Brésil et Afrique du Sud : mêmes combats
L’ex-président Luiz Inacio Lula Da Silva avait pleuré de joie en 2007 lorsque le Brésil s’était vu attribuer l’organisation de la Coupe du Monde. Le Mondial dans un pays qui vit au rythme du carnaval, de la samba et du futebol, c’était la fête assurée. Mais les dernières semaines nous ont appris que le Brésil, ce n’est pas que le foot.
Certes, le football est une religion au Brésil mais il y a encore des choses plus importantes dans cet immense pays. Pendant la Coupe des Confédérations, beaucoup d’observateurs ont été très surpris par les manifestations de masse contre le gouvernement et, indirectement, contre le football et la Coupe du Monde.
En Europe, on a une vision romantique mais totalement erronée du football brésilien. En 2012, la moyenne de spectateurs en Serie A du Campeonato Brasileiro était de 13.196, soit une chute de 13,6 %. La J-League japonaise et la MLS américaine font mieux.
Le prix des tickets et un hooliganisme comparable à celui connu en Angleterre dans les années 70-80 sont les causes principales de ce désintérêt croissant. Depuis 1988, on a dénombré plus de 150 morts dans des échauffourées entre groupes de supporters.
La troisième raison du recul du nombre de spectateurs, c’est que le fan brésilien se décourage vite lorsque son équipe ne tourne pas. Il veut que son équipe gagne. Jogo bonito, c’est une légende que les Européens entretiennent.
Gagner, c’est bien mais, comme tout être humain, le Brésilien aspire à une vie meilleure. L’arrivée du grand cirque footballistique était, pour lui, l’occasion d’exprimer ses griefs. Au cours des derniers jours, la présidente DilmaRousseff a fait un tas de concessions aux manifestants.
Le prix des tickets des transports publics – l’élément déclencheur – a été revu à la baisse, les revenus du pétrole iront à l’enseignement et aux soins de santé tandis que, pour la première fois en 25 ans, un politicien corrompu a écopé d’une peine de prison.
Au cours de la deuxième semaine de la Coupe des Confédérations, les protestations ont diminué mais il ne faudrait pas grand-chose pour que le peuple se mobilise à nouveau. Et comme les élections nationales ont lieu trois mois après la Coupe du Monde, Dilma Rousseff n’a guère le choix.
Une image écornée
Ce n’est pas seulement son image qui a été sérieusement écornée mais aussi celle de la FIFA. Personne n’a compris pourquoi SeppBlatter avait dit, lors de sa conférence de presse finale, que » le football et la FIFA étaient sortis plus forts » de ces deux semaines. Il faisait référence au sondage commandé par le magazine « Epoca », dont il ressortait que 71 % des Brésiliens étaient toujours favorables à l’organisation de la Coupe du Monde dans leur pays.
Avant même que la rue ne se soulève, la FIFA se faisait déjà du souci quant à l’organisation du prochain Mondial. Dans les couloirs du Copacabana Palace, transformé ces derniers jours en quartier général de la fédération mondiale, on évoquait l’Afrique du Sud avec nostalgie.
Le Brésil sait déjà depuis 2003 qu’il accueillera la Coupe du Monde 2014. La CONMEBOL, la confédération sud-américaine, avait en effet fait savoir qu’il était le seul candidat. Jamais auparavant un pays n’avait eu autant de temps pour se préparer mais les Brésiliens ne sont pas spécialement réputés pour leur sens du planning.
Cette façon de tout faire au dernier moment s’appelle le jeitinho. Tout finit toujours par s’arranger mais, dans certains stades, les invités essuieront les plâtres et la facture sera sensiblement plus élevée que prévu. Le journal TheEconomist a calculé que la construction de sept nouveaux stades et la rénovation de cinq autres temples du football coûterait 2,6 milliards d’euros.
C’est trois fois le montant que l’Afrique du Sud a dépensé pour construire dix stades en vue du Mondial 2010. Le Ministre des Sports, AldoRebelo, a souligné que ce chiffre ne représente qu’un pour cent du budget total de la santé mais le Brésilien n’en a cure.
