» Duchâtelet a oublié que je l’ai sauvé »

Déchu malgré une réussite fracassante sur toute la ligne, l’ancien T1 du Standard a-t-il été torpillé par l’agent du nouvel entraîneur, très influent auprès du propriétaire de Sclessin ?

« Il s’installe toujours à la même table, vous serez tranquilles  » : Mircea Rednic a ses habitudes à la Capanina, pas loin de l’Académie Robert Louis-Dreyfus, à Boncelles. Vêtu d’un blouson de cuir noir, il arrive à l’heure prévue, 13 heures, précédant de peu son adjoint, Mihai Tea, qui a subi une petite intervention chirurgicale pour régler un souci de tachycardie. Le patron du restaurant veille aux destinées d’un petit club de la région, Cité Sport.

 » On m’a dit que c’est un bon président « , assène Rednic. Eclat de rire général. La serveuse accourt, certaine que c’est le moment de prendre la commande. Rednic a faim mais demande un peu de patience. Pour les calzones, les pizzas et un Sancerre de derrière les fagots, on verra plus tard, il y a d’abord le plat de consistance : le Standard.

 » Vous savez, après le 7-0 contre Gand, j’ai constaté, comme je le pressentais depuis un bout de temps, que mon sort était bel et bien scellé « , affirme Rednic.  » A la réception, en lieu et place de se réjouir suite à la qualification européenne, Roland Duchâtelet, qui ne savait manifestement pas où se mettre, m’a posé des questions à propos de la façon dont on prononçait Tucudean. Là, je me suis adressé à ma femme : – Tu as devant toi l’ancien entraîneur du Standard…  »

Quand avez-vous perçu que Duchâtelet vous lâchait ?

Mircea Rednic : J’ai l’habitude : en Roumanie, j’ai croisé quelques Duchâtelet. Des gens qui ont réussi dans les affaires et se permettent n’importe quoi, comme virer leur entraîneur pour un oui ou pour un non.. Mais l’argent n’autorise pas tout dans la vie. Duchâtelet possède un club en Hongrie, un autre en Belgique. Omnipotent, il se rapproche des Duchâtelet roumains. Je le connais un tant soit peu maintenant, et il ne changera plus. Je ne travaillerai plus jamais avec lui car il m’a manqué de respect, a négligé le travail de tout un staff et a ignoré le bonheur des supporters.

Personne ne vous a mis la puce à l’oreille en interne ?

Non, j’ai deviné moi-même que ça clochait. Ailleurs, de nouveaux coachs ont prolongé avant les PO1. Moi pas alors que mes résultats étaient indiscutables. Quand j’ai repris le Standard, il était 12e, plus proche des PO3 que des PO1. Quand la nouvelle est tombée, fâché, j’ai cru que Jean-François de Sart était au courant. Eh bien, non, pas du tout. J’en ai la certitude, il ne savait rien et a même dit, ensuite, au président qu’il commettait une lourde erreur.

Intéressant…

Vous savez, de Sart voulait que je reste et on a même préparé la prochaine reprise. Mais, lors d’une réunion de fin de saison, Duchâtelet a ergoté sur la montée au jeu de Cristea à Anderlecht. Après deux minutes, mon sang n’a fait qu’un tour et je me suis levé : – Au revoir président, au revoir Jean-François. Non mais qu’est-ce qu’il croit ? Dans les grands clubs, les actionnaires restent dans la tribune, font confiance au Directeur technique et au coach, à des spécialistes qui connaissent le football : s’ils n’atteignent pas leurs objectifs, au revoir et merci, c’est normal. Ici, on ne dit rien quand cela va bien, même pas au DT et puis byebye les amis. Ce n’est pas normal…

 » Je prônais l’individuelle alors que Duchâtelet voulait la zone  »

Duchâtelet s’est-il parfois mêlé de votre travail de coach ?

Non, mais il y a eu des disputes, même avant que je commence. Mais je vais d’abord vous faire une confidence : j’ai sauvé la peau de Duchâtelet. J’ai été recruté pour calmer la situation. Il fallait à tout prix engager un ancien joueur de la maison pour rasséréner le climat. S’il n’y avait pas eu crise, le Standard ne m’aurait pas contacté. Comme j’avais déjà été cité en été, il a été facile de me retrouver pour prendre la succession de Ron Jans. Mes résultats ont permis d’éteindre l’incendie. Avant de m’engager, Duchâtalet m’a parlé durant une heure de sa philosophie du football. Il voulait connaître mes idées. J’écoute toujours quand on parle du jeu mais j’ai quand même trouvé cela un peu bizarre. On s’est presque disputé durant une heure à propos de l’organisation défensive.

Ah bon, et qu’est-ce qu’il prônait ?

La zone. Moi, je préfère le marquage individuel. Un jour, après une erreur défensive à Lokeren, il m’a envoyé un sms : –Tu vois avec ton marquage. A Genk, pour mon premier match en tant que T1 du Standard, j’ai gardé la zone. Je ne pouvais pas tout changer en quelques jours. Mais, vu l’instabilité défensive, je me suis tourné vers le marquage individuel car les choses sont plus claires : en cas de carence, le fautif y est tout désigné, tandis qu’en zone, on peut toujours rejeter la responsabilité sur quelqu’un d’autre. Duchâtelet aurait préféré que je ne coache pas à Genk. Il voulait que j’observe l’équipe. J’ai refusé. J’avais signé mon contrat et c’était à moi de prendre mes responsabilités sur le terrain. J’habitais à Liège, je connaissais l’équipe, je savais qu’on remplacerait Jans et je l’ai observée avec encore plus d’attention durant un mois avant de signer.

A part le thème de la zone ou du marquage défensif, Duchâtelet avait-il d’autres idées sur le football ?

Je le voyais toujours en début de semaine avec Jean-François. Cà, c’est logique, il est le patron, paye le coach et a le droit de savoir comment cela se passe. Mais il m’envoyait aussi des mails, parfois des tartines. Comme il y avait beaucoup de travail, je n’avais pas le temps de lire tout cela. Je le lui ai dit : – Roland, si tu as quelque chose à me dire, téléphone-moi. Il est alors passé au SMS et puis à plus rien quand mon sort a été scellé. Voulait-il faire l’équipe ? Jouer au coach ? En tout cas, riche ou pas, avec moi, cela ne marche pas. Je suis toujours le patron de mon vestiaire, de mon équipe. D’autres ont essayé : à un moment, j’ai eu une fameuse discussion. Pourquoi ? Il sait pourquoi, cela reste entre lui et moi.

Ne dit-on pas que l’inspirateur de Duchâtelet est un agent de joueurs ?

Je ne sais pas : qui est-ce ?

Vous faites semblant : Dudu Dahan. Votre successeur, Guy Lizon, a déclaré à la presse israélienne qu’il est le seul agent au monde capable de lui dégotter un contrat au Standard. Est-il l’éminence sportive secrète du Standard et a-t-il eu votre tête ?

Non, je ne crois pas mais…

Mais ?

Je n’aime pas les agents. Je n’en ai pas, Roger Henrotay est un ami, pas mon manager. Certains d’entre eux gagnent beaucoup d’argent sans se fouler. Ils cassent tout : des joueurs, des entraîneurs, des clubs et même plus mais ce n’est pas à moi de le dire. Quand ils placent un coach dans un club, c’est plus facile, ensuite, pour y faire signer des joueurs de leur écurie. Je me suis disputé avec Dahan…

 » Il n’y a jamais eu le moindre contact avec Genk  »

A propos de ?

De Dudu Biton. Dahan a tenu à m’expliquer personnellement que Biton est un bon joueur et qu’il avait besoin d’une série de matches pour trouver ses marques. J’ai donné une chance à tout le monde et j’ai précisé à Dahan : – Tu veux que j’offre cinq matches à Biton ? Mais tu es fou, on va me virer si je fais cela. Ezekiel et Batshuayi étaient quand même nettement plus utiles, plus forts. Le public l’avait bien compris. Je ne doute pas des qualités de Biton. Mais changer de pays n’est pas facile. Certains ne s’adaptent pas à un autre football. Kaka était génial en Italie mais pas au Real Madrid. J’ai conseillé à Dahan de trouver un autre club pour Biton, histoire qu’il joue. Ce qu’il a fait : Biton a été prêté à Apoel Nicosie. Dahan est aussi l’agent de Gershon, de Buzaglo…

Buzaglo qui n’a pas beaucoup joué avec vous, non ?

