
» Chaque but déclenchait l’alarme en cardio «
Après l’argent à Rio, les Red Lions repartent à la chasse aux médailles à Amsterdam, du 19 au 27 août. Le sélectionneur Shane McLeod revient sur son parcours tout en évoquant l’avenir.
Le Néo-Zélandais est heureux de pouvoir travailler avec les hockeyeurs belges. En 1999, après deux saisons aux Black Sticks, il est venu en Belgique comme joueur-entraîneur, alors que ce sport était très différent. » Il y avait beaucoup de clubs de tradition, où des familles jouaient de génération en génération mais la Belgique était très loin du niveau des autres nations.
C’était un moment intéressant pour l’évolution du sport belge en général. J’ai vu des talents individuels – Kim Clijsters, Justine Henin, les judokas – mais notre sport en était à ses balbutiements. On a introduit le programme Be-Gold en 2005. À partir de ce moment, les meilleurs jeunes se sont entraînés ensemble et j’ai découvert l’avantage de vivre dans un petit pays, où on peut s’occuper des joueurs sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
McLeod a entraîné les dames de 2002 à 2006, avant de conduire les Black Sticks, l’équipe nationale masculine de Nouvelle-Zélande, à la septième place aux Jeux de Pékin 2008 et à la neuvième à Londres 2012. C’est l’amour qui l’a ramené en Belgique. » Juste avant mon départ pour la Nouvelle-Zélande, j’ai fait la connaissance d’Ann-Sofie Vanstappen. Nous avons entamé une relation à distance. Quelques années plus tard, elle pouvait travailler comme médecin dans un hôpital d’Auckland mais revenir en Belgique constituait la meilleure option. Pour ma femme et pour le sport. »
Il a conduit les Waterloo Ducks au titre national en 2013 et 2014 – l’année de son mariage avec Ann-Sofie. » J’aime la culture et le style de vie belge, le caractère familial des clubs, les repas en famille le dimanche à midi, ce travail avec des gens passionnés… J’ai aussi découvert un pays où les gens cherchent des athlètes à succès auxquels ils peuvent s’identifier. Les Diables Rouges, les joueurs de tennis, les hockeyeurs… La Belgique a toujours été la petite soeur des Pays-Bas, comme nous sommes celle de l’Australie. Mais quand l’outsider se met à gagner… »
» Le plaisir, c’est pas seulement du fun »
Vous a-t-il été difficile de quitter les Waterloo Ducks pour les Red Lions, qui avaient usé trois entraîneurs depuis 2010 ?
SHANE MCLEOD : Oui. On se tracasse toujours quand on entame quelque chose mais j’entraînais les U21 et j’avais déjà donné un coup de mains aux Red Lions. Je savais donc ce qui m’attendait. Dix mois pour préparer les Jeux, c’est court, mais je pense que c’était un avantage. Les garçons étaient bien entraînés, ils avaient du potentiel mais ils devaient apprendre à utiliser leurs qualités dans un match.
Ils étaient paralysés par le strict régime des sélectionneurs précédents, Marc Lammers et Jeroen Delmee, et aspiraient à jouer avec plus de plaisir.
MCLEOD : Plaisir. Un mot intéressant. Comment ressent-on du plaisir ? En atteignant un objectif ensemble. En se lançant un défi, en travaillant ensemble, durement, pour être récompensés. Ce n’est pas seulement du fun. Les premières semaines, on a découvert ensemble comment l’équipe jouait, ce qui était bien, ce qui devait changer. Chacun a réfléchi. On a fait entendre aux joueurs ce que les grandes nations pensaient de notre jeu. On a aussi passé du temps ensemble, découvert comment se parler. Je n’accepte pas qu’on dise que quelqu’un n’est pas assez bon. Mon groupe est respectueux, il écoute et il investit en lui-même. Avant mon arrivée, on utilisait déjà des traceurs GPS et des pulsomètres mais à l’issue de l’entraînement, ils se retrouvaient sur une table, abandonnés sans qu’on étudie les résultats. Mick Beunen, le préparateur physique, et moi avons effectué un fameux travail à ce niveau. En deux semaines, les valeurs avaient augmenté de 15 à 20 %. Les joueurs sont à notre disposition 20 % du temps mais ils doivent vivre en sportifs les 80 % restants. Nutrition, entraînement, repos… C’est pour ça que nous sommes parmi les meilleurs au monde, sur le plan physique.
