procurer d’occasions mais je le répète : les attaquants ne pouvaient rien faire car leurs qualités premières ne sont pas de s’exprimer dans une rencontre fermée. A partir du moment où ils n’ont plus d’espace, ils courent où ? Quand on analyse ce match, on peut se demander si on est suffisamment armé.
Ce pivot, vous l’aviez : Izzet Akgül…
Oui ( il soupire) mais nous ne l’avons plus.
On a l’impression depuis le début du championnat que ce sont les piliers qui ne sont pas à leur niveau ?
On ne peut pas faire des miracles pendant des années. On fera toujours des erreurs. On connaîtra toujours des moments plus délicats. L’essentiel, c’est de conserver la mentalité. Et là, on est dans le bon.
» Le calendrier était trop bon »
Le calendrier était idéal pour réaliser un bon départ…
Justement. Le calendrier était trop bon. Le manque de maturité a toujours constitué le défaut de Charleroi et le constituera toujours. Autant, nous avons toujours fait preuve d’humilité face aux grands, autant on a un certain complexe de supériorité face aux petits. Nous ne sommes jamais aussi bons que face aux ténors et jamais aussi faibles que face aux petites formations. On cherche à remédier à cela, mais parfois on réfléchit encore trop.
Que faut-il changer pour grandir ?
La vérité d’aujourd’hui, c’est qu’on ne bénéficie pas de structures dignes d’un club de D1. Nous sommes aussi très en retard au niveau du terrain d’entraînement. Aujourd’hui, je ne vais pas dire qu’il est bon, il est jouable. Mais qu’en sera-t-il en octobre ?
Le noyau peut-il se permettre de perdre l’un ou l’autre joueur en fin de mercato comme Fabien Camus ?
Non, mais vaut-il mieux garder un joueur qui souhaite partir ou le laisser s’épanouir dans un autre club ?
Vous plaidez votre propre cause ?
Non, non. On parlait de Camus. S’il reçoit une offre du PSG, je ne vais pas lui demander de rester !
Et vous ?
Moi, je n’ai pas la même valeur que Camus ( il rit).
Serez-vous encore à Charleroi en septembre ?
Je pars du principe que je finirai la saison à Charleroi. Mais il y a aussi longtemps que je ne fais plus de prévision. Si une bonne offre arrive, je l’étudierai.
Et en fin de saison, vous serez en fin de contrat…
Oui, mais je ne fais plus de prévision… La dernière fois que je me suis retrouvé en fin de contrat, à Nancy, cela s’est mal passé et ça trotte encore dans un coin de ma tête.
Vous aspirez quand même à partir ?
( Il réfléchit). Une carrière à la Frank Defays, cela aurait été mon rêve. Je trouve cela admirable de rester dans le même club, de pouvoir jouer près des siens, de sa famille. Tout cela en jouant à un haut niveau !
par stéphane vande velde – photo: reporters/ hamers
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici