© YVES HERMAN/REUTERS

Schizophrénie : maladie auto-immune ?

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Des chercheurs belges ont comparé le cerveau de schizophrènes pendant et après les symptômes psychotiques, qui incluent délires verbaux ou hallucinations. Les travaux, à l’université d’Anvers, semblent confirmer la théorie selon laquelle la schizophrénie fonctionne comme une maladie auto-immune.

Dès 1982, Irwin Feinberg avançait la théorie selon laquelle un élagage excessif des synapses, ces connections entre les neurones, durant l’adolescence, pourrait être la cause de la schizophrénie. L’élagage synaptique est un phénomène normal, que tous les êtres humains traversent, au sortir de l’enfance. Aujourd’hui, les travaux d’une équipe belge vont bien au-delà des réflexions de Feinberg. Pendant quatre ans, l’équipe du psychiatre Manuel Morrens, liée à l’université d’Anvers, le groupe Capri, a travaillé sur les cerveaux de patients schizophrènes. Objectif : détecter des altérations des processus biochimiques suggérant la présence d’une maladie, grâce au PETscan (un examen d’imagerie nucléaire). Ainsi, Capri a-t-il passé au PETscan 14 personnes souffrant de schizophrénie. D’abord, en pleine crise, et ensuite, quatre à six semaines après la disparition des symptômes. Le groupe de contrôle comprenait 17 patients sains.  » Avant nous, personne n’a jamais mené une étude de ce type « , s’enthousiasme Manuel Morrens.

Le stress abîme le cerveau

Les résultats que le docteur Morrens s’apprête à publier dans le Journal of Nuclear Medicine sont bluffants. Ils confirment une hyperstimulation de la microglie (ces cellules considérées comme les  » petits soldats du cerveau « , qui s’activent en cas d’attaque, stress, microbe, virus…). Cette hyperactivité conduit à un élagage synaptique massif.  » Chez le schizophrène, en cas de stress, la microglie s’excite trop.  » En clair : le système immunitaire s’attaque arbitrairement aux constituants normaux de l’organisme. Et pas seulement, au cours de l’adolescence, comme le pensait Feinberg.

C’est le principe même de la maladie auto-immune, comme le diabète de type I ou encore la polyarthrite rhumatoïde. Que la schizophrénie soit une maladie auto-immune, n’est pas non plus une hypothèse innovante, mais elle semble enfin être confirmée de façon empirique, par les travaux du docteur Morrens.  » On ajoute un joli petit morceau au puzzle de la psychiatrie « , estime ce dernier. Si la schizophrénie s’avérait effectivement être une maladie auto-immune, cela impliquerait un virage à 180 degrés, dans son traitement. La psychiatrie actuelle tremblerait sur ses bases.

La schizophrénie à la poubelle

La schizophrénie, c’est la maladie psychiatrique, par excellence. C’est la plus terrible. La plus mystérieuse, aussi. Jusqu’à présent, sa cause n’a jamais été formellement identifiée, même si des corrélations robustes ont été établies entre traumatismes, stress et survenue de ce trouble. Ainsi, une personne ayant subi des violences sexuelles ou physiques durant l’enfance a 50 % de risques supplémentaires de développer ce syndrome qu’une personne ayant vécu une vie sereine et sans abus.

Aujourd’hui, de nombreux psychiatres en appellent à l’abandon pur et simple du terme  » schizophrénie « . Ainsi, au Japon, la schizophrénie a-t-elle récemment été rebaptisée  » trouble de l’intégration « . L’idée, c’est que la psychose n’est pas un état permanent. Elle existerait sur un continuum et à différents degrés. Dans cette optique, la schizophrénie se situerait à l’extrémité de ce continuum de symptômes. C’est pourquoi on pourrait bientôt mettre ce mot-là à la poubelle et parler dorénavant de  » trouble du spectre psychotique « .

Un trouble grave et éprouvant

Quel que soit le nom qu’on lui donne, la réalité de ce trouble ne change pas : près d’une personne sur cent présente ces symptômes dans le monde. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) la classe parmi les dix maladies les plus invalidantes. Il diminue l’espérance de vie de vingt ans et seule une personne sur sept en guérit. Ce trouble grave et éprouvant (tant pour le patient que pour son entourage) se caractérise principalement par une confusion entre la réalité et l’imaginaire, des hallucinations (auditives ou visuelles), des idées ou des discours délirants, des pensées et comportement désorganisés, une apathie et une alexithymie (difficulté à comprendre les émotions d’autrui et à exprimer ses propres émotions).

Une collection unique de cerveaux humains

Des étalages de cerveaux dans le sous-sol de l'hôpital psychiatrique de Duffel, près d'Anvers.
Des étalages de cerveaux dans le sous-sol de l’hôpital psychiatrique de Duffel, près d’Anvers.© EPA/STéPHANIE LECOCQ

 » Bonjour, nous avons 3 300 cerveaux à transporter, en camion, de Southampton vers Anvers.  » Lorsque, l’année dernière, le psychiatre Manuel Morrens fait le tour des services de livraison, avec sa si singulière requête, personne n’en croit ses oreilles.  » Vous parlez de cerveaux… humains… dans du formol ?  » De fait, il s’agit de la plus grosse collection de ce type du monde occidental. Et, depuis l’été 2016, la  » collection Corsellis  » repose dans le sous-sol de l’hôpital psychiatrique universitaire de Duffel, près d’Anvers.

Après un voyage rocambolesque entre le Royaume-Uni et la Belgique, ces cerveaux-là, provenant principalement de patients schizophrènes, sont passés au microscope, par l’équipe du docteur Morrens, le groupe Capri, liée à l’université d’Anvers. Le but : déterminer exactement les zones qui subissent une inflammation, lors d’une schizophrénie. En filigrane : l’idée selon laquelle ce trouble mental fonctionnerait comme n’importe quelle  » maladie ordinaire « . En réalité, l’hôpital psychiatrique de Duffel ne possède que 2 500 cerveaux, et non 3 300.  » Il y a dû avoir une erreur quelque part, quand on nous a légué ces cerveaux. Mais nous n’allions pas chipoter « , commente le docteur Morrens. Commencée en 1951, achevée en 1997, cette collection comptait à la base 8 500 cerveaux.

Aujourd’hui, la plus grosse partie se trouve en Chine. Si elle est si précieuse, c’est parce qu’elle comporte de nombreux cerveaux vierges de tout traitement médicamenteux. Une merveilleuse terra incognita à explorer, pour les chercheurs.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire