Doubles Scotch
Glasgow on the rocks: le foot pur malt des Diables Rouges a donné la tête de bois aux Ecossais.
Hampden Park: c’est désormais le titre d’un roman de nonante minutes avec un début de récit en fanfare, des événements qui pimentent les premiers chapitres -du but écossais dès la deuxième minute de jeu à un corner imaginaire suivi d’un hands, un penalty, la carte rouge, l’exclusion d’ Eric Deflandre et le deuxième but de Billy Dodds-, la réaction belge en deuxième mi-temps marquée par le but de Marc Wilmots et l’égalisation de Daniel Van Buyten.
Au repos, plus personne n’aurait parié un penny sur les chances des Diables Rouges d’arracher un bon point dans l’enfer écossais. Si cela devint réalité, c’est en raison d’un état d’esprit forgé et entretenu tout au long de la préparation de cette expédition aux Iles. Chaque thème fut abordé sur le chemin de Glasgow avec, samedi passé, des réponses importantes et intéressantes pour l’avenir.
LUNDI
La défense est au centre de tous les débats. L’absence d’ Eric Van Meir, blessé lors de Genk-Lierse, a incité Robert Waseige à faire appel aux services de Glen De Boeck. Le tout est de voir si l’Anderlechtois et Joos Valgaeren trouveront leurs marques. Un plus pour eux: ils ont joué de concert sous le maillot de Malines, mais Valgaeren était alors le plus souvent aligné dans un rôle de demi défensif. L’absence d’Eric Van Meir prive les Diables Rouges d’une force de frappe, de sa grande taille toujours si intéressante dans le rectangle adverse, de ses coups francs et de ses transversales et passes en profondeur si utiles quand on a Emile Mpenza dans son camp.
* La réponse de Glasgow: Le secteur défensif belge entame le match par une erreur collective: flanc gauche distrait, Billy Dodds passe devant Joos Valgaeren afin d’ouvrir la marque. De Boeck et Valgaeren ne trouvent pas leurs marques avant un quart d’heure. On craint le pire avant qu’ils n’entrent vraiment dans le match et se remettent de de ce knock-out.
Exclusion d’Eric Deflandre après 27 minutes de jeu. « Il n’y avait pas corner sur la phase précédente », affirme le back droit de Lyon. « J’étais replié sur la ligne sur le coup de coin et je me suis protégé des coudes sur la tête de Barry Ferguson. Je n’ai pas eu le temps de les écarter. L’arbitre a estimé que c’était un penalty, c’était son droit, mais j’estime qu’une carte jaune était suffisante car il n’y avait pas de geste vers le ballon ».
L’arbitrage de Kim Milton Nielsen (Danemark) laissa à désirer. Deflandre est un spécialiste des ballons repoussés sur la ligne. Il en dégagea deux face à la Hollande lors de la Coupe du Monde en France, un contre la Grèce, un autre face à la Croatie, et maintenant un en Ecosse. « Si nous avons arraché un point, c’est grâce à notre esprit de corps », lance-t-il. « Dans notre vestiaire, j’ai dansé sur la table après l’égalisation ».
A dix contre onze, Robert Waseige fit d’abord reculer Marc Hendrikx au back droit avant d’en venir à un 3-4-2 en deuxième mi-temps avec Marc Wilmots sur le flanc droit. « Je prétends que le 4-4-2 colle bien aux réalités de mon groupe mais nous avons joué à trois derrière après le repos et cela a été intéressant pour l’avenir », dit le fédéral. « Il y a eu des constats importants. Nous pouvons également jouer de la sorte ».
Il fut question de « surconcentration » de l’axe central, qui oublia de se relaxer un peu en étant obnubilé par ses obligations individuelles. Probable. Si Glen De Boeck se chercha en première mi-temps, il se reprit après la pause. Mais Robert Waseige avait raison de signaler la nervosité de Joos Valgaeren. Etait-ce dû au fait de jouer en Ecosse, le pays de son club, le Celtic de Glasgow? Très sportif, il précisa après le choc: « Je n’aurais jamais dû être surpris par Billy Dodds lors du premier but. Je le connais et je lui ai permis de passer devant moi. Je ne me sentais pas bien en phase avec le match. Ce n’est pas dû à toute l’attention des médias écossais à mon égard. Mon remplacement était tout à fait logique car il fallait tenter quelque chose et, de plus, ce fut couronné de succès ».
Notons l’excellent match de Geert De Vlieger, qui sauva une balle de 3-0 devant Barry Ferguson.