Pourquoi ne vouliez-vous pas signer pour plus de dix mois ?
MCLEOD : Je venais d’être père pour la deuxième fois et je voulais être certain de trouver un équilibre entre ma famille et le sport car un sélectionneur se lève en pensant au hockey et y songe encore en se couchant le soir. Je voulais voir, pendant ces dix mois, si je serais capable de tenir quatre ans. Le plus simple était de retourner aux Watducks mais l’équipe nationale vous permet de vous tester au plus haut niveau. Pour connaître le succès, il faut un bon gardien, de bons corners et trois ou quatre joueurs de classe mondiale. La Belgique en regorge. Il est donc difficile de se séparer de l’équipe. Ma femme a également réalisé la satisfaction que je retirais de ce job et elle m’a encouragé à continuer jusqu’à Tokyo.
» Je n’avais encore jamais travaillé avec un noyau aussi doué »
L’union fait la force. C’est la devise de la Belgique. C’est aussi celle des Red Lions ?
MCLEOD : D’une certaine façon, oui. Un de nos slogans est : Better People Make Better Red Lions. On parle de nos superpowers. En anglais. Quand on affronte les Pays-Bas, on parle en français sur le terrain et contre la France, les joueurs parlent en néerlandais. Pouvoir parler ouvertement pendant ces matches est un énorme atout. Le coaching de la ligne de touche s’effectue toujours en anglais, y compris dans les programmes BeGold, qui incluent des cours d’anglais.
Deux mois après votre embauche, vous avez gagné la médaille d’argent en World League, en Inde. C’était très important ?
MCLEOD : Ça nous a apporté une récompense rapide. On a peu joué et pendant les workshops et les séances, on devait muer un groupe dysfonctionnel en noyau performant. On ne savait absolument pas où on en était. On avait perdu quatre rencontres amicales. Mais on a mieux réussi que prévu. Ce succès a convaincu tout le monde, même si on a accompli un pas encore plus important pendant la période de Noël. Les joueurs ont reçu un programme individuel et sont revenus plus en forme qu’ils ne l’étaient au début de la World League. On a réalisé notre potentiel quand on a largement battu l’Irlande et l’Espagne en Afrique du Sud.
Au Champions Trophy, quelques mois avant les Jeux, l’équipe a laissé filer un avantage de 3-1 contre la Grande-Bretagne, dans les dernières minutes. Vous étiez au bord des larmes dans le vestiaire.
MCLEOD : Un instant, oui. Je m’investis énormément. J’ai travaillé avec beaucoup d’équipes mais encore jamais avec un noyau aussi doué. Une victoire nous aurait qualifiés pour la finale du Champions Trophy, pour la première fois de l’histoire. On menait 3-1 mais un moment donné, on s’est retrouvés à neuf sur le terrain. J’étais fâché et frustré. J’ai même refusé tout huddle – une tradition – après le match. Il fallait avoir de l’impact. Dans le vestiaire, j’ai émis mes craintes quant à la discipline. » Je crois en vous. Très fort. Ce qui vient de se passer me chagrine beaucoup. » Quand ils entendent ça, les joueurs sont gênés. Ils fixent leurs chaussures, normalement. Mais là, ils m’ont regardé. Je ne l’oublierai jamais.
Vos larmes et votre message n’étaient pas factices ?
MCLEOD : Non. J’ai réfléchi à mes propos, en sachant que je devais les tenir de manière à ce qu’ils restent bien ancrés. Parfois, on peut faire de l’humour, parfois pas.
