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Traité de l’ONU: pourquoi les entreprises pharmaceutiques veulent explorer la haute mer

Stagiaire Le Vif

Un traité « historique » sur les océans a été voté le 5 mars par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Outre la protection de la haute mer, il prévoit le partage des bénéfices faits sur l’exploitation des ressources biologiques et génétiques des océans, un point d’intérêt majeur pour la recherche pharmaceutique. 

Après 15 ans de discussions, les pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) se sont accordés sur un traité visant la protection de la haute mer. Cette zone internationale représente 60% de la surface des mers et océans de la Terre et ne tombe sous aucune juridiction. N’importe quel pays pouvait donc pêcher et exploiter ces mers à condition de respecter la Convention de Montego Bay, de 1982.

Ce texte quarantenaire ne tient évidemment pas compte des nouvelles technologies qui permettent d’approfondir, au propre comme au figuré, la recherche dans les océans. Des moyens innovants ont été créés pour explorer les fonds des océans, à la recherches de ressources minérales et biologiques.

Ce nouveau traité était donc très attendu. Il a été qualifié d’ « historique » et de « capital » par les organisations environnementales, comme Greenpeace, bien que son contenu n’ait pas encore été publié et qu’il doit être traduit dans les langues officielles des Nations Unies. L’étape suivante, c’est sa signature par les Etats membres des Nations Unies et son adoption dans les législations nationales. Persiste encore le risque que les plus puissant ne le ratifient pas, ou qu’ils soient peu nombreux à le faire, ce qui réduirait considérablement son utilité.

Pas de doute sur la signature de la Belgique. Le plat pays se démarque comme un des Etats leaders dans ce processus, le Ministre de la mer du Nord, Vincent Quinckenborne (Open VLD), a d’ailleurs proposé que la Belgique héberge le secrétariat de ce futur traité.  

Les océans grouillent de ressources biologiques

Mais au niveau des ressources biologique, de quoi parle-t-on ? Les mers sont riches en biodiversité, et les organismes qui y vivent font l’objet d’études depuis des années dans des buts pharmaceutiques ou cosmétiques.

Selon Nathan Schtickzelle, professeur à l’Ecole de biologie de l’UCLouvain, la recherche génétique, en mer comme sur terre, est fructueuse. « La pénicilline vient d’un champignon », rappelle-t-il. Nombreux sont les composés de nos médicaments qui ne peuvent pas être synthétisés. Pour le biologiste, « les entreprises pharmaceutiques à la recherche de composés qui pourraient servir d’antibiotiques ou à lutter contre le cancer ont intérêt à enregistrer un maximum d’espèces vivantes ».

Et ce constat est valable sur terre comme en mer. Le professeur de l’UCLouvain donne l’exemple des fumeurs noirs, des zones en mer où de l’eau douce très chaude venant des profondeurs resurgit : «  Il y a des zones où l’eau est à 150 degrés. Elle est remplie de composés chimiques extrêmement dangereux mais beaucoup d’espèces y vivent. Ce qui veut dire qu’elles se sont adaptées à ces composés chimiques très dangereux pour les humains. On peut imaginer qu’elles ont développé des fonctions qui leur permettent de se protéger du cyanure et du soufre, par exemple. » Les scientifiques auraient donc intérêt à rechercher les particularités génétiques de ces espèces, dans l’objectif de découvrir une composante qui permettrait de lutter contre des poisons pour l’être humain.  Pour Nicolas Schtickzelle, c’est donc « dans les environnements spéciaux  qu’on peut trouver plus d’espèces aux fonctions particulières et qui ont été peu étudiées. ».

Traité sur la haute mer : un combat gagné pour les Etats pauvres

D’après Greenpeace, ONG de protection de l’environnement, le partage des bénéfices de ces ressources génétiques des océans entre les Etats membres « était un point de friction majeur ». Ce désaccord était aussi la raison pour laquelle la signature du traité avait été bloquée en 2020. Les pays en développement, qui n’ont pas les moyens d’explorer les fonds marins réclamaient leur part monétaire. C’est seulement au dernier jour des discussions qu’un compromis a été trouvé.

Parce que dans le pharma, les trouvailles génétiques peuvent rapporter gros : le remdesivir, premier traitement agréé contre le coronavirus, était issu de ressources marines. L’anti-cancéreux Halaven, provenant d’une éponge de mer, voit ses ventes annuelles franchir les 300 millions de dollars. Le marché de la biotechnologie marine devrait atteindre 7.3 milliards de dollars d’ici 2026.

« Tous les composés sont codés dans le patrimoine génétique des espèces. Avec les avancées des techniques génétiques, il ne sera peut-être bientôt plus nécessaire de faire des élevages d’animaux et des cultures de plantes pour récupérer ces composés. Il suffit parfois d’aller récupérer la recette, dans leur patrimoine génétique, ce que les entreprises pharmaceutiques brevètent », explique Nicolas Schtickzelle (UCLouvain). « C’est un grand débat de société aussi : est-ce qu’une entreprise privée peut profiter d’une invention de la nature qui pourrait aussi appartenir aux communautés locales ? ».

Exploitation, exploration… préservation ?

« Tout exploration va avec des dangers de destruction », annonce Nicolas Schtickzelle. Mais d’après lui, ce n’est pas la recherche qui nuit le plus aux écosystème. « Ce que veulent les firmes pharmaceutiques, c’est la diversité. Elle cherchent à tester plein d’espèces pour en trouver une ‘miracle’. Elles n’ont pas besoin d’avoir des quantités gigantesques de chaque espèce échantillonnée. »

Pour le professeur de l’UCLouvain, la pêche intensive, par exemple, s’avère un bien plus grand danger que la recherche scientifique. « Un petit bémol, c’est que les firmes pharmaceutiques pourraient vouloir échantillonner des écosystèmes très profonds dans la mer, parce qu’on y trouve des espèces spéciales. Plus vous descendez dans le fond marin, plus l’environnement est stable. A 3000 mètres de profondeur, il n’y a jamais rien qui change, la température est parfaitement constante, il n’y a pas de saisons, les espèces se reproduisent plus lentement, ces écosystèmes sont beaucoup plus fragiles. » Les chercheurs et chercheuses devront donc préserver ces écosystèmes, et le nouveau traité de l’ONU pourrait être un premier pas pour s’en assurer.

Déborah Van Thournout, porte-parole du WWF-Belgique, association de protection des animaux, se réjouit de ce traité : « L’accord permettra la création d’aires marines protégées en haute mer. Les activités en haute mer susceptibles d’avoir un impact sur la vie des océans devront être couvertes par des évaluations d’impact environnemental, ce qui permettra de mettre un terme aux activités dommageables et de réduire les potentiel impacts cumulatifs de toutes ses activités. L’exploration des fonds marins en fait bien sûr partie. »

Zoé Leclercq

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