BALLE DE FIN D’ANNÉE

Dix ans plus tard, Manuel Pellegrini pousse les portes des demis. Le carré VIP. Il y découvre un chauve un peu timide, et un siège avec la mention :  » Réservé : Pep.  » Au centre de la salle, un dandy espagnol et un Argentin bouillonnant se disputent autour d’une question : faut-il avoir le ballon pour gagner ?

On la dit si capricieuse qu’elle refuse systématiquement de s’offrir à son dernier amant. Barcelone et son attaque supposée inarrêtable en ont fait les frais sur la pelouse du Vicente Calderón. La Ligue des Champions n’est décidément pas une compétition comme les autres. Prévisible, tant les cartons d’invitations pour le dernier carré se dispersent souvent entre Madrid, Munich et Barcelone ; mais surprenante aussi, quand elle choisit de sacrer les commandos de Roberto Di Matteo et de José Mourinho pour priver la puissance catalane du doublé interdit.

Pour entretenir sa mythologie, la Coupe aux grandes oreilles s’est créé des lois, irrationnelles mais immuables. Celle qui veut que l’auteur d’un 18/18 en phase de poules ne soulève jamais le trophée, par exemple. Ou celle qui dit que ses champions sont souvent malades à l’automne pour se révéler avec le retour du printemps. Mais il y a une loi dont on ne parle jamais : c’est celle du ballon. La possession est une qualité qui fait systématiquement craquer la C1, au point d’ouvrir grand les portes du carré VIP de la compétition à celui qui en joue le mieux.

Depuis 2010, l’équipe avec la meilleure possession de balle de la Champions accède toujours aux demi-finales. Comme si le ballon faisait partie du dress-code pour s’installer à la table des puissants. Manuel Pellegrini confirme :  » La meilleure manière de gagner beaucoup est de jouer, d’avoir la possession et d’attaquer. Du moins, c’est la plus raisonnable.  »

LA GUERRE DES IDÉES

Quand vous poussez les portes du carré final, Pep Guardiola vous fait visiter les lieux. Ici, c’est chez lui. Sept apparitions sur les huit dernières éditions, avec un mot d’excuse pour congé sabbatique en 2013. Vainqueur pour sa première participation, le coach catalan a marqué la compétition de son empreinte, en créant une guerre du ballon dont on ne parlait presque jamais voici dix ans.

 » Sacchi a organisé le football à partir du pressing, Guardiola l’a fait à partir du ballon « , explique l’entraîneur espagnol Victor Fernandez. Pep a réorganisé le football, et tout le football s’est organisé autour de lui. Le football mondial est devenu l’Argentine du siècle dernier, où les adorateurs de César Luis Menotti et de la possession se querellaient sans cesse avec les pragmatiques bilardistas, disciples de Carlos Bilardo.

Même si le célèbre toque catalan s’est fait refouler à l’entrée du dernier carré par les muscles du videur colchonero, le ballon sera encore au centre des débats à venir. Le Bayern l’aura évidemment contre l’Atlético. Il suffit de lire Pep Guardiola déclarer que  » s’il n’y a pas une séquence préalable de quinze passes, c’est impossible de faire une bonne transition entre l’attaque et la défense « , et d’écouter Diego Simeone rétorquer que  » quand tu reçois le ballon au milieu, ton premier objectif doit être le 9, ou le meilleur joueur de ton équipe. La première pensée pour attaquer, ça doit être de donner la balle à ton buteur, ou à celui qui te fait mieux jouer.  »

Pas de guerre du ballon entre ces deux-là, mais une guerre d’idées. Jusque dans l’éducation thoracique, entre un club où  » on nous apprend à tout donner « , raconte Koke, et un entraîneur pour qui perdre la balle est un crime. Car Guardiola vient de Barcelone. Un club où Paco Seirul.lo, préparateur physique de renommée mondiale, n’a volontairement pas travaillé le volume physique d’Andrés Iniesta jusqu’à ses dix-huit ans. Tout simplement pour qu’il souffre quand il n’avait pas le ballon, quand il devait défendre. Quelle meilleure manière d’apprendre à un joueur à ne jamais perdre la balle ?

La physionomie de la demi-finale sera sans surprise. Les chiffres le confirment encore. Au Bayern, onze des vingt-trois joueurs qui ont disputé plus de nonante minutes dans cette Ligue des Champions volent au-delà des 90 % de passes réussies. L’Atlético répond avec ses poumons : cinq colchoneros figurent dans le top 10 de la compétition au niveau des kilomètres parcourus.

IDENTITÉS EN CHANTIER

 » Être une équipe offensive, ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas défendre, mais qu’il est important de pouvoir le faire avec le moins de joueurs possibles.  » En une phrase, Manuel Pellegrini résume sans doute l’enjeu de l’autre demi-finale. Trouver l’équilibre entre l’empilement de stars offensives peu enclines à courir vers l’arrière et la protection de son but.

Un exercice périlleux qu’a déjà accompli Zinédine Zidane, alors qu’il parcourait encore la pelouse du Bernabeú avec un numéro 5 dans le dos. Cette fois, c’est en tant qu’entraîneur que Zizou va devoir équilibrer les siens. Et pour éviter de devoir courir, il a choisi sa méthode :  » La meilleure manière de défendre, c’est d’avoir le ballon.  »

 » Je veux la possession, et un jeu basé sur des passes rapides, à deux ou trois touches. L’idée, c’est d’arriver très vite devant le but adverse, mais d’arriver en nombre « , poursuit le coach français. Son Real européen tourne à 617 passes par match, mais la présence de Casemiro au milieu de terrain depuis plusieurs semaines prouve que Zidane a mis de l’eau dans ses idées pour imperméabiliser comme il le peut la défense d’une des rares équipes du top européen où certains joueurs peuvent encore s’offrir le luxe de s’épargner des efforts défensifs.

Souvent présenté par le prisme de son diplôme en ingénierie, Manuel Pellegrini aime aussi le ballon. Démesurément. Mais la possession de ses Citizens a toujours été une histoire imparfaite, celle de passes sans intention jusqu’à l’arrivée du ballon dans les pieds d’un joueur capable de faire la différence tout seul, en une action. Une possession sans inspiration, car les idées étaient dans la tête de Juan Roman Riquelme à Villarreal, d’Isco à Malaga et résident maintenant entre les pieds de Kevin De Bruyne à Manchester.

S’il affirme toujours que  » le football doit être abordé comme un spectacle « , le Chilien tire le rideau dès que l’adversaire s’empare du ballon et City se retranche dans les coulisses, protégé par Fernando et Fernandinho. Une constante dans les exploits européens de Pellegrini, qui pouvait compter sur Marcos Senna ou Jérémy Toulalan lors de ses piges espagnoles.

Si City a atteint le dernier carré pour la première fois, c’est parce qu’il semble enfin savoir à quoi il joue, même si le plan est trop rudimentaire pour lui faire endosser un autre costume que celui de candidat le moins crédible à la victoire finale. Mais a-t-on vraiment besoin d’un plan élaboré quand on peut compter sur Sergio Agüero et Kevin De Bruyne ?

Diego Simeone vous répondra que oui. Parce que si la possession est un artifice pour l’Argentin, l’identité est essentielle :  » Ceux qui gagnent ne sont pas ceux qui jouent le mieux, mais ceux qui sont le plus sûrs de ce qu’ils font.  » L’important, ce n’est pas la maîtrise du ballon, mais celle du match.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

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