Et si nos «doudous technologiques» ne faisaient qu’accentuer notre angoisse du mal-dormir? © getty images

Surveiller son sommeil pour en améliorer la qualité: une bonne idée?

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Polysomnographie, détecteurs, moniteurs, bracelets connectés: notre sommeil fait l’objet d’une étroite surveillance. Avec quelle fiabilité?

Plus on le cherche, moins on le trouve. Notre sommeil, lorsqu’il n’est pas réparateur, nous tracasse, nous obnubile et, au final, nous empêche de fermer l’œil. Pour sortir du cercle vicieux et rétablir notre rythme circadien, plusieurs approches sont possibles. La plus évidente, lorsque ce ne sont pas les tracas qui nous minent, consiste à modifier nos habitudes de vie et à éliminer les perturbateurs de sommeil que sont le bruit, la lumière (surtout la bleue qui réduit le taux de mélatonine) et certaines substances comme les boissons énergisantes, l’alcool, les médicaments.

Toutes ces mauvaises manies dont nous connaissons les effets néfastes mais que nous avons tant de mal à bannir, au grand désespoir de notre médecin généraliste. Il arrive aussi que, malgré ce rééquilibrage, les problèmes s’enracinent. Un sommeil non réparateur ou des réveils nocturnes peuvent en effet être le symptôme d’apnées- hypopnées, de fatigue chronique, de narcolepsie, de jambes sans repos, d’insomnies, etc.

Certaines innovations sont utiles mais incomplètes, et souvent non validées sur le plan médical.

Plusieurs dispositifs de surveillance du sommeil permettent de tirer au clair les causes de ces mauvaises nuits, dont le plus fréquent: la polysomnographie.

L’examen complet vise à étudier la physiologie du sommeil à travers un éléctro- encéphalogramme, pour mesurer l’activité électrique du cerveau, et un électro- myogramme des muscles des jambes, pour en mesurer la tonicité. Sont aussi analysés la respiration (via deux tubes fins placés dans les narines), le rythme cardiaque et le taux d’oxygène dans le sang. Le dormeur est filmé durant toute la durée de l’examen et son comportement observé par le technicien présent.

En clinique ou à domicile

Pour recueillir tous ces signaux, le patient est affublé de nombreux capteurs répartis sur le cuir chevelu, le visage, le thorax et les jambes et reliés par des fils à un boîtier. La polysomnographie peut être réalisée dans un laboratoire du sommeil ou à domicile. Il existe également une version simplifiée d’enregistrement du sommeil mais prescrite uniquement pour la détection des apnées du sommeil: la polygraphie du sommeil, précise Marie Bruyneel, cheffe de service de la pneumologie et du labo du sommeil au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles.

Un autre dispositif utilisé en ambulatoire, visant cette fois à détecter de potentielles hypopnées, consiste à insérer un tube très fin dans la narine pour mesurer le taux d’oxygène. Utilisé en complément de la polysomnographie, il livre toutefois peu de signaux et donne des résultats assez médiocres, évalue Marie Bruyneel. Ainsi, pour évaluer le somnambulisme , on se dirigera plutôt vers une vidéo-polysomnographie pour poser le diagnostic et non vers une polygraphie.

Les personnes qui souffrent d’apnées peuvent aussi se reposer sur le Sleep analyzer. Développé par la firme Withings, en collaboration avec des médecins du sommeil de l’hôpital Antoine-Béclère à Paris et du CHU Saint-Pierre à Bruxelles, le détecteur équipé d’un capteur pneumatique connecté à un boîtier bénéficie d’un certificat de conformité européen. Glissé sous le matelas, l’étroit tapis mesure les mouvements de la cage thoracique, la fréquence cardiaque et peut ainsi analyser les périodes de sommeil et leur durée. Un capteur basse fréquence permet aussi d’analyser les ronflements. L’ensemble des données permet la détection d’apnées du sommeil et livre chaque nuit un bilan de sommeil.

Et chez les plus petits? Un dispositif de surveillance respiratoire peut-il empêcher les cas de mort subite chez le nourrisson? Pour le Dr Nicole Seret, responsable de l’unité pédiatrique au CHC MontLégia à Liège, la fiabilité du système reste relative. «Ce type de matelas mesure les mouvements respiratoires du bébé et déclenche une alerte en cas d’anomalie. Mais il existe un risque de fausses alertes, notamment si le bébé respire de façon plus superficielle. Les parents pensent alors que leur enfant est en train de mourir, ce qui a pour conséquence d’augmenter leur angoisse. L’autre risque, si les parents ne sont pas convaincus de l’utilité du dispositif, est d’avoir tendance à oublier de le brancher. Mais ils n’iront pas forcément davantage vérifier que tout va bien. Dans certains pays où l’on a fortement cédé à la mode du monitoring, le nombre de décès n’est pas moins élevé qu’ailleurs, a-t-on constaté.

La mesure la plus efficace, encore aujourd’hui, est d’expliquer aux parents comment coucher un enfant de façon sécurisée plutôt que confier son sommeil à une machine.» Grâce aux campagnes d’information, le nombre de morts subites, qui touche prioritairement les enfants âgés de 2 à 4 mois, est en forte diminution (une cinquantaine de cas par an en Belgique).

Utiles mais recalées

Le sommeil vaut de l’or. Ce n’est pas aux développeurs qu’il faut l’expliquer. On ne compte plus les applis pour smartphone destinées à rendre nos nuits plus paisibles. Le son relaxant du crépitement du feu dans la cheminée ou la symphonie des vagues peuvent effectivement nous pousser dans les bras de Morphée. Ces dernières années, une palette de trackers destinés à collecter des données sur le sommeil à domicile sont apparus, sans que leur fiabilité ait fait l’objet d’une évaluation scientifique et indépendante. Une étude, publiée en 2020 dans Nature and Science of Sleep, sur neuf appareils a démontré qu’aucun n’a atteint le seuil à partir duquel les résultats d’un test sont jugés fiables.

Selon le modèle, certains paramètres étaient correctement notifiés, d’autres nettement moins. Globalement, tous étaient insatisfaisants. Malgré ce bilan mitigé, les chercheurs avaient estimé que la possibilité de suivre avec précision les tendances longitudinales du sommeil grâce aux technologies commerciales représente une opportunité précieuse, car elle offre des informations inestimables aux consommateurs, aux chercheurs et aux cliniciens.

«Certaines innovations, principalement les montres connectées, sont effectivement encourageantes, abonde le Dr Bruyneel, car elles permettent de détecter les troubles du rythme cardiaque, le taux d’oxygène dans le sang, d’analyser l’activité physique et son intensité, de savoir si le patient est au repos grâce à un accéléromètre… Elles sont utiles mais incomplètes, et la plupart du temps non validées sur le plan médical.» Le risque est aussi d’accorder trop d’importance à ces doudous technologiques et d’accentuer l’angoisse du mal-dormir en se focalisant sur tous ces paramètres. Au point d’en perdre, un peu plus encore, le sommeil.

Dans Le Vif du 4 mai, retrouvez le dernier épisode de notre série consacrée au sommeil: «La mélatonine, ni un somnifère ni miraculeuse».

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