La nouvelle génération n’accepte plus cette façon de faire. Les » éléphants blancs » qui resteront déserts après la Coupe du Monde restent en travers de la gorge des centaines de milliers de manifestants. Certains stades ne seront pratiquement plus utilisés après 2014.
Ce sera sans doute le cas de ceux de Cuiba et de Manaus, en Amazonie, et peut-être aussi de ceux de Natal et Brasilia. Il est incompréhensible qu’après le Japon et la Corée du Sud (2010) ou l’Afrique du Sud (2010), la FIFA continue à autoriser qu’on joue au football dans des stades sans avenir.
Selon le Bureau d’Audit brésilien, le coût total de la Coupe du Monde s’élève à 13,28 milliards de reais, soit 4,6 milliards d’euros. C’est quinze pour cent de plus que le premier budget (11,58 milliards de reais). Et il est probable que la facture finale sera encore plus élevée alors qu’on ne remarque toujours rien de l’héritage que doit laisser le Mondial.
En voie de développement
La Coupe du Monde 2104 et les Jeux olympiques 2016 devraient permettre au Brésil d’effectuer un grand pas en avant mais, à un an du match d’ouverture à São Paulo, les routes sont dans un état lamentable et les aéroports sont les talons d’Achille du système de transport.
Les autorités ont investi 1,2 milliard d’euros mais aucun aéroport ne figure dans la liste des cent meilleurs du monde. En fait, ce sont des gares de bus améliorées. Le Brésil est la sixième économie du monde mais son infrastructure est celle d’un pays en voie de développement.
JérômeValcke, secrétaire général de la FIFA et véritable tête pensante de l’organisation de la Coupe du Monde, ne connaît que trop bien le problème. Ces dernières années, il a tellement secoué les Brésiliens qu’il s’est attiré leur colère.
Ce n’est pas le bon moment pour fustiger les autorités locales et la FIFA est aussi prise pour cible par les manifestants qui affirment que les Blatter et Cie ne s’intéressent pas à la population locale et que leur seul objectif est de ramener un maximum de pognon à Zurich. La FIFA mise en effet sur un gain de 1,7 milliards d’euros.
C’est donc avec un sentiment mitigé que la FIFA prend congé de la Coupe des Confédérations. » Sur le plan sportif, ce fut un succès extraordinaire « , dit Valcke au dernier étage du Sofitel de Copacabana.
» La plupart des matches n’auraient pas fait tache dans une Coupe du Monde. L’intérêt du public était énorme et l’ambiance, unique. Plus de 60.000 spectateurs pour un match Espagne – Tahiti, avec dix buts à la clef, c’était improbable. C’est la confirmation de ce que nous pensions : les Brésiliens adorent le football. »
» Cette Coupe des Confédérations a connu plus de succès que celle de 2009 en Afrique du Sud « , dit le Français. » A l’époque, la population locale ne s’était guère intéressée au tournoi. Mais la FIFA ne peut pas fermer les yeux sur les manifestations de masse qui ont marqué l’événement. »
La rue a placé la famille du football sur la défensive. » Partout dans le monde, on utilise les grands événements pour exprimer son mécontentement parce que l’intérêt des médias est plus important « , dit Valcke. » Mais je veux faire la distinction entre les manifestations pacifiques de gens qui ont des revendications légitimes et les casseurs qu’on a également vus à l’oeuvre ici. Des gens qui ne pensent qu’à détruire et à affronter la police avec, pour conséquence, des images choc qui font le tour du monde et sont traitées en deux minutes dans les journaux télévisés. »
La FIFA comme catalyseur
» Nous venons tous d’un continent où les manifestations font partie du quotidien, surtout en France « , poursuit-il. » C’est dans la rue qu’on descend pour exprimer son mécontentement. Je peux comprendre les manifestants. Il est normal qu’un pays en plein développement exige un meilleur enseignement, de meilleurs soins de santé et de meilleurs transports publics. Je pense que le gouvernement doit expliquer ce qu’il fait. »
Selon Sepp Blatter, le football ne peut pas être utilisé à des fins de manifestations sociales. » Le football rassemble les gens au stade mais hélas aussi les gens dans la rue « , dit-il. Hélas, un mot qu’il n’aurait pas dû prononcer.
