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Victime d’une organisation sectaire: « Ils ont volé mon enfance »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Après avoir vécu 42 ans dans une organisation qu’elle qualifie de sectaire, Cindy a décidé de lui tourner le dos. En prenant conscience de l’emprisonnement qui y régnait. Témoignage.

Auprès des organismes d’analyse, d’aide aux victimes ou de lutte contre le phénomène sectaire, c’est une constante : ce sont plus souvent les proches qui appellent à l’aide ou demandent des informations sur certaines organisations que les adeptes eux-mêmes, chacun étant victime à sa façon.

C’est de sa propre initiative, par contre, que Cindy (1) a choisi de quitter le mouvement dont elle faisait partie depuis 42 ans. «Je n’ai pas été recrutée, puisque je suis née dedans.» Ses parents étaient entrés dans cette organisation qu’elle qualifie d’apocalyptique et millénariste.

Elle porte aujourd’hui un regard amer sur ce milieu. « L’organisation affiche un bonheur apparent, une belle image, des valeurs positives, des familles heureuses. Mais ça n’existe pas, c’est un appât », la réalité de ce qui y est vécu étant bien plus sombre, témoigne Cindy.

Tout y est strictement régenté, jusque dans les moindres détails de l’existence. « A la tête de l’organisation, on retrouve une petite dizaine d’hommes. Ils décident de tout dans ta vie, c’est très pyramidal. Même la conception de la parentalité est déformée, tu n’as pas vraiment de papa et de maman en fait.  Ta mère, c’est l’organisation, elle passe avant tes parents, tu lui dois obéissance.»

« Ta mère, c’est l’organisation, elle passe avant tes parents. »

Cette organisation, résume Cindy, promet à ses adeptes un paradis à venir, auquel seuls les adeptes auront accès. Pour y parvenir, les humains devront d’abord traverser une période de guerre. « Les enfants y grandissent donc baignés dans des images violentes, de mort, de souffrances et de sang, qui contrastent avec celles du paradis qu’on leur promet. On t’explique que les gens de ce monde sont méchants et que c’est l’organisation qui te protège. Imaginez les troubles affectifs et les peurs avec lesquels vous grandissez… »

« Je ne savais pas que j’étais dans une secte », poursuit-elle. A l’adolescence, elle a cherché deux fois à partir. « Mais je n’ai pas supporté l’ostracisme et ma famille me manquait trop. Je suis à chaque fois revenue, persuadée que j’avais mérité cette excommunication. »

Cindy a suivi sa scolarité dans une école ordinaire. « Je ne pouvais pas vraiment fréquenter les autres enfants. J’ai grandi avec ce sentiment de rejet, j’étais différente. Il m’était interdit de participer à des fêtes anniversaires, considérés comme des fêtes païennes, par exemple. Pas de fête de Noël, ni de Saint-Nicolas, rien du tout. Tu vis dans le monde, mais tu ne pas en profiter. C’est une prison psychologique. »

Mener une vie professionnelle y est parfaitement admis, voire encouragé. « Si ça peut servir à l’organisation, ils n’y verront pas d’inconvénient. Lancez vous dans la cuisine, ou l’informatique par exemple, et vous serez utile à la communauté », illustre l’ancienne adpete.

On s’y trouve, explique-t-elle, « un état de burnout spirituel permanent », où chaque comportement qui ne convient pas aux prescrits de la hiérarchie vous renvoie au jugement des autres et à votre propre culpabilité. « Les gourous retomberont toujours sur leurs pattes. Il faut comprendre que la communication de cette organisation est très subtile, fait de contradictions permanentes. Si vous cherchez à argumenter, ils trouveront toujours un moyen de vous répondre. »

C’est en période de pandémie qu’elle a claqué la porte, après avoir vu sur internet la vidéo d’une psychologue spécialisée dans l’emprise sectaire. « J’ai aussi entendu une femme témoigner de son passé dans une secte. Ce n’était pas la même, mais je retrouvais beaucoup de similitudes avec mon vécu. »

A force de s’informer et de développer son esprit critique, il lui est apparu qu’elle était membre d’une secte et qu’elle voulait la quitter. Elle a fait savoir à la communauté les raisons de son départ. La hiérarchie n’a pas cherché à la retenir, « c’était trop tard, j’étais devenue une hérétique ».

Aujourd’hui, Cindy reconstruit sa vie, en n’ayant plus de contact avec sa famille. « Je n’ai pas d’enfants, sans quoi je ne sais pas si j’aurais pu partir. Je pense que beaucoup de personnes aimeraient partir, en soi, mais ont peur de quitter leurs proches » ou ne savent pas dans quelle mesure leurs proches, leurs propres parents ou enfants, seraient ou non disposés à les suivre vers la sortie.

Cindy, depuis lors, a choisi de mener sa barque. « Ils m’ont déjà pris assez de temps pour que je me soucie d’eux. Cette organisation m’a volé mon enfance et une partie de ma vie », constate-t-elle aujourd’hui, avec le sentiment de ne jamais pouvoir rattraper une bonne part du temps perdu. »

(1) Prénom d’emprunt.

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