» J’ai réduit l’encadrement au minimum pour progresser plus vite »
À Rio aussi, vous avez travaillé le moral de vos joueurs, en leur lisant un mail de votre femme avant la demi-finale contre les Pays-Bas. N’est-ce pas vous fragiliser ?
MCLEOD : C’est quand même permis ? La fierté est le sentiment le plus fort qu’on puisse ressentir. Or, je suis très fier de mes deux enfants, comme ma mère l’est de ce que j’ai réalisé. J’ai lu les sentiments de ma femme, qui écrivait que pendant sa tournée dans le service cardiologie, elle constatait que tous les patients suivaient nos matches. Des gens riches comme des sans-abri, car tout le monde peut avoir un problème cardiaque. Tous nous suivaient. Quand on marquait, l’alarme se déclenchait dans certaines chambres. C’est ce que je leur ai raconté car je savais que ça pouvait les réunir : ils ont tous une amie ou une mère qui partage leur passion. Je ne le fais pas pour tous les matches mais ce discours-là a été efficace. Il a soudé le groupe. Quand les joueurs sont montés sur le terrain, ils pensaient tous à la même chose.
À votre arrivée, vous ne vouliez plus d’un coach mental. C’est bizarre dans le chef d’un homme qui joue autant sur les émotions ?
MCLEOD : Je crois dans le coaching mental mais les joueurs peuvent toujours s’adresser à moi ou à Philippe Goldberg, mon adjoint. J’ai réduit l’encadrement au minimum car je ne voulais pas de séparation entre les joueurs et le staff, pour progresser plus vite. Quand il s’agit de hockey, Philippe m’envoie les joueurs. J’ai besoin d’entretiens constructifs : ils me donnent de l’énergie. Si certains estiment qu’ils doivent entraîner un aspect plus spécifiquement, ils doivent le dire. Je compare ça avec l’accident d’avion d’Air New Zeeland en 1979, un des plus mortels de l’aéronautique – 257 victimes. Le pilote volait trop bas et a heurté une montagne en Antarctique. Les joueurs ont fait des recherches sur cette catastrophe et ont découvert que le copilote savait que l’avion volait trop bas mais n’avait rien dit. Ce n’est pas le capitaine mais cet homme qui a commis la pire faute. On ne veut pas en faire de même. Mon groupe apprécie ce type d’approche. Notre manière de jouer ne cesse d’évoluer. Je discute toujours des nouveaux concepts à l’avance avec trois ou quatre joueurs. Ensuite, ils m’aident à exposer cette approche au vestiaire. Comme ça, il est plus facile d’impliquer tout le monde. Pendant les présentations, mes joueurs posent de bonnes questions, précises, parce que les nouveautés les stimulent. Des entretiens de groupe sont bien plus intéressants que le discours ex-cathedra d’un entraîneur.
» Mes joueurs ont donné aux fans des émotions et du suspense. C’est ma fierté »
Après les Jeux, vous étiez fier ou déçu ?
MCLEOD : Hmm… Avant, j’aurais signé des deux mains pour la médaille d’argent mais j’étais partagé. Il m’était plus facile de relativiser que les joueurs. Quand je repasse les images du podium, avec tous ces joueurs en pleurs… C’est triste. Ils savaient qu’ils avaient loupé une énorme possibilité, peut-être la plus belle de leur vie mais je savais aussi qu’ils finiraient par réaliser la valeur d’une médaille d’argent. J’ai beaucoup apprécié la manière dont l’équipe a vécu les Jeux. Elle a joué avec énormément d’énergie, elle s’est amusée et les joueurs ont été de bons ambassadeurs de leur sport. Ils ont accordé des interviews modestes et matures. C’était comme si je les avais écrites ! Certains se sont effondrés mais c’est aussi pour ça que les gens suivent le sport. Ils veulent voir des émotions et du suspense. Nos joueurs leur en ont donné. C’est ce qui a fait ma fierté tout au long du tournoi.
par Chris Tetaert – photos Getty
» Les Belges cherchent de bons athlètes à succès auxquels ils peuvent s’identifier. » Shane McLeod
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