« 60 % DE POSSESSION DU BALLON, C’EST MON STYLE DE FOOTBALL « 

Jusqu’au début de l’EURO 2016, nous interviewons chaque semaine une sommité du football. Aujourd’hui, Morten Olsen, qui était jusqu’en décembre le sélectionneur européen le plus longtemps en activité, avec le Danemark. Il a dirigé l’équipe nationale de son pays pendant 15 ans, mais n’a pas pu conclure en beauté avec une participation au Championnat d’Europe. Pourtant, il ne regrette rien.

Depuis sa maison à Beersel, Morten Olsen (66 ans) jouit d’un beau panorama sur Bruxelles. Pendant que l’ancien sélectionneur du Danemark parle de son métier, des changements qu’il a vécus dans le monde du football au cours des 30 dernières années et de la manière dont il s’est adapté, une partie du réseau terroriste responsable des attentats de Bruxelles est démantelé à moins de dix kilomètres de là.

Dans quelques mois, Olsen ne devra pas avoir de crainte au sujet de la sécurité l’EURO en France, mais il aurait tout de même préféré être là.  » En tant que joueur, puis coach, j’ai participé à sept Championnats d’Europe « , rappelle-t-il.  » Je regrette, pour les jeunes joueurs qui n’ont jamais vécu cela, que nous ne nous soyons pas qualifiés. C’est une énorme déception. Je peux accepter de terminer derrière le Portugal et la Serbie, mais pas derrière l’Albanie. Et puis, ces barrages… Nous avions remporté les sept derniers matches contre la Suède et Zlatan n’avait jamais marqué contre nous. Cette fois, c’est Ibrahimovic lui-même qui nous a battus, pas la Suède. Car le Danemark est plus fort que la Suède.  »

On était fâché contre vous ?

MORTEN OLSEN :Oui, bien sûr. C’est logique. J’étais le responsable. Un an plus tôt, j’avais déjà annoncé que ce serait ma dernière campagne de qualification. Elle s’est conclue sur un échec. Il était donc normal que je tire ma révérence.

Vous auriez pu agir différemment ?

OLSEN : Ça ne sert à rien d’en parler après coup. Je ne suis pas le genre de coach qui refait le match après le coup de sifflet final et qui déclare : nous aurions pu faire ceci ou cela. Je suis resté fidèle à mes principes. Ils m’ont permis de remporter de nombreuses victoires, mais parfois aussi, ont débouché sur un échec. On peut en discuter à longueur de journées, ça ne changera rien. Les conclusions, je les garde pour moi et pour mon staff. Mais je persiste à penser que, sur base de nos qualités, nous aurions dû nous qualifier. Lorsqu’on aligne des jeunes joueurs, on est tributaire de la forme du moment. Ils connaissent des hauts et des bas. Certains joueurs venaient de changer de club lorsque la phase de qualification est entrée dans sa phase décisive, en septembre et en octobre. Avec tout ce que cela implique : nouvelles habitudes, nouveau coach, nouvelle tactique. J’aurais pu choisir d’autres joueurs. Mais je n’avais pas tellement le choix. Nous ne sommes pas aussi riches que la Belgique : nous n’avons pas cet apport multiculturel dont les Diables Rouges bénéficient, et que les Pays-Bas et la France utilisent depuis longtemps. L’Allemagne s’est aussi améliorée grâce à cet apport, ces dernières années.

L’Albanie vous a surpris ?

OLSEN : En football, personne ne veut dépendre du facteur chance. La chance, il faut la forcer. Mais parfois, des événements surviennent sur lesquels on n’a pas de prise. Le match entre la Serbie et l’Albanie a été interrompu à cause de drones qui survolaient le terrain. Dans un premier temps, l’UEFA a accordé zéro point aux deux équipes, mais l’Albanie a protesté et a fini par recevoir trois points, plusieurs mois plus tard. Que puis-je faire à ça, en tant que coach du Danemark ? Or, si l’Albanie n’avait pas reçu ces trois points, c’est nous qui serions allés à l’EURO. Cela étant dit, le contexte des petits pays a changé. Neuf des onze titulaires de l’Albanie ont été formés en Suisse. Ce n’est plus l’Albanie d’autrefois. En Suisse, ces joueurs ont bénéficié d’une très bonne formation, ont pu s’entraîner sur de bons terrains, sous la conduite de bons entraîneurs et d’un sélectionneur national italien. Ils ont surtout appris à défendre. Ce n’est pas interdit, mais lorsqu’on ne marque pas les premiers contre eux, cela devient compliqué. Le football a changé : aujourd’hui, tout le monde est capable de défendre. Nous avons rencontré le même problème que la Belgique : les adversaires nous ont attendus. Nous avons eu 60 % de possession du ballon dans quasiment tous les matches : c’est mon style de football.

ANDERLECHT

Quelles équipes suivrez-vous particulièrement pendant l’EURO ?

OLSEN : Surtout la Belgique. Vous n’êtes pas favori. Le favori, c’est la France. En cas de défection d’un joueur, il suffit d’en mettre un autre à sa place, qui est aussi bon que le titulaire. Nous avons affronté la France à deux reprises, en match amical : c’est tout simplement une bonne équipe. Après, il y a l’Espagne et l’Allemagne. L’Angleterre peut surprendre, mais ce n’est pas une équipe stable. Séduisante un jour, décevante le lendemain.

Vous trouvez important que les équipes produisent aussi du beau jeu ?

OLSEN : Oui. Pour moi, le résultat est important, mais la manière l’est tout autant. La manière a toujours été un objectif pour moi, sinon je ne serais pas resté aussi longtemps dans le football. En tant que joueur, j’ai eu la chance de jouer dans des équipes qui jouaient bien au foot, comme Anderlecht et le FC Cologne. En tant qu’entraîneur, j’ai également essayé d’être dominant. A la Coupe du Monde, le Costa Rica avait un entraîneur intelligent qui se basait sur une bonne organisation. Mais cela ne m’aurait pas intéressé d’être à la tête d’une équipe pareille. J’ai toujours réussi à convaincre mes joueurs et mes employeurs du bien-fondé de mes méthodes. Le plus important, pour un entraîneur, est que les joueurs éprouvent du plaisir. Pendant l’heure et demie qu’ils passent sur le terrain, ils doivent s’amuser, pas regarder le chrono. Notre objectif était de gagner en jouant bien. Je sais qu’il est très facile de défendre, mais ce n’est pas ce que je préconise. Je pars toujours du principe que, si nous avons le ballon, l’adversaire ne l’a pas.

Vous êtes surpris d’avoir tenu aussi longtemps comme sélectionneur national ?

OLSEN : Bien sûr. Au départ, j’avais signé un contrat de deux ans. Je m’étais dit que j’allais rester deux ans, peut-être quatre, et qu’ensuite je retournais dans un club. Les possibilités n’ont pas manqué, j’ai notamment eu des propositions en Bundesliga. Je pouvais aussi retourner à l’Ajax, avec un contrat de deux ans à la clef. Ou à Anderlecht, qui m’a contacté à plusieurs reprises. En 2004, j’aurais pu devenir le sélectionneur de l’Allemagne. Mais, diriger une équipe nationale, c’est aussi une affaire de coeur. A la tête du Danemark, j’étais à ma place.

Antonio Conte s’est dit heureux de retourner dans un club, de pouvoir fouler la pelouse tous les jours.

OLSEN : Je peux le comprendre. Nous avons commencé cette interview avec la question : quel style de jeu préconiser ? Avant mon époque, le Danemark se basait sur le style scandinave : une bonne organisation et un 4-4-2. Nous avons recherché la possession du ballon à partir de 2000, parce que nous avions un autre style de footballeurs. J’ai été influencé par mon expérience de joueur dans différents pays. On me demandait sans cesse : comment un si petit pays peut-il produire autant de bons footballeurs ? La réponse était : parce qu’on jouait beaucoup dans la rue. Nous sommes donc passés au 4-3-3, mais nous avons surtout travaillé la façon de créer des occasions. Je me suis souvenu de ma période comme international danois, lorsqu’on parlait de Danish Dynamite, accompagné de beau football.

Vous avez un jour déclaré qu’aussi longtemps que vous pourriez écouter la musique des joueurs, vous resteriez sélectionneur national. Vous y êtes parvenu jusqu’à la fin ?

OLSEN : Sans aucun problème. J’ai un avantage : lorsque la musique va trop fort, j’ai un appareil auditif. Certaines choses n’ont pas changé : c’est toujours ensemble que l’on obtient des résultats. Il y a d’autres choses qu’il faut pouvoir accepter d’une autre génération. Certains collègues s’irritent lorsque de jeunes joueurs remontent leurs bas jusqu’au-dessus du genou. C’est ainsi, il faut pouvoir l’accepter. Lorsque, comme c’est arrivé à Erevan, une seule salle de l’hôtel disposait du wi-fi, il ne faut pas s’étonner que tous les joueurs envahissent cette salle. En 2010, pendant la Coupe du Monde, j’ai interdit l’utilisation de Twitter à mes joueurs. Au Danemark, il n’y avait encore que 55.000 utilisateurs de Twitter. Je voyais toutes les fautes commises sur Twitter, y compris par des intellectuels et des politiciens. Il faut créer un esprit d’équipe. Un seul mot peut parfois détériorer toute l’ambiance. Les joueurs ont respecté mes directives, mais tous les médias me sont tombés sur le dos. Il est important de pouvoir compter, au sein du groupe, sur des joueurs qui veillent au respect de la culture. Ils sont mes bras droits sur le terrain et dans le vestiaire. Deux, trois ou quatre joueurs qui veillent à l’esprit d’équipe et qui demandent aux autres de se comporter en conséquence. Sans ce genre de joueur, un entraîneur n’est rien.

Lors de la Coupe du Monde 2010, on a vu avec la France comment un groupe pouvait rapidement exploser.

OLSEN : Effectivement. Nous étions au même endroit que les Français. Ce que nous avons vu et entendu là-bas était incroyable. Il est très important qu’un groupe vive bien ensemble. Etre entraîneur, ce n’est plus faire un one-man-show, comme il y a 20 ans. Il faut créer une ambiance de groupe. Comme l’a fait Vicente Del Bosqueavec l’Espagne.

TOMISLAV IVIC

En tant que joueur, vous avez travaillé sous la direction de Han Grijzenhout, Tomislav Ivic et Christoph Daum. Où avez-vous puisé votre inspiration ?

OLSEN : Ma dernière année à Anderlecht et mes deux dernières années à Cologne ont fait de moi un autre entraîneur. Christoph Daum est arrivé après trois mois, il était entraîneur de jeunes et avait cinq ans de moins que moi, mais était suffisamment malin pour écouter certains joueurs. Lorsque je suis passé d’Anderlecht à Cologne, on jouait encore un football physique là-bas. Nous avions de bons joueurs techniques, mais sur le plan tactique, nous n’étions nulle part. Chacun avait un adversaire à surveiller, et c’était tout. Pendant la trêve hivernale, nous sommes partis en Amérique du Sud. Nous avons essayé le pressing et la zone. Daum a eu la chance que les joueurs aient immédiatement adhéré : ils préféraient ça que courir derrière leur homme. Nous avons terminé deuxièmes, en jouant de cette manière. C’est alors que je me suis dit : imprimer ainsi sa griffe sur une équipe, cela doit procurer un sentiment incroyable.

Le football a évolué dans un sens positif au fil des années ?

OLSEN : Oui. On a touché le fond à la Coupe du Monde 1990, où la plupart des équipes remettaient systématiquement le ballon en retrait. C’était du football prévisible, ennuyeux. J’ai regardé de nombreux matches en lisant le journal : je savais qu’il ne se passerait rien, qu’on irait aux prolongations. Lors de la Coupe du Monde 1982, j’avais 32 ans. Pour moi, ce n’est pas l’Italie qui a triomphé. J’ai pleuré en voyant le Brésil à l’oeuvre, avec la meilleure équipe de son histoire. L’équipe danoise dont je faisais partie en 1986 a joué le meilleur football qu’on ait jamais pratiqué dans mon pays, mais elle n’a jamais rien gagné. Pourtant, au Danemark, les gens continuent à parler davantage de cette équipe de 1986 que de celle de 1992 qui a remporté le Championnat d’Europe. Je n’ai aucun respect pour les entraîneurs qui gagnent beaucoup d’argent en prônant un football défensif. Un jour, alors que j’entraînais l’Ajax, nous avons gagné un match 3-0, mais les spectateurs ont commencé à siffler. J’ai trouvé ça formidable. Les gens se rendent compte qu’il est très facile de pratiquer un football destructif. Etre créatif, surtout dans le football moderne, c’est beaucoup plus compliqué. On s’en aperçoit à la Coupe du Monde. A partir de 1998, on est revenu à un football plus technique. Les arbitres ont mieux protégé les meilleurs joueurs. Avant, le numéro 6 était un balayeur de rue, aujourd’hui il doit organiser le jeu et bien jouer au football. A Anderlecht, Ivic nous a positionnés, Ludo Coecket moi, en défense centrale, parce qu’il estimait que les défenseurs devaient être les premiers relanceurs. Lorsque le Danemark est devenu champion d’Europe à la surprise générale en 1992, le gardien Peter Schmeichel touchait en moyenne 55 fois le ballon pendant un match. La chute du Mur du Berlin en 1989 et l’arrêt Bosman en 1995 ont aussi transformé le football. Beaucoup de bons joueurs sont arrivés d’autres pays. Pour le football danois, ces événements ont produit moins d’effets positifs. Les footballeurs de mon pays peuvent encore aller jouer aux Pays-Bas, mais plus rarement en Italie, en Angleterre ou en Espagne, parce que la concurrence des Européens de l’Est et des Africains est devenue plus grande. Les équipes nationales qui comptent six titulaires évoluant en Premier League jouent mieux et plus vite que celles qui alignent des joueurs évoluant dans le championnat national. On a aussi pu le constater en Belgique.