MARDI
Au fil de la semaine, Robert Waseige opte tout doucement pour un duo offensif formé par Emile Mpenza et Marc Wilmots. Mais le sélectionneur souligne régulièrement que le grand Bob Peeters peut lui rendre des services. Dès mardi, Peeters se doute que Waseige l’utilisera comme joker.
* La réponse de Glasgow: Peeters change toute la donne en montant au jeu (Marc Hendrikx se retire), se plaçant en pivot devant tandis que Marc Wilmots est déplacé sur la droite et joue la meilleure deuxième mi-temps de sa carrière de Diable Rouge.
« Bob Peeters a répété sur le terrain tout ce que je savais à son propos », insiste Waseige. « Je crois avoir bien dit en semaine que ce joueur n’est pas qu’une tour car il sait garder une balle et être un remarquable relais ». La preuve sur le but de Wilmots: une feinte et un centre parfait. Par rapport à lui, Emile a une fois de plus gaspillé quelques cartouches. Waseige a désormais du choix devant: Emile, Bob, Marc, Branko, etc.
Peeters a en tout cas marqué des points importants et on n’imagine plus les Diables Rouges sans lui: « Le principal est d’avoir obtenu un point après un début de rencontre épouvantable », explique-t-il. « J’ai envie de prendre part à la phase finale de la Coupe du Monde et cela passait par un truc à Glasgow. Je sais qu’on a souvent douté de moi: c’est ma réponse. Je suis heureux de poser des problèmes positifs à notre coach national ».
MERCREDI
A Bruxelles, il est beaucoup question de choix tactiques et de précautions à prendre. Le 4-4-2 de Robert Waseige est-il un peu trop académique? Va-t-il surprendre son adversaire écossais en optant pour son schéma traditionnel?
* La réponse de Glasgow: Waseige n’est pas marié à vie avec le 4-4-2 et il gère toutes les évolutions du match de main de maître. C’est un Robert Waseige au sommet de son art qu’on voit à Glasgow. Certains doutent de temps en temps de sa vision du jeu. On revient sans cesse sur cette défaite du Standard à Anderlecht (qui joua à dix après l’exclusion de Filip De Wilde), il y a quelques années. Pour d’aucuns, la défaite priva les Rouches du titre. Puis, on lui a reproché de ne pas avoir su calmer les Diables Rouges dans leurs élans contre la Turquie lors de l’EURO 2000: un nul suffisait et l’équipe belge s’exposa à des contres en jouant pied au plancher.
A Glasgow, tous les changements de Waseige sont des coups gagnants.
Un journaliste croate, Zdravko Reic ( Sportske Novostni), est sous le charme de la gestion tactique de Waseige: « Pour la Croatie, qui a pris la mesure de la Lettonie samedi (4-1), c’est le résultat idéal. Nous sommes bel et bien à trois pour décrocher la première place de ce groupe qualificatif. J’ai été épaté par la deuxième mi-temps de votre équipe nationale. L’égalisation était méritée. A 2-0 au repos, Robert Waseige a tout revu de fond en comble: trois arrières en individuelle, quatre médians et deux attaquants. Il fallait le faire. Waseige a utilisé tout son potentiel alors que ce ne fut pas le cas du coach écossais: Craig Brown n’a pas assez renouvelé ses troupes. Il n’a pas prévenu le manque de fraîcheur de ses joueurs. Waseige a parfaitement géré ce paramètre. En 3-4-2, la Belgique a dominé les débats à dix contre onze. Dominer et égaliser en jouant en infériorité numérique durant une heure, il faut le faire. Cela démontre la qualité de tout un état d’esprit vraiment hyper-positif.
Pour moi, Marc Wilmots a été le meilleur homme sur le terrain. Il a été phénoménal. Mais je retiens aussi l’apport de Bob Peeters, qui a bien calmé la circulation du ballon. Je ne savais pas que ce joueur était aussi fort balle au pied. Enfin, il y a Daniel Van Buyten, dont Tomislav Ivic m’avait déjà parlé. Un géant qui deviendra certainement un grand défenseur européen. Ivic a raison et il m’a rappelé que Waseige l’avait lancé en D1, à Charleroi. Son but de la tête était splendide ».
JEUDI
Marc Wilmots ne joue pas beaucoup pour le moment aux Girondins de Bordeaux. Elie Baup fait tourner le noyau mais le Belge digère mal ce fait. Il milite le plus souvent à droite, rend service au groupe qui a des problèmes dans ce secteur. La direction est contente de lui et ne veut pas entendre parler de transfert. Mais Wilmots se contentera-t-il longtemps de ce statut? Pas sûr, même s’il a retapé une maison pas loin du Haillan, le centre d’entraînement de Bordeaux. On se demande si sa condition physique lui permettra d’être à la hauteur de la bataille de Glasgow.