» Je ne considère pas la FIFA comme victime mais plutôt comme catalyseur « , dit Valcke. » La FIFA aurait été victime si nous avions été lésés par les manifestations et si nous avions dû supprimer des matches ou annuler la Coupe des Confédérations. »
» La FIFA est une cible facile mais c’est un faux combat. Il est trop simple de prétendre qu’organiser une Coupe du Monde exige des investissements au détriment de l’enseignement, des transports ou des soins de santé. Au Brésil, pas un real du gouvernement ne va à la construction des stades. Un certain nombre d’entre eux appartiennent au secteur privé et, pour les autres, les différents Etats ont obtenu un prêt qui devra être remboursé. »
» Les investissements liés à l’organisation de la Coupe du Monde sont des dépenses importantes pour l’avenir du pays. En fonction de 2014, nous demandons qu’on améliore le niveau des routes, des télécommunications et des hôpitaux. C’est nécessaire pour développer le pays et ce n’est qu’une partie du programme établi pour les dix prochaines années. On nous reproche de voler l’argent que le pays pourrait utiliser à des choses plus utiles mais ce que nous demandons est utile pour le pays. »
Il y a cinq ans, la presse mondiale se demandait si l’Afrique du Sud serait capable d’organiser la Coupe du Monde. Mais à un an de l’événement, la comparaison est en défaveur des Sud-Américains. » Les deux pays sont comparables « , dit Valcke. » Ils ont des problèmes de communication et des lacunes en matière de transports publics.
La seule différence, c’est que, contrairement à ce qui se passe ici, la population sud-africaine n’a jamais contesté la Coupe du Monde. Pour l’Afrique du Sud, il s’agissait d’une opportunité de montrer au monde entier qu’elle était capable d’organiser un événement de niveau mondial. »
Un coup d’accélérateur
» La Coupe du Monde peut aider le Brésil comme elle a aidé l’Afrique du Sud. En 2004, lorsque je suis arrivé pour la première fois en Afrique du Sud, il était pratiquement impossible d’y utiliser un BlackBerry. C’est la même chose ici. La semaine dernière, au stade de Fortaleza, aucun d’entre nous n’a pu utiliser son téléphone portable. Il ne peut évidemment pas en être ainsi l’année prochaine. On critique beaucoup la FIFA mais c’est grâce à nous que le gouvernement fait rapidement de gros investissements. Pour l’année prochaine, il nous faut un réseau de télécommunications qui fonctionne mieux. »
» La Coupe du Monde en Afrique du Sud ne fut pas une mince affaire, loin de là. Celle au Brésil sera tout aussi difficile, surtout son lancement. La Coupe des Confédérations a donné un coup d’accélérateur au projet et je suis convaincu que, dans les prochains mois, tout sera en ordre. Même si c’est un pays immense qui est difficile à gérer car les distances sont plus grandes et les investissements, plus conséquents. »
» L’Afrique du Sud est un bel exemple de ce qu’une Coupe du Monde peut signifier pour un pays « , affirme Valcke. » Elle pousse les autorités à moderniser plus rapidement et de façon plus ciblée dans des secteurs dont les gens ont besoin. En Afrique du Sud, on s’est aussi posé des questions jusqu’à la dernière minute mais, aujourd’hui, l’aéroport de Johannesbourg n’est plus comparable à ce qu’il était avant la Coupe du Monde. Il en ira de même au Brésil. Dans un an, le pays sera complètement différent. Grâce au Mondial. »
PAR FRANÇOIS COLIN AU BRÉSIL
Il est incompréhensible que la FIFA continue à autoriser la construction de stades sans avenir.
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