« Constant m’a dit: -Manneke, trouve-toi un pitbull »
Il est manager général d’Anderlecht depuis 2003. Retour sur ses coups fumants, ses moments délicats, ses amis, ses amours et tout le reste !
« Ma vie a changé sérieusement. Quand je travaillais à Molenbeek puis au Lierse, je pouvais oublier le football dès que je rentrais à la maison. Je savais scinder boulot et vie privée. Le jour où j’ai signé à Anderlecht, Roger Vanden Stock m’a dit : -Ça va changer ta vie. »
Le 15 juin, il y aura 10 ans que Herman Van Holsbeeck est le patron au quotidien d’Anderlecht, son manager général. Il confirme que sa vie journalière n’est plus la même. » En rentrant après ma signature, j’ai dit à ma femme : -Je ne vois pas pourquoi ce serait subitement différent. Molenbeek, le Lierse ou Anderlecht, c’est le même job. Oui, c’est la même chose mais en dix fois plus grand ici. Le jour où je suis arrivé, il y avait plein de caméras.
Elles voulaient immortaliser le passage de témoin entre Michel Verschueren et Herman Van Holsbeeck. Des journalistes m’ont directement demandé en quoi j’allais être différent de Mister Michel. Et j’ai vite compris que tout ce que je ferais à Anderlecht, surtout le mauvais, se retrouverait en grand dans tous les journaux. Pendant six mois, je l’ai joué très low profile. J’ai observé, écouté, analysé. J’ai essayé de comprendre le club et son fonctionnement. Je me suis demandé comment j’allais devoir m’y prendre pour tracer mon chemin. Et en janvier 2004, je suis officiellement devenu manager général. »
Ce n’était pas la première fois qu’Anderlecht essayait de vous attirer.
Herman Van Holsbeeck : Non, Philippe Collin m’avait déjà fait une proposition après le départ d’Alain Courtois. J’avais étudié la description de la fonction et la collaboration avec Michel Verschueren mais ça ne me paraissait pas clair, alors j’avais refusé. Je ne m’y retrouvais pas. Et donc, j’étais resté au Lierse. Quelques mois plus tard, Anderlecht est revenu à la charge. On m’a de nouveau exposé un projet, on m’a dit que j’aurais six mois pour étudier le club et qu’à partir de janvier, ce serait à moi de jouer. C’était déjà plus clair. Le président du Lierse a bien compris, il m’a dit lui-même que je ne recevrais pas une troisième fois une proposition pareille. Si j’avais encore refusé, je l’aurais regretté toute ma vie.
Paul Courant et Alain Courtois s’étaient cassé les dents à Anderlecht : vous preniez un risque !
Je suis un bagarreur… Les gens d’Anderlecht le savaient. J’essaie de bien m’entendre avec tout le monde, mais quand il le faut, ce côté bagarreur prend le dessus. Quand je mords quelque chose, je ne lâche pas. J’étais conscient que la succession de Michel Verschueren était un défi gigantesque. Il avait été manager de ce club pendant près de 25 ans, il l’avait fait grandir, il avait un palmarès fantastique, il était incroyablement médiatique et populaire. Je savais que si ça se passait mal, on allait vite faire des comparaisons. Demandez à Marc Degryse ce qu’il en pense : à Bruges, on a directement comparé son bilan à celui d’Antoine Vanhove. Quand tu acceptes une fonction pareille, on ne t’offre pas tout sur un plateau. Mais dès le premier jour, j’ai eu le soutien total de la famille. Constant et Roger Vanden Stock, Philippe Collin, ils ont toujours été là. On peut travailler dur, faire de son mieux, ça n’ira jamais si le top n’est pas derrière.
» Anderlecht doit être champion tous les 2 ans, on en est à 6 titres depuis 2003 »
Vous aviez un objectif concret ? Un titre tous les deux ans, par exemple ?
C’est la norme à Anderlecht. Un titre tous les deux ans et aller une année sur trois en Ligue des Champions. Je suis ici depuis 2003, nous avons été six fois champions et nous allons faire notre sixième campagne en Ligue des Champions. Tout cela a été obtenu en changeant de façon radicale le mode de fonctionnement du club. Avant mon arrivée, les gens pensaient que le Sporting était une seule personne : Michel Verschueren. C’était effectivement comme ça ! J’ai vite compris que le football était en pleine évolution et qu’il fallait s’entourer de spécialistes pour chaque matière : administration, communication, marketing, etc. A la fin de son mandat, Verschueren était plus occupé avec les médias qu’avec la gestion du club : j’en ai conclu qu’il fallait nommer un responsable de la communication et nous avons engagé David Steegen.
