Ces coaches qui manipulent
La communication n’est pas le point fort de tous nos entraîneurs. On relève chez eux des profils très différents, du parfait manipulateur au gentleman de haut niveau.
Interroger Jacky Mathijssen juste après un match ou au calme dans son environnement limbourgeois, ce sont deux expériences complètement différentes. Il nous a un jour remballé après un match de Charleroi, quand nous lui demandions si, après trois rencontres consécutives à domicile sans gagner, les Zèbres ne risquaient pas de cultiver un complexe paralysant. Sa réponse : -Si tu le penses, alors écris-le. Son ton n’était pas vraiment sympathique. Plus tard, il nous a avoué qu’il n’était pas lui-même en conférence de presse, qu’il était encore complètement plongé dans son match, dans le stress. Nous avions trouvé la parade en fixant les interviews à Hasselt, sur une terrasse, le jour de congé du Sporting. Là, on retrouvait un homme charmant, disponible, bavard.
Mais Mathijssen a évidemment un côté irritant : sa mauvaise foi caractérisée. Quand il déclare que Bruges aurait mérité de gagner au Standard, au début de cette saison, personne ne le croit. Il l’a pourtant répété à froid. Ces analyses à côté de la plaque énervent. Et si on reprend toutes ses interviews d’après match depuis qu’il entraîne en D1, on retrouvera énormément de réponses qui ne tiennent pas la route…
Surréaliste ! Et ailleurs ? Tous les entraîneurs actifs au plus haut niveau du football belge ne sont pas des paranos du style RenéVandereycken. On relève des profils très différents, du parfait manipulateur au gentleman de haut niveau.
Mais comment nos coaches gèrent-ils leur communication ? Faisons le tour des popotes… en commençant par celui qui devrait normalement être un exemple pour tous : le coach fédéral .
Vandereycken : paranoïaque !
» La majorité des journalistes a interprété mes mots de manière incorrecte. Comme souvent. Et puis, on s’étonne que je parle si peu… Je ne vais pas vous donner l’interprétation exacte de ce que j’ai dit. Cela me coûterait trop d’énergie « . Signé Vandereycken, deux jours après Belgique-Finlande.
Plus que jamais, le torchon brûle entre le coach des Diables Rouges et la presse. A qui la faute ? Il faut être aveugle pour ne pas voir la mauvaise foi du Limbourgeois. Ces derniers temps, il a multiplié les attaques envers les médias : » Je comprends que les gens de la rue soient déçus : ils sont influencés par vos commentaires (…) On assène des contrevérités au grand public et ce n’est pas normal. Moi, je ne tiens compte que de l’opinion des gens avec lesquels je travaille. Les analyses de l’extérieur ne m’intéressent pas. On est négatif avec moi depuis fort longtemps et ce n’est qu’un épisode parmi d’autres (…) Je me demande comment des journalistes qui, un jour, couvrent le foot, un autre le cyclisme et font un peu de politique le surlendemain peuvent me critiquer. Moi, je suis sur le sujet Diables Rouges tous les jours. C’est un manque de respect pour mon travail « .
Vandereycken oublie deux choses : 95 % des journalistes qui le jugent sont branchés foot full-time ; et c’est quand même lui qui cumule la préparation de l’équipe nationale A et la recherche de sponsors – avec grosses commissions personnelles à la clé.
Depuis le début de la campagne éliminatoire pour l’EURO, Vandereycken a été fort critiqué par la presse. Mais s’il avait fait les mêmes résultats à l’étranger, il aurait été assassiné. L’homme a roulé sa bosse en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne : il doit être conscient que les médias belges sont encore sympas avec lui. Le bilan chiffré de VDE est catastrophique, sa communication encore plus. Cynisme, mépris, mauvaise foi : l’homme se profile très mal et a faux sur toute la ligne. Quand il prend lui-même l’initiative de ne plus accorder d’interviews individuelles qu’à la chaîne de télé ( Club RTL) qui paie pour retransmettre des matches des Diables, il fait encore une boulette monstrueuse. D’abord parce qu’une telle décision n’est pas de son ressort (c’est une prérogative de son employeur, l’Union Belge), ensuite parce qu’il sous-entend ainsi qu’on avance vers un système dans lequel la presse devrait payer pour pouvoir informer. Débourser pour donner au public des infos sur le patrimoine national qu’est notre équipe A : on aura tout vu.
Quand il entraînait Genk, Vandereycken ne voulait plus donner d’interviews à la presse écrite sous prétexte que celle-ci n’était pas en mesure de retranscrire correctement les nuances de ses déclarations. Il répétait souvent que les médias écrits commettaient énormément d’erreurs et racontaient des contrevérités. Mais quand on lui demandait de s’expliquer sur le sujet, il répondait qu’il aurait besoin de trop de temps pour tout détailler et s’abstenait. Toujours à Genk, il exigeait que les demandes d’interviews de joueurs passent par lui et imposait aux journalistes de lui soumettre les textes avant parution. Ses joueurs avaient l’interdiction de parler à la presse les veilles de match, et s’ils étaient interrogés par téléphone, la conversation ne pouvait pas dépasser 10 minutes. Certains joueurs ignoraient royalement la consigne mais d’autres étaient terrorisés.
Vercauteren : aucun traitement de faveur
La presse n’est pas chaleureuse avec Frankie Vercauteren non plus et celui-ci le lui rend bien. Le coach d’Anderlecht ne cherche pas à être un Frère Sourire. Il rappelle souvent qu’il se moque d’être populaire. Un de ses prédécesseurs au Sporting, Aimé Anthuenis, était d’une disponibilité extrême, il acceptait qu’on l’appelle 24 heures sur 24 et répondait toujours avec une amabilité rare. On sent clairement que pour Vercauteren, la presse est plutôt un mal nécessaire. Et il s’en méfie. Comme certains autres entraîneurs de D1 ( Hugo Broos, José Riga), il exige parfois de pouvoir jeter un £il sur ses interviews avant parution. Comme cela se fait de plus en plus fréquemment dans le journalisme politique. Nous jouons le jeu, à une seule condition : l’interviewé n’a un droit de regard que sur ses propres déclarations, jamais sur l’analyse du journaliste. Il peut toujours corriger l’une ou l’autre formulation s’il estime que sa pensée n’a pas été bien reproduite, mais sa marge de man£uvre s’arrête là.
Vercauteren interdit carrément toute interview de joueur anderlechtois lors des deux journées qui précèdent un match. C’est parfois un vrai casse-tête pour les quotidiens qui couvrent les Mauves : quand Anderlecht joue en Ligue des Champions le mercredi et en championnat le samedi, il est impossible d’avoir un contact avec les joueurs du lundi matin au samedi en fin de soirée. Des médias s’en sont plaints et Vercauteren a répondu : » Je m’organise, faites la même chose « . Et il ne faut pas compter sur le copinage. Avec le coach du Sporting, cela n’existe pas. Que ce soit avec les jeunes journalistes ou avec ceux qu’il connaissait quand il jouait, le traitement est le même : froideur et distance. Même ceux qui le connaissent très bien n’ont jamais droit à un scoop ou une anecdote croustillante. Pas de déclarations en off, non plus (le discours que tiennent les interviewés dès que l’enregistreur est coupé, des réactions bonnes pour le background du journaliste mais à ne pas publier).
Preud’homme : examen la veille du match, bulletin le lendemain
Michel Preud’homme, lui, entretient un rapport privilégié avec ceux qui couvraient déjà ses exploits de gardien. Pour l’avoir en longue interview individuelle, il faut parfois s’armer de patience, mais dès qu’il s’installe devant l’enregistreur, il est détendu et ne met pas la pression pour que le journaliste en finisse au plus vite. Quand il était à Benfica, il avait carrément passé la nuit avec Bruno Govers, un de nos journalistes ! Le pont surplombant le Tage, qu’il devait franchir pour rentrer chez lui, de l’autre côté de Lisbonne, était saturé par les files, et le meilleur gardien du monde avait donc partagé la chambre de notre envoyé spécial… Sans chichis, comme un keeper de 3e Provinciale !
Les rapports de Preud’homme avec les médias passent essentiellement par ses deux points presse hebdomadaires : la veille/l’avant-veille, puis le lendemain/surlendemain du match. Tous les intéressés sont les bienvenus, le coach du Standard s’installe calmement, fourre une boule de tabac sous sa lèvre supérieure et répond à toutes les questions. Il a imaginé un petit jeu qui amuse. Lors du point presse qui précède le match, il demande à chaque journaliste présent de composer l’équipe supposée entamer la rencontre. Il ramasse ensuite les copies. Et au point presse qui suit le match, il rend les feuilles, cotées.
Cartier : le respect des médias comme valeur
Une interview avec Albert Cartier peut ressembler à un petit cours de rhétorique, voire de philosophie. Il sort chaque fois l’une ou l’autre formule bien pensée, qu’il répète au besoin s’il a l’impression de ne pas avoir été bien compris. On raconte qu’il en révise quelques-unes avant chaque interview : possible, tant c’est précis. Le Français peut en tout cas être cité en exemple pour la manière dont il respecte le travail de la presse. Quand un journaliste arrive au stade du Brussels, Cartier se déplace pour lui serrer la main et lui demande pour quel joueur il vient, voire s’il peut l’aider. Un exemple récent. Alors que Matumona Zola n’était toujours pas là une heure après un rendez-vous avec un de nos journalistes, Cartier a saisi son GSM et l’a appelé : -Tu as une heure de retard, tu viens tout de suite ou je te colle une amende.
Il n’est pas non plus du genre à se cacher. Il n’est pas venu à la conférence de presse après le match de cette saison contre le Club Bruges, pendant lequel il s’était un peu frotté à Jacky Mathijssen, mais c’était une première. Et Cartier ne critique pas gratuitement. Il aurait pu en raconter des vertes et des pas mûres sur Filippo Gaone après son passage mouvementé à La Louvière, mais il a toujours protégé son ex-président. Même s’il est clair qu’il n’en pensait pas moins. Le Français est un vrai gentleman !
Riga : une image parfaite
Riga est disponible, élégant, précis, et il s’exprime bien. Une interview et des photos chez lui, en famille ? Pas de problème. L’entraîneur de Mons réfléchit et pèse ses mots. Quand il se fait questionner sur des sujets délicats pour son employeur, il trouve une formule afin de contourner la difficulté. Il ne veut pas blesser ou se mettre en porte-à-faux.
A la limite, il est encore plus disponible après une défaite qu’après une victoire. Quand Mons a gagné, il lui arrive de dire : -Laissez-moi savourer un peu. Si son équipe a perdu, il explique tout. Il a aussi l’art de faire le tri : il confie plus de choses aux journalistes dans lesquels il a une totale confiance. Si on le trompe une fois, on n’en tire plus énormément de choses. La précision de son discours lui vaut d’être régulièrement invité comme consultant sur des plateaux de télé.
Leekens : proximité et séduction
Pour se brouiller avec Georges Leekens, il faut dépasser les bornes. L’entraîneur de Lokeren est l’ami des journalistes. Il fait tout pour entretenir cette amitié et n’hésite pas à livrer l’une ou l’autre info en primeur à ceux qu’il apprécie particulièrement. Quand il est en mission de scouting, il ne se contente pas de rester dans la tribune mais passe systématiquement prendre un café en salle de presse, et là, il sort la grosse artillerie : sourires, clins d’£il, tapes sur l’épaule, petites blagues, compliments. Tout récemment, il s’est avancé vers un de nos journalistes pour lui faire la bise et lui a lancé : -Salut, le plus grand journaliste belge !
Question forme, tout se passe pour le mieux. On sera moins élogieux sur le fond. Leekens manipule. Avec lui, une question précise donne rarement une réponse concrète. Il essaye d’embarquer son interlocuteur dans des raisonnements et sur des sujets qui l’arrangent. Il a plus d’une fois utilisé la presse pour mettre la pression sur sa direction, pour l’obliger à transférer de nouveaux joueurs. Quand on rencontre le grand Georges pour une longue interview, il faut avoir un bon canevas en tête, sans quoi on risque de se faire avoir. C’est un entraîneur à tenir en laisse.
Sollied : précision et pensées philosophiques
Une interview avec Trond Sollied est une expérience. Le coach de Gand est un vrai Nordique sur la forme : froid, distant, l’air toujours triste. Il faut se lever tôt pour lui arracher une esquisse de sourire. Il laisse le choix au journaliste de poser les questions en anglais ou en néerlandais, mais il répond toujours en anglais. Et le contenu vole très haut. Il ne se contente pas de parler de penalties et de corners. Il aime détailler sa philosophie du métier et de la vie.
Dans son analyse d’un match, il peut être très dur si le jeu de l’adversaire ne lui a pas plu. Après la venue à Gand de Zulte-Waregem, cette saison, il a dit que les hommes de Francky Dury avaient joué comme des voleurs qui avaient attaqué une banque en plein jour. Et lorsqu’il coachait Bruges, il avait qualifié le jeu des Loups de garbage football (football poubelle) après un match à La Louvière.