Il a eu sa chance, d’autres aussi comme Astrit Ajdarevic. Le Suédois était trop gros et, à un moment donné, j’ai imposé des sanctions financières. Astrit passait sur la balance et payait sans problème. Il était mauvais pour l’ambiance : fuck ceci, fuck cela. Il y a une vérité, c’est le terrain : quand cela ne va pas, on se tait, on travaille en attendant sa chance.

Pourquoi votre nom a-t-il été cité à Genk en hiver ?

Mais je n’en sais rien. Il n’y a jamais rien eu avec Genk : je l’ai dit à Duchâtelet. Il n’y a rien eu, rien du tout. Mon ami Roger Henrotay a commenté, m’a-t-il dit, une rumeur venue de Genk et c’est ainsi que tout est parti dans la Gazette des Sports. Après coup, je n’ai plus parlé à Henrotay durant un mois.

Quel objectif Duchâtelet vous avait-il demandé ?

Une place dans les PO1. Une prime était prévue dans mon contrat. Non, on n’a pas parlé de l’Europe. J’ai retroussé mes manches avec le staff, Peter Balette que je remercie, Carlos Rodriguez…

L’équipe était-elle au point physiquement ?

Oui, non.

Qu’est-ce que cela veut dire… oui, non ?

Le physique n’était pas au centre du débat. L’occupation du terrain, oui. Le préparateur physique n’était pas sur la même longueur d’onde que Jans, m’a-t-il dit. En Belgique, c’est spécial : les équipes vont au charbon, le deuxième ballon est important, la reconversion offensive très rapide. On attaque et on défend à 11, le gardien doit être à la limite du grand rectangle quand son équipe attaque. Les avants doivent être les premiers défenseurs. Or, après une attaque, certains se repliaient sur un rythme de promenade. J’ai opté pour le 4-4-2, le meilleur moyen, au vu de nos qualités, de fonctionner en bloc. Nous avons progressivement amélioré notre niveau physique. C’était un travail délicat. Comme le Standard revenait de loin, il aurait été dangereux de forcer et de tout détruire. Nous y avons été progressivement avec l’ambition d’être au top lors des PO1. Tout est quand même plus facile quand la préparation d’été est bonne.

Le secret du Standard, c’était l’espace ?

Oui, évidemment. Je me suis rendu compte que l’équipe n’avait pas les moyens de diriger le jeu : on a laissé cela aux autres, surtout durant les PO1. Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur le duo offensif le plus complémentaire de D1. J’ai tout de suite cru en Batshuayi. Quand je lui ai dit qu’il jouait à Genk, à l’occasion de mon premier match, il n’en a pas cru ses yeux. Je lui ai toujours parlé à ma façon. Il est sensible, encore ado : alors, si on le gronde trop durement, il se replie sur lui, presque comme un grand enfant. A l’entraînement, quand il expédiait un ballon au-dessus de la cage, je lui disais parfois : – C’est pas mal mais, la prochaine fois, essaie de tirer plus haut. Tu arriveras, j’en suis sûr.

 » Imoh et Michy sont trop forts  »

Quel talent…

Michy c’est de la classe à revendre, comme Imoh. Michy garde le ballon, décroche pour trouver des relais avec les médians. Imoh plonge en profondeur comme personne. Ce sont des jeunes qui doivent améliorer leur finition. Il m’est arrivé de les garder sur le banc en cas de fatigue et quand ils planaient. L’agent d’Imoh ne m’a jamais critiqué, au contraire : – Cela lui fera du bien. J’ai songé à utiliser une tour offensive, surtout en déplacement, avec Imoh ou Michy tournant autour de lui. Mais il n’y a rien à faire : Imoh et Michy sont trop forts, trop complémentaires à deux. Quand on a ces deux-là sous la main, il n’y a pas photo avec une autre formule. S’ils sont bien entourés, ils joueront dans de grands clubs européens.

Comme Vainqueur ?