Que vous a appris Constant Vanden Stock ?
J’ai eu la chance de travailler un an avec lui et je retiens quelques formules fortes, pleines de bon sens. Il m’a dit, par exemple : -Ne va jamais à une élection si tu n’es pas certain de gagner. Il sous-entendait qu’il fallait toujours être parfaitement préparé, faire le lobbying nécessaire avant les grandes décisions. A mes débuts, j’ai montré deux ou trois fois les dents en réunion, j’estimais que c’était nécessaire pour faire bouger les choses. Constant Vanden Stock m’a dit : -Manneke, il est temps que tu te trouves un pitbull. Ça voulait dire une personne qui allait prendre les coups à ma place, se disputer à ma place. J’ai pris René Trullemans pour faire ce job. Ainsi, j’avais moins de conflits. Il allait au feu pour moi, je me tenais en retrait, mais toujours prêt à intervenir. Et quand je devais me manifester, j’y allais.
Des conflits avec qui ?
Surtout en interne, avec différents services. Mais c’était compréhensible. Ce club avait travaillé d’une certaine manière pendant 25 ans. J’étais arrivé dans une véritable institution, avec mes idées. Je savais que je ne pourrais pas les appliquer du jour au lendemain, qu’on allait m’observer dans un premier temps. Au fil des années, j’ai senti que j’avais de plus en plus d’emprise sur les événements.
Ça a été facile de rester patient ?
Roger Vanden Stock m’a expliqué : -Quand tu es jeune, tu crois que tout est noir ou blanc. Mais dans la vie, il y a aussi du gris. Je l’ai compris. J’ai même saisi qu’il fallait parfois accepter de laisser en gris certaines choses grises… Il n’est pas possible de tout révolutionner, c’est comme ça.
» 15.000 personnes m’ont hué au fan-day, je me suis réfugié dans mon bureau »
Vous avez senti au début que des gens se demandaient : » C’est qui ce Van Holsbeeck ? »
La crédibilité passe par les résultats sportifs. Et on place la barre très haut. Depuis mon arrivée, il y a eu six titres, trois deuxièmes places, une troisième qui m’a beaucoup marqué !
Ça a été votre moment le plus difficile ?
Certainement. Se faire huer par 15.000 personnes au fan-day, ce n’est pas agréable… Je me suis réfugié dans mon bureau, j’étais blanc comme un linge. Complètement détruit. Roger est venu me trouver et m’a dit : -Je sais que ce n’est pas facile, je ne m’attendais pas à une réaction pareille des supporters. Mais je suis content de ton boulot. Aussi longtemps que je serai président, tu resteras. Toute la Belgique peut te cracher dessus, ça ne changera rien. Pendant trois jours, j’ai broyé du noir. Puis je me suis repris et c’était reparti. Deux ou trois fois déjà, je me suis dit que j’allais arrêter. Le président m’a toujours convaincu de continuer. Le jour où tu n’as plus ça, tu es mort.
Cette troisième place s’expliquait par la vente de Mbark Boussoufa en pleine saison, c’est ça qu’on vous reprochait…
Il faut se rappeler le contexte. Boussoufa avait encore un peu plus d’un an de contrat, nous savions qu’il n’allait pas prolonger. Les Russes sont venus avec 8 millions nets. Si je ne l’avais pas vendu, j’aurais eu 2 ou 3 millions à la fin de la saison. Le vendre directement, c’était le bon sens même. Même s’il y avait le risque de craquer pendant les play-offs, ce qui est effectivement arrivé.
Le départ de Boussoufa, c’était une leçon de l’affaire Dindane, qui était devenu beaucoup moins bon après l’échec de son transfert en Angleterre ?
Oui. Nous avions vendu Dindane un an plus tard pour deux fois moins d’argent et il n’avait rien fait de bon cette saison-là. Ce dossier m’a appris qu’il fallait aider les joueurs à avoir un plan de carrière. On peut prendre l’exemple de Lucas Biglia et de ses migraines. Quand il y a un problème comme ça, mon aspect bagarreur ressort. Mais, d’un autre côté, je me dis que j’ai intérêt à passer des accords clairs avec ceux qui veulent partir. Nous l’avons fait avec Biglia, aussi avec Cheikhou Kouyaté et Dieumerci Mbokani. Nous ne voulons plus de gros conflits. On a reproché à John van den Brom d’avoir enlacé Biglia à son retour d’Argentine, la presse n’a pas compris qu’on ne lui inflige pas une grosse amende. Mais vous croyez que c’était la bonne solution ? Biglia est un joueur déterminant chez nous. Nous aurions pu le suspendre pendant six semaines mais ça aurait servi à quoi ? Le plus important était quand même d’atteindre notre but, de remporter le championnat. C’est de la protection de capital. Si j’agis autrement, je ne suis pas à ma place. Et il ne faut pas croire qu’en interne, il ne s’est rien passé. Vous pensez qu’on n’a rien dit à Biglia ? Et son agent ? Vous avez encore entendu parler de lui depuis janvier ? Nous savions de toute façon que nous étions en position de force. Si Biglia ne rentrait pas, il y avait une perte sportive pour nous, mais la plus grande victime, c’était lui. Il lui restait deux ans et demi de contrat, que pouvait-il faire ? La façon dont nous gérons en interne des joueurs comme Biglia, Mbokani ou Milan Jovanovic, c’est notre problème, ça ne doit pas sortir.
Et quand Matias Suarez dit qu’il ne jouera plus jamais pour Anderlecht avant de faire marche arrière ?
Ce sont les émotions des footballeurs. Ils sont entourés et influencés par énormément de gens qui ont des intérêts. Quand Aruna Dindane était chez nous, il y avait une trentaine de personnes qui vivaient et mangeaient grâce à lui…
» Recevoir les félicitations un peu forcées de Bruges, ça me motive »
Les ambitions débordantes de Bruges ne vous tracassent pas ?
Actuellement, c’est là que beaucoup de choses se passent, je ne peux pas dire le contraire. Beaucoup de transferts, beaucoup d’argent, Bart Verhaeghe qui dit qu’il veut se battre avec les mêmes armes qu’Anderlecht. Ça me motive de leur montrer encore dans le futur qu’à la fin de l’étape, c’est notre club qui est devant. Ça me motive de recevoir leurs félicitations un peu forcées après un titre. Nous venons encore d’en enchaîner deux. De justesse, OK, mais ce sera toujours comme ça avec les play-offs. Depuis l’instauration de cette formule, nous avons toujours fini la phase classique en tête. Ce serait bien de commencer une fois les play-offs dans la position de l’outsider. Parce que ça coûte énormément de devoir défendre la première place : de l’énergie, du stress, un impact négatif sur le groupe et tout le club. A deux ou trois matches de la fin de la phase régulière, quand les joueurs, au petit-déjeuner, commencent à faire des calculs, à diviser les points, à s’inquiéter parce que tel ou tel adversaire revient,… c’est lourd. Un jour, Van den Brom leur a dit : -Ça me fatigue. Il n’y a que le leader qui a ces soucis. Et les gens ont toujours envie que le petit poucet renverse le géant. Chaque fois que les play-offs commencent, Anderlecht est seul contre tous. Pour faire tomber la pression, j’ai dit : -Il reste dix matches, plus aucun journaliste n’entre au complexe d’entraînement. On m’a traité de parano. Pas de problème. Nous avons encore atteint notre but cette saison : sur la ligne d’arrivée, nous étions en tête, nous avons su prendre 10 points sur 12 pour terminer après une série de 5 sur 18. Ce qui nous a sauvés, c’est une unité totale entre le noyau, le staff et la direction. Il n’y a pas toujours eu ça ces derniers temps…
C’est-à-dire ?
Il y a un an, j’ai participé aux 10 mises au vert pendant les play-offs, ce que je n’avais jamais fait avant. Quand ils ont commencé, je savais déjà ce que je ferais après le championnat, j’avais déjà décidé de faire le ménage dans le staff technique. Champion ou pas. C’est facile de virer des gens quand le résultat n’est pas bon, c’est moins simple quand il y a un titre parce que tout le monde est beau et gentil. Mais je suis resté sur mes positions. Ariel Jacobs avait décidé avant les play-offs qu’il s’en irait, les autres n’ont pas eu le choix.
Vous avez toujours la même adoration qu’en début de saison pour Van den Brom ?
