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Quand le fitness rend stérile

Ils ont l’air parfaitement innocents, ces « shakes » protéinés « naturels » qui aident à faire gonfler les muscles et fondre la graisse. Jusqu’à ce qu’on se retrouve stérile ou souffrant d’un autre problème de santé. Certains commerces, en effet, ne manquent pas de produits dangereux.

« Oui, je me fais vraiment du souci », témoigne le Pr Dirk Vanderschueren, andrologue et endocrinologue à l’UZ Louvain. Année après année, il voit de plus en plus d’hommes affichant des taux extrêmement bas de testostérone dans le sang. « Les taux sont parfois inférieurs à ceux que l’on observe chez les femmes », ajoute-t-il. Les conséquences ne sont pas anodines : troubles sexuels, tensions relationnelles, féminisation du corps avec disparition de la pilosité et développement des seins, ou encore manque général d’énergie, pensées dépressives ou suicidaires et, parfois, crises d’agressivité.

Le professeur voit ainsi de nombreux hommes en carence en testostérone, envoyés par le Centre de la fertilité de l’Hôpital Universitaire. Des hommes qui, du coup, ne produisent plus que très peu de spermatozoïdes, voire plus du tout. Comme une carence en testostérone peut être la conséquence d’une tumeur ou d’une autre maladie grave, Dirk Vanderschueren doit faire réaliser toute une série d’examens, et chercher encore ailleurs lorsqu’il ne trouve rien. Il apparaît alors que bon nombre de ces hommes prennent des compléments alimentaires, et plus précisément des shakes de protéines qu’ils achètent sur internet ou dans un magasin orienté fitness. Le spécialiste a souvent observé que le taux de testostérone grimpe en flèche dès que ces hommes arrêtent d’avaler ces shakes. D’après lui, cela ne peut indiquer qu’une seule chose : certains shakes contiennent des stéroïdes anabolisants.

Si innocents…

Les stéroïdes anabolisants sont devenus très populaires chez les bodybuilders dès les années 60, ainsi que chez les haltérophiles et les pratiquants d’autres sports nécessitant beaucoup de force musculaire. Les anabolisants sont des dérivés des hormones masculines, et ils favorisent la croissance de la masse musculaire. C’est pour cette raison qu’ils sont également utilisés (en toute illégalité) par certains éleveurs de bétail. Ils présentent de très nombreux effets indésirables, et les bodybuilders qui en avalent – ou s’en injectent – consciemment le savent très bien et choisissent de prendre ce risque. Dirk Vanderschueren s’inquiète surtout pour les hommes qui font de la musculation à domicile et qui ne sont pas au courant des stéroïdes anabolisants contenus dans leurs suppléments protéinés.

Une quantité inconnue

Dirk Vanderschueren pense que lui-même ne voit que le sommet de l’iceberg, à savoir les hommes qui n’arrivent pas à avoir d’enfant, qui voient leurs seins se développer soudainement ou leurs testicules rétrécir jusqu’à la taille de petits pois. Nous ne saurons jamais exactement combien d’hommes sont concernés, car le marché noir est par définition un domaine peu transparent. Rien que dans les centres de fitness aux Pays-Bas, on estime que les personnes qui se dopent constituent plus d’1 % de la population globale, soit 160.000 personnes. Ces chiffres sont probablement comparables chez nous. Et encore ne s’agit-il là que de consommateurs bien conscients, dont on peut imaginer qu’ils connaissent au moins un peu les risques qu’ils encourent.

Une criminalité tolérée ?

Il faut avaler de fortes doses de stéroïdes puissants avant de rencontrer des problèmes sérieux de fertilité et de voir son taux de testostérone s’effondrer. Il est donc très peu probable que cela provienne de simples impuretés liées à des processus de production peu soigneux. Dirk Vanderschueren pense dès lors que certains suppléments illégaux sont volontairement manipulés pour obtenir un effet plus marqué, avec l’objectif de se forger une réputation d’efficacité. « Je pensais que ce flacon acheté au centre de fitness était beaucoup plus efficace que ceux qu’on vend en pharmacie », lui a raconté un de ses patients.

Jan Tytgat, professeur de pharmacie à la division Toxicologie et Pharmacologie de la KUL est entièrement d’accord avec Dirk Vanderschueren : lui non plus ne doute pas qu’il s’agit d’actes criminels, même s’il n’observe pas grand-chose au travers des contrôles qu’il réalise notamment dans le cadre de procédures judiciaires. Jan Tytgat se pose d’ailleurs des questions au sujet du suivi pénal : « J’ai l’impression que le parquet n’apporte pas une grande priorité à la détection dans ce domaine. La situation est peut-être comparable à la tolérance pour le commerce du cannabis : on sait qu’il existe et qu’il est illégal, mais on n’intervient que lorsqu’il fait des victimes ou qu’il se produit à grande échelle, par exemple lorsque des douaniers font de grosses prises. »

Inconnu, et pas testé

Une raison supplémentaire d’être particulièrement attentif aux produits vendus dans les circuits illégaux est la nature et le dosage des produits. Ainsi, par exemple, les stéroïdes de synthèse sont conçus de manière à ce que les méthodes classiques de dépistage ne puissent pas les mettre en évidence. Le problème est que chaque variation du produit peut avoir un effet sur son activité. Il est par exemple tout à fait possible qu’un stéroïde de synthèse particulier augmente peu la masse musculaire mais qu’il rende, par contre, agressif. En réalité, on n’en sait rien, car ces produits ne sont jamais testés réellement.

La seule chose que Jan Tytgat peut faire, c’est détecter ces substances et avertir les consommateurs. Cela fonctionne de mieux en mieux, même avec des échantillons inconnus : « Il n’est pas aisé de tout détecter à coup sûr, mais lorsque nous suspectons la présence de renforçateurs musculaires, il est rare que nous passions à côté. En général, nous trouvons des traces d’un anabolisant inconnu, peut-être un stéroïde de synthèse. Nous en restons là, car identifier ces produits à 100 % et les doser demande beaucoup d’analyses et coûte cher, alors que l’information supplémentaire que cela apporte est rarement intéressante.  »

Jan Tytgat informe les clients sur les risques possibles pour leur santé et les conséquences juridiques éventuelles, mais c’est là que s’arrête sa mission. « Il appartient aux gens de décider pour eux-mêmes ce qu’ils feront par la suite. »

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