William peut jouer en Angleterre ou en Allemagne. Pour moi, Vainqueur est un nouveau Claude Makelele qui nettoie les ballons, ratisse, va au duel. Il a progressé et ce n’est pas fini. Il choisit de mieux en mieux les bons moments pour mettre le nez à la fenêtre et percuter à distance. Duchâtelet ne m’a pas respecté mais il n’a pas respecté Vainqueur non plus. En PO1, j’ai eu deux groupes dans mon effectif : ceux qui ont prolongé leur bail ou obtenu des améliorations de contrat et les autres, comme William, qui attendaient un geste. Il méritait plus de considération et cette différence dans le traitement des dossiers a compliqué ma tâche durant les PO1. On ne peut pas parler de William sans citer Yoni Buyens. Il ne détient peut-être pas la grande classe mais je n’ai jamais rencontré un joueur aussi discipliné que lui. Yoni met tout de suite en pratique ce qu’on attend de lui : il est tout simplement indispensable.

Les renforts du mercato d’hiver ont été discutés…

Je sais, c’est normal. J’ai estimé qu’il nous manquait du métier, des solutions de réserve et un pivot offensif pour atteindre les PO1. Il y a eu une première liste avec Maxime et Kapetanos entre autres. La cellule scouting du Standard a étudié tout cela avec attention. L’âge a joué. Le prix et le refus d’une location de certains Roumains aussi. Il y a eu une deuxième liste que j’ai proposée à Duchâtelet après discussion avec de Sart. Je voulais une doublure pour Jelle Van Damme au back gauche suite au départ de Sébastien Pocognoli. Diabate, Cristea et Tucudean ont signé après que Duchâtelet m’eut annoncé la venue de deux Japonais que je ne connaissais pas.

Cristea a échoué sur toute la ligne, non ?

Tout à fait, il m’a déçu. J’espérais qu’il anime le jeu, lance nos flèches. Il le faisait bien en Roumanie. Après une longue interruption hivernale, il n’a pas su s’adapter en Belgique.

J’ai une question délicate…

Je la connais…

Ah, oui ?

Est-ce que j’ai pris des commissions sur la venue des Roumains ? J’ai lu cela dans Sport Foot Magazine. Je sais qui a lancé cette rumeur.

Qui ?

Dudu Dahan. Combien d’argent a-t-il touché, lui, au Standard ? Et dire qu’on l’écoute encore après tant d’échecs. Il n’y a pas eu de manager pour Tucudean. Le Standard a payé 800.000 euros au club de Tucudean et 200.000 euros de bonus pour la qualification européenne. Cristea et Diabate ont été loués. Ici, pas de managers non plus, les clubs ont réglé cela entre eux. Diabate avait un contrat de jeune joueur. Par la suite, j’ai viré moi-même Cristea. Alors, cette fameuse rumeur d’agent et d’argent, je m’en fous. Je n’hésite d’ailleurs pas à avouer que j’ai perdu de l’argent en quittant mon ancien club pour le Standard.

 » Duchâtelet me demandait sans cesse – Ils vont jouer mes Japonais ?  »

Avez-vous un regret ?

Oui : à Anderlecht, en P01, je n’aurais pas dû aligner Van Damme et Buyens qui relevaient de blessure. Je leur ai posé la question de confiance. Leur réponse a été positive. Jelle est indispensable. Mais comme il n’était pas à 100 %, je l’ai placé dans la ligne médiane, pas au back gauche ou à l’arrière central pour remplacer Kanu, suspendu. Cela m’a amené à placer Mpoku derrière Michy. A la mi-temps, j’aurais dû reformer le duo Michy-Imoh en pointe avec Mpoku à gauche. Puis, j’ai lancé Cristea dans l’espoir de voir une inspiration technique : j’attends toujours.

Ce que Duchâtelet vous a reproché…

Incroyable, non ? Un détail de mon travail constitue un prétexte plus important que tout le reste. Il veut tout faire. Duchâtelet me parlait sans cesse de ses attaquants nippons : – Ils vont jouer mes Japonais ? Il n’a jamais dit  » mes joueurs « . Ses Japonais, j’ai dû leur apprendre à défendre. J’assume tout : mes erreurs mais aussi le redressement, les P01, l’Europe. J’ai été viré du poste de coach, pas du coeur des supporters. C’est comme ma famille. Le Standard que j’ai été fier de servir, c’est eux. J’ai été très touché par leurs messages de sympathie. Pour l’avenir, j’ai des propositions que je dois étudier. ?

PAR PIERRE BILIC

 » Je ne travaillerai plus jamais avec Roland Duchâtelet.  »

 » J’ai été viré du poste de coach, pas du coeur des supporters. « 

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