Il a quelque chose en plus qui lui permettra de réussir dans de meilleurs pays que la Belgique. Il a de grandes compétences footballistiques, une aura, il est très bon en people management. Dans un grand club, il est essentiel que les joueurs respectent à fond leur coach. Van den Brom sait comment s’y prendre pour qu’ils aillent au feu pour lui. Dès sa première année chez nous, il a su gérer Lucas Biglia, Dieumerci Mbokani, Milan Jovanovic,… Parfois, il les a recadrés en public. Le lendemain, depuis mon bureau, je voyais ces joueurs se défoncer à l’entraînement comme si leur vie en dépendait.
La direction n’a pas dû l’aider pour qu’il recadre certains joueurs ?
Un groupe comprend vite si un coach est soutenu ou non par ses patrons. Depuis que je suis ici, les entraîneurs ont toujours eu un soutien total, quoi qu’on ait dit et écrit. Ça a été comme ça avec Hugo Broos, Frankie Vercauteren, Ariel Jacobs et John van den Brom. Mais ça ne nous empêche pas de mettre parfois des choses au point. Quand notre entraîneur critique un arbitre, nous le convoquons et nous lui expliquons comment ça se passe à Anderlecht. S’il est intelligent, il tient compte de nos remarques. Si pas, il joue le têtu et il continue. Mais alors, ça peut être le début de sa fin. Nous laisserons toujours travailler nos entraîneurs mais ils devront assumer s’ils n’en font qu’à leur tête et si ça se passe mal au bout du compte. Dans le passé, Broos nous a dit que Walter Baseggio et Pär Zetterberg ne pouvaient pas jouer ensemble, qu’ils étaient incompatibles. Nous lui avons suggéré de les aligner tous les deux, il a refusé. Dans ce cas-là, nous disons : -OK, fais comme tu veux, mais l’équipe doit gagner. Nous suggérons, le coach décide.
» Je partirai en même temps que Roger Vanden Stock »
Roger Vanden Stock évoque son départ, ça changerait quelque chose pour vous ?
Absolument. Mon sort est lié au sien, c’est très clair. Et il ne restera plus dix ans à la présidence. Je partirai sans amertume. Grâce à cette fonction, je suis allé dans des pays où je ne pensais jamais mettre les pieds, sauf peut-être pour des vacances. Je me suis rendu plusieurs fois en Argentine, j’ai séjourné au Brésil, en Colombie, en Egypte,… J’ai rencontré des personnalités prestigieuses, comme Berlusconi… mais pas dans ses fêtes privées (il rigole). Aller jouer sur le terrain de l’AC Milan ou du Real Madrid, quand vous avez le foot dans les veines, c’est ce qu’il y a de plus beau.
Ça vous arrive de devoir mettre vos principes de côté quand vous négociez un transfert avec un club d’un pays sensible ? La Russie par exemple ?
C’est vrai que nous avons pas mal traité avec des pays de l’Est ces dernières années. Mais c’est logique. Si Anderlecht veut gagner beaucoup d’argent en vendant des joueurs, il faut viser l’Angleterre ou la Russie. Mais combien de joueurs peuvent aller en Angleterre ? Nous y avons vendu Romelu Lukaku. Et Vincent Kompany, qui a d’abord dû passer par Hambourg. Dans le noyau de cette saison, il y a peut-être Mbokani ou Kouyaté qui pourraient en rêver. Et encore, ce sont des points d’interrogation. Il faut donc se tourner vers l’est. Mais je n’ai eu aucun problème avec les gens de Grozny quand j’ai négocié les transferts de Jonathan Legear et de Kanu. Ils ont été parfaitement corrects. Il n’y a pas eu de problèmes non plus quand nous avons transféré Boussoufa à Anzhi et quand nous avons discuté avec le CSKA Moscou pour Matias Suarez. Quand nous avions vendu Mémé Tchité à Santander, on aurait pu croire que ça allait rouler, avec des Espagnols. Ils nous avaient fixé rendez-vous à Monaco, ils étaient venus en jet privé. Mais nous avons dû attendre cinq ans pour toucher notre argent, en passant par l’UEFA.
PAR PIERRE DANVOYE ET GEERT FOUTRÉ
» Ce serait bien d’aborder un jour les play-offs sans être en tête. »
» Je savais que la succession de Michel Verschueren était un défi gigantesque. «
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