Broos : sans rancune
Broos a été méchamment tacklé par une bonne partie de la presse à la fin de son séjour à Anderlecht mais ne lui en tient pas rigueur. Il reste disponible -que ce soit dans sa langue ou en français-, accepte toutes les demandes d’interview, prend son temps, n’élude aucune question et ne fait pas de reproche à son interlocuteur si celui-ci l’a démoli dans une vie antérieure.
L’entraîneur de Genk est aussi disponible pour les médias francophones (par exemple Studio 1 sur la RTBF ou La Troisième Mi-Temps sur Vivacité) que néerlandophones. Il n’invoque jamais les longues distances séparant son domicile des studios pour se défiler. Si ses joueurs lui reprochent son manque de communication, la presse n’a jamais pu lui faire ce grief.
Brys : adaptation record
Avant de poser son sac à Mouscron, au début de cette saison, Marc Brys n’avait travaillé qu’en Flandre. Il s’est immédiatement adapté à la réalité francophone et s’exprime spontanément en français malgré ses lacunes.
Vande Walle : une susceptibilité à gommer
Philippe Vande Walle a le profil idéal pour être un très bon client à l’interview : il a des idées, il n’a pas de porte de derrière, il sait trouver des images fortes pour illustrer ses pensées, il est populaire et parfait bilingue français/néerlandais. Mais il en fait trop : en tombant systématiquement dans le vulgaire facile, il a fait rire dans un premier temps puis a très vite irrité son auditoire. Les plus courtes sont les meilleures !
Il doit aussi comprendre que le fait de supporter la critique fait partie intégrante du bagage d’un bon entraîneur. Le bonhomme n’aime pas du tout qu’on écrive du négatif à son propos. Dans ces cas-là, il réagit mal : boycott, voire menaces physiques. Etonnant car il n’était pas du tout comme cela pendant sa carrière de joueur. Il est dommage que cette susceptibilité nous prive d’une bonne interview du coach en sursis des Zèbres alors que nous tentons régulièrement notre chance depuis la fin de la saison dernière.
Et ailleurs ?
n A Roulers, Dirk Geeraerd a le sens de la formule bien pensée. Il réfléchit puis se lance, en n’ayant pas peur de provoquer, d’exprimer les choses comme il les voit. Ses conférences de presse sont un exemple de clarté footballistique et tactique. Et l’homme ne se prend pas la tête, répétant à l’occasion : » Je viens de nulle part, je n’ai pas de nom, je dois prendre mon temps pour exprimer mes sentiments « .
n A Zulte Waregem, Dury a changé depuis son éclosion en D1. Il est de plus en plus demandé par les grands médias (dont les chaînes de télé francophones) et commence à négliger les journalistes locaux. Il se laisse aussi influencer par un conseiller en médias néerlandais. Vu le prestige qu’il a atteint, il n’hésite plus à donner des conseils, via les journaux, à un Vercauteren par exemple.
n A Westerlo, Jan Ceulemans est toujours le même qu’à la période où il jouait. Il est relax, ouvert mais donne constamment l’impression que le contact avec les médias ne l’intéresse pas. Il est aussi handicapé par son unilinguisme : c’est un des rares entraîneurs flamands à ne même pas essayer de prononcer quelques mots en français aux conférences de presse qui suivent les matches disputés par son équipe en Wallonie.
n Au Germinal Beerschot, Harm van Veldhoven est un maître dans l’art de tourner autour du pot. Il a parfois besoin de plusieurs minutes et de tournures compliquées pour exprimer une idée très simple.
n Au Cercle Bruges, Glen De Boeck a très vite mis des barrières et tranché avec les habitudes de la maison : il veut être dérangé le moins possible par la presse. Des séquelles de son long séjour à Anderlecht, sans doute.
n A Malines, Peter Maes dit les choses comme elles sont. Un discours parfaitement clair.
n A Dender, Jean-Pierre Vande Velde n’épate pas par ses analyses d’après match. Il se perd dans une foule de détails inutiles et plane tellement de pouvoir coacher en D1 qu’il dit souvent n’importe quoi ! La presse qui suit Dender de près lui reproche aussi de pleurnicher pour un oui, pour un non.
n A Saint-Trond, Peter Voets entretient une vraie relation de proximité avec les journalistes qui couvrent ce club purement de proximité. Il est souvent la voix des quelques monuments qui, depuis la nuit des temps, ont tout à dire au Staaienveld.
par pierre danvoye – photos: belga
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