Il rétorque: « J’ai eu mal au dos en début de semaine, mais il n’y a plus de problème. Et, de toute façon, même s’il faut mille piqûres, je jouerai à Glasgow. J’ai envie de m’éclater dans ce match, ce défi me convient ».
* La réponse de Glasgow: Wilmots signe une deuxième mi-temps de très grande classe. A sa façon: en force, avec tout son coeur, poussé par un mental inouï, etc. Il égalise sur un service de Bob Peeters, tente de boucher son secteur, à droite, monte à l’assaut, dribble, presse, court, sert ses équipiers: un lion… Epuisé, mais tellement heureux, il confie après le match: « Ce point sera important en fin de course. Il y en a qui diront que nous aurions pu gagner. Oui mais il y a ce début de match plus que malheureux. La Belgique a dû courir après les événements et nous avons réussi à redresser le tir. Nous n’avons pas du tout perdu deux points, nous en avons gagné un. Prétendre le contraire, c’est ignorer le film, la vie du match. Au repos, Robert Waseige nous a bien expliqué que le coup était encore jouable. Le groupe n’en a pas douté. Il y avait harmonie dans nos ambitions.
Nous ne devons rien à personne. C’était fort comme émotion et cela récompense tout ce groupe où l’ambiance est formidablement saine. Je rentre à Bordeaux le coeur en fête. Cela me fait du bien. Le Japon et la Corée, cela m’intéresse évidemment. Après, je prendrai du recul par rapport aux Diables Rouges. J’aurai assez donné mentalement et physiquement. Je dois aussi régler mes problèmes bordelais. Tout est clair: il n’y a pas de place là pour moi en tant que médian offensif. Dès lors, je dois partir ou prendre deux ans de congé. Ecosse-Belgique sera bien sûr un argument de discussion. Je rends toujours service, c’est dans ma nature.
Maintenant, il ne faut pas réduire le débat et dire qu’on joue mieux avec Bob Peeters ou Daniel Van Buyten. C’est tout le groupe qui a participé à l’aventure. Et l’apport de ces deux gaillards a été remarquable. Ils enrichissent l’équipe nationale: nous pouvons varier notre style de jeu. Nous avons dominé l’Ecosse dans la circulation de la balle, on s’y attendait, mais aussi dans le trafic aérien, leur spécialité. Nos deux buts ont été signés de la tête alors qu’ils ont des tours derrière ».
VENDREDI
Lors du dîner de presse, à l’hôtel Grosvernor de Glasgow, le président fédéral souligne le rôle social que l’Union Belge assume depuis toujours. Utile en ces temps où on parle tant d’esclavagisme dans les milieux du football. Michel D’Hooghe affirme qu’il respecte la loi, et des mesures seront prises afin de protéger le foot. Alain Courtois a une idée pour lutter contre les managers louches. Tous ne sont pas à indiquer du doigt, loin de là, mais le football et l’Union Belge font partie de notre patrimoine.
En élévant le débat au-dessus des aspects financiers, Alain Courtois espère introduire la notion morale devant les tribunaux. Il suffit d’un exemple d’agent de joueurs condamné pour comportement immoral afin que cela fasse jurisprudence.
A Hampden Park, tout le monde assiste à l’entraînement des Diables Rouges. Beau stade. Michel D’Hooghe met la pression: « Il n’y a pas de secret. Pour aller à la Coupe du Monde, il faut réussir un exploit chez un de nos adversaires directs. Il serait intéressant de prendre un point aux Ecossais ». En soirée, les Espoirs battent l’Ecosse à Dumferline: 0-1, but de Theunis après deux minutes de jeu.
* La réponse de Glasgow: Mentalement, les Belges résistent finalement à la pression et égalisent en fin de match. Michel D’Hooghe est tout à fait ravi : « Une sixième participation consécutive à la phase finale de la Coupe du Monde exigeait un tel comportement. Ils ont tous fait preuve d’une grande bravoure alors que la donne s’était corsée en début de match. Quand on renverse ainsi le cours d’un match, c’est que le mental est à la hauteur du défi. Les joueurs ont voulu ce point et ils ont été le chercher au bout du match. Ce succès, car c’est bien de cela qu’il faut parler, leur appartient. Je les remercie et je félicite Robert Waseige, dont tous les changements tactiques ont été couronnés de succès. C’est formidable. Le plus grand mérite en revient à Robert Waseige ».
SAMEDI
Il pleuvine à Glasgow, ville triste, grise, mais peuplée de gens serviables et gentils. Avant le match, les journalistes sont conviés à un bon buffet dans la salle de presse. On ne voit jamais ça au Stade Roi Baudouin. Le ton monte vers 14 heures, le stade est bien rempli, des supporters en kilt envahissent les lieux.
Certains ont une petite bouteille de whisky à portée de la main: il fait froid. Hymmes nationaux, débuts en fanfare, au son de la cornemuse, 1-0, corner, penalty, exclusion d’Eric Deflandre, 2-0. Une deuxième mi-temps de haut vol des Diables Rouges, 2-1 par Marc Wilmots, une somptueuse égalisation de Daniel Van Buyten.
* Les réponses de Glasgow: Les Diables Rouges ont peut-être évacué les mauvais souvenirs de Belgique-Turquie, exorcisé les démons de ce match de l’EURO 2000 en jouant, quelque part, de la même manière, c’est-à-dire en misant sur leur force de travail. Mais cette fois, il y a quelque chose en plus: la jugeote et encore plus de rage de vaincre alors que la messe était presque dite. On en parle peu, mais en Ecosse, il n’y avait que cinq éléments ayant pris part à la Coupe du Monde, il y a moins de trois ans. Waseige est connu comme étant un conservateur mais il a fameusement fait baisser la moyenne d’âge. Il est vrai que l’équipe nationale était une des phalanges les plus âgées en France. Et la jeunesse a été utile à Glasgow.
Robert Waseige était très calme après cette fin de match épique: « Je sais que certains referont le match en se demandant si Bob Peeters n’aurait pas dû commencer. C’est très facile à dire après. Lors de la conférence de presse de vendredi, j’ai clairement dit que je pouvais compter sur lui et qu’il était tout à fait capable de changer le déroulement d’un match. Peeters est désormais bien plus qu’une tour. En Hollande, il a appris à garder la balle, à servir les autres, à faire la différence. C’est ce qui s’est passé à Glasgow. Son centre victorieux sur la tête de Marc Wilmots nous a relancés. En début de match, nous avons hélas été surpris par une attaque écossaise. Le flanc gauche a été roulé dans la farine et j’explique cela par trop de concentration. On se soucie trop de tout ce qu’on avait dit et répété: certains étaient obnubilés par leurs obligations personnelles alors que, justement, cela aurait dû les fortifier dans leurs certitudes. Joos Valgaeren n’a jamais été aussi nerveux en équipe nationale.
Au repos, le 3-4-2 s’imposait et j’ai retenu le potentiel tactique de notre défense. Si Daniel Van Buyten est monté au jeu, c’était pour secouer l’adversaire. Daniel est un guerrier. Il a aidé sa défense, est revenu, et quand un adversaire sent le souffle d’un tel gaillard dans son dos, cela le perturbe. Offensivement, je lui avais demandé de monter le plus souvent possible. Et sa détente fut parfaite sur le centre de Sven Vermant. C’est mérité mais on dira, je le sais, que nous pouvions gagner ce match. En Belgique, certains ne sont jamais contents. Ils croient que la Belgique est le Brésil et peut gagner sans problème à Glasgow. Je préfère songer à la qualité de notre deuxième mi-temps. L’équipe s’est enrichie d’une expérience positive à tous points de vue. C’est la force de notre mental qui nous a permis d’égaliser à dix contre onze. Cette force de caractère n’est pas tombée du ciel. Cet atout belge est un des fruits du travail de tout le staff technique. Nous sommes à mi-parcours mais tout reste à faire. Ainsi, je m’attends à une Ecosse très difficile à manoeuvrer chez nous. C’est le genre d’équipe qui voyage bien ».
A Glasgow, Daniel Van Buyten était évidemment heureux et très entouré par toute la presse. Son but faisait penser à celui de Georges Grün, en test-match face à la Hollande en 1985 à Rotterdam: il émergea de la tête en fin de rencontre pour nous propulser au Mexique. Van Buyten s’en souvient car il l’a vu à la télévision: il avait sept ans et rêvait d’en faire autant un jour. Son premier but en équipe nationale est déjà historique: c’était sa façon de remercier Robert Waseige, qui l’a lancé à Charleroi et en équipe nationale.
Pierre Bilic, envoyé spécial à Glasgow
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