400 MATCHES PAR SAISON

Lorsque vous avez quitté la Belgique comme joueur, les Diables Rouges jouaient différemment d’aujourd’hui. L’accent était mis sur l’organisation, pas sur un football offensif et attractif.

OLSEN : L’inspiration vient de nous, les entraîneurs. Avant, 75 % des entraînements en Scandinavie étaient basés sur : que faisons-nous lorsque l’adversaire est en possession du ballon ? C’est le plus facile. Se demander : que faisons-nous lorsque nous sommes en possession du ballon, est beaucoup plus compliqué. Ce fut longtemps la base du football néerlandais, ce l’est devenu au Danemark et en Belgique. C’est de cette manière que l’on forme de meilleurs footballeurs. Il faut demander aux joueurs de réfléchir, de faire preuve d’intelligence dans le jeu, d’être créatif et intuitif. En tant qu’entraîneur, il faut éviter d’enfermer les joueurs dans un carcan tactique trop rigide, il faut leur accorder une certaine liberté.

Vous avez senti la pression monter, ces dernières années ?

OLSEN : Absolument, surtout à cause des réseaux sociaux. Vous savez ce qui est important aujourd’hui ? Rester soi-même, garder sa propre opinion et croire en ses idées. Même si 90 % du monde extérieur tient un autre discours, je reste fidèle à ma propre philosophie.

Curieusement, pendant toutes ces années à la tête de l’équipe nationale danoise, vous êtes toujours resté habiter à Bruxelles.

OLSEN : Il y a 50 ans, lorsque j’ai commencé à jouer au football, tous les matches débutaient à 15 heures. On ne pouvait voir qu’un seul match. Aujourd’hui, on peut presque voir du football 24 heures sur 24. A partir de Bruxelles, on peut voir tous les matches. Depuis mon fauteuil, je visionne 400 matches par an à la télévision. Si j’ai besoin de parler à un joueur ou à un entraîneur, je prends l’avion. Ou mon téléphone.

Que voulez-vous encore accomplir dans le football ?

OLSEN : Je n’en ai pas encore terminé avec ma carrière. J’ai le choix, c’est positif. Ce qui est sûr, c’est que je m’engagerai uniquement là où je peux appliquer ma philosophie. Que ce soit avec une équipe nationale ou un club.

En tant que joueur, vous avez effectué certains choix étonnants. Vous avez, par exemple, eu la possibilité de signer au Bayern Munich.

OLSEN : Mais j’ai choisi le Cercle de Bruges. Oui, cela peut paraître étonnant, mais je connais mes capacités. A l’époque, signer au Bayern, c’était trop tôt pour moi. J’avais 20 ans. Et, en ces temps-là, un jeune de 20 ans, ce n’était pas comme aujourd’hui.

Vous suivez encore le football belge ?

OLSEN : J’ai assisté, un peu par hasard, à Anderlecht-Standard (3-3) cette saison. L’an prochain, le système des play-offs sera appliqué au Danemark, mais sans la division des points par deux. Que les six meilleures équipes puissent s’affronter quatre fois, est positif pour le développement des jeunes joueurs. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde compare, et on considère ce que l’on voit à la télévision comme la norme. Or, on ne voit que les meilleures équipes. Ce que je trouve dommage, c’est que beaucoup de bons joueurs usent leur short sur le banc parce qu’ils se retrouvent tous dans quelques équipes.

A votre époque, des équipes comme le Cercle ou le Lierse avaient aussi de bons footballeurs.

OLSEN : Après une saison, j’aurais pu quitter le Cercle pour partir à Anderlecht, mais je n’étais pas libre. Je ne me plains pas. J’ai vécu des années fantastiques comme footballeur, je ne jalouse pas les professionnels actuels. Nous n’étions pas suivis à la loupe, les réseaux sociaux n’existaient pas. Aujourd’hui, tout est amplifié. Avant, lorsque nous sortions et que nous buvions du coca, chacun savait qu’il y avait du rhum dedans, mais on n’en faisait pas tout un plat. Aujourd’hui, la photo apparaît directement sur internet.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Le favori de l’EURO, c’est la France.  » MORTEN OLSEN

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