foodtech

« Un seul poulet peut nourrir le monde entier »: plongée dans les secrets de fabrication de votre nourriture de demain (reportage en Israël)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Entre ambition écologique et sécurité alimentaire, la foodtech israélienne ne manque pas d’inventivité pour imaginer la nourriture de demain. Miel sans abeille, lait sans vache, viande cultivée à base de cellules : les start-up varient les domaines d’exploration pour trouver le remède aux pénuries alimentaires. Dans cet élan d’innovation, obstacles législatifs et interrogations éthiques viennent jouer les trouble-fêtes. La route vers la révolution dans l’assiette est prometteuse, mais semble encore longue. Reportage.

Créer la nourriture de demain. C’est le challenge, ambitieux, que visent des dizaines de start-up israéliennes. Basées dans la FoodTech Valley, sorte de mini Silicon Valley au Nord d’Israël, ces entreprises pullulent à la vitesse grand V. Elles bénéficient d’un écosystème taillé sur mesure pour soutenir leur bon développement. Car en Terre Sainte, l’esprit d’entreprise est devenu un sport national. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’Israël est surnomée la « start-up nation ».

Le pays fait figure de pionnier dans la Foodtech. Ce développement accru peut s’expliquer, en partie, par la volonté historique, et parfois utopique, d’indépendance énergétique -et alimentaire- de la nation, en conflit avec une bonne partie de ses voisins (Syrie, Hezbollah libanais, Iran, Bande de Gaza). En raison de sa petite taille, l’Etat hébreu ne dispose pas d’une capacité agricole illimitée. Dès lors, prévoir des moyens alternatifs de production et anticiper le futur sont rapidement devenus des priorités nationales.

Bien aidées par des aides gouvernementales à la hauteur des ambitions affichées, les entreprises qui souhaitent se lancer pour révolutionner la nourriture de demain peuvent le faire sans trop de pression. « Si ça ne fonctionne pas, on s’en fiche un peu, l’important est de tenter sa chance », nous glisse Jonathan Berger, le CEO de The Kitchen, un incubateur de start-up à succès. La plateforme est un bon exemple de ce qui se fait de mieux en Israël : 215 millions de dollars levés et 22 entreprises lancées depuis 2015. Elle se targue, aussi, d’avoir décroché un « Sustainability Award », décerné par Bill Gates en personne, à San Francisco.

Les incubateurs font office de plaque tournante pour les start-up qui veulent se lancer dans la foodtech. Ici, certaines tentent de créer la viande de demain grâce à des protéines alternatives, d’autres veulent reconstituer du miel sans abeille, ou du ‘vrai’ lait sans vache. Pour tous, les ambitions semblent dantesques. « Un seul poulet peut nourrir le monde entier », selon le CEO de SuperMeat, qui recrée du poulet à partir des cellules de l’animal, multipliables à l’infini.

Pour une plongée dans les labos, les dégustations, et notre avis, ça se passe ici.

Un simple burger au poulet, en apparence…

Sécurité alimentaire et anti-gaspillage au coeur de la nourriture de demain

Le développement durable est au cœur des ambitions israéliennes. Pour les entreprises locales, il s’articule autour d’objectifs multiples mais intimement liés.

Parmi eux, la sécurité alimentaire est une véritable obsession qui accompagne la philosophie de chaque start-up visitée sur place. Le but, quelque peu idéaliste, est d’assurer un apport alimentaire régulier, sain et durable, malgré un réchauffement climatique qui frappe de plus en plus l’agriculture. Ou de contrer les crises alimentaires provoquées par des conflits mondiaux (la guerre en Ukraine et les problèmes liés à la livraison de blé qui en découlent est un exemple édifiant).

La start-up Mush Foods fait pousser ses champignons en labo. Objectif: les combiner à
la viande pour obtenir un produit hybride et moins cher.

Réduire le gaspillage alimentaire est un autre leitmotiv de la Foodtech israélienne, qui met régulièrement en exergue la surexploitation des ressources de la Terre (on utilise l’équivalent d’1,7 planète à l’heure actuelle). Plus frappant encore : 30 à 40% de la nourriture mondiale est gaspillée chaque année, en moyenne. En Inde, ce chiffre atteint même les 50%. Poids total du gaspillage alimentaire annuel mondial: 1,3 milliard de tonnes. A ce cocktail amer, on peut encore ajouter l’explosion démographique (en 2050, il faudrait 100 milliards d’animaux pour nourrir 10 milliards d’humains).

Des arguments qui permettent rapidement de se rendre compte de l’ambition qui anime les start-up israéliennes pour contrer l’urgence alimentaire et le possible désastre climatique à venir. « On a très peu de temps, et beaucoup à faire », résume Noga Sela Shalev, la CEO de Freshstart, autre incubateur de start-up important du pays.

Dans les labos de Wilk, on tente de reproduire du vrai lait de vache, sans toucher à la vache,
si ce n’est aux secrétions de ses cellules.

Obstacles et interrogations

Si la Foodtech a beaucoup d’arguments pour elle, plusieurs questions gravitent toutefois autour de son développement.

Son coût, d’abord, qui risque d’être élevé pour les premiers consommateurs.

Son éthique et son influence sur la santé humaine, ensuite, qui ne manqueront pas d’animer les débats : peut-on multiplier à l’infini les cellules d’un même animal sans risque pour la santé du monde entier? Peut-on réellement conserver les mêmes atouts nutritifs avec des aliments sortis d’un labo ? Peut-on faire manger à l’humanité entière une nourriture uniformisée, dont les lots de production seraient encore plus massifs qu’actuellement?

Son appellation, également, pose question. Peut-on appeler « miel » ce qui ne vient pas de l’abeille ou « poulet » si on ne se base que sur les cellules de l’animal ?

Son impact sur la planète semble à l’évidence moindre que celui provoqué par l’industrie actuelle. Mais si la foodtech devait se déployer à grande échelle, son coût climatique demeure flou.

Enfin, son acceptation par la population reste un grand point d’interrogation. Comment l’arrivée de cette nouvelle nourriture sur le marché sera-t-elle accueillie ? Par les consommateurs avec leurs habitudes alimentaires parfois très ancrées, d’une part, mais aussi par les lobbies de l’industrie de la viande, (dont la puissance d’action peut causer une solide opposition à la foodtech), ou par les diverses agences de régulation alimentaire mondiales (en Europe, l’EFSA, European Food Safety Authority, veille au grain).

Toutes ces questions sont plus que jamais au centre de l’actualité. Preuve en est, lors de notre voyage*, la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen était également de passage en Israël. Un déplacement qui avait pour thèmes principaux « l’énergie et la sécurité alimentaire, l’intensification de la coopération dans les domaines de la recherche, de la santé et du climat. » En plein dans le mille.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

La présidente européenne s’est félicitée d’un partenariat entre l’UE et Israël qui « unit nos forces pour aider à protéger le monde d’une crise alimentaire majeure. » Von der Leyen y a rappelé « les impacts de l’agression russe de l’Ukraine sur la sécurité alimentaire et l’approvisionnement énergétique. »

Une chose est sûre, pour la Foodtech, l’appétit vient en mangeant. Et elle n’a pas fini de nourrir ses ambitions…

*Voyage de presse réalisé du 12 au 16 juin 2022 avec EIPA.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire