Pourquoi le somnambulisme reste un mystère pour la science

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le somnambulisme continue de déconcerter les chercheurs. Les troubles du comportement en sommeil paradoxal, annonciateurs de mauvaises nouvelles, sont moins connus.

Rêver n’est pas toujours un moment de bonheur. C’est surtout vrai pour les personnes souffrant de somnambulisme. Car, dans 60% à 70% de leurs songes, ils vivent des scénarios menaçants ou catastrophiques: des murs qui rétrécissent, des trous béants, un plafond qui s’effondre, etc. C’est pour fuir le danger qu’ils sortent de leur lit et peuvent alors se retrouver dans des situations dangereuses.

Ce comportement nocturne survient toujours en phase de sommeil lent profond, jamais pendant le rêve, en première partie de nuit. Le somnambule se balade les yeux ouverts mais ne voit pas réellement ce qui se passe autour de lui. Il peut parler également. Son discours est plutôt chuchoté, composé de mots ou de phrases répétés, voire d’un langage ordurier accompagné de gestes. Durant cette phase, le tonus musculaire est diminué, mais encore partiellement présent, permettant au somnambule de déambuler, courir, ouvrir la porte du frigo, ranger, faire la vaisselle. Les épisodes de somnambulisme durent généralement une dizaine de minutes, parfois davantage. Bref, le corps est alerte, mais l’esprit dort – seule une petite partie du cerveau est éveillée. «Nous ne savons pas encore comment l’expliquer d’un point de vue neurologique, concède Steven Laureys, neurologue et directeur du Centre du cerveau au CHU de Liège, mais le somnambule a un comportement moteur et émotionnel évident, sans contrôle conscient.»

Le cerveau qui rêve peut retrouver seul certaines facultés, sans médicaments.

Un état dissociatif

Durant sa promenade nocturne, s’il se cogne le petit orteil contre la table basse du salon, il n’aura probablement rien senti. Ce choc qui vous plierait en deux de douleur a peu de chances de perturber celui qui marche en dormant. Des études menées auprès de cette population, par ailleurs plus sujette aux migraines et aux maux de tête en journée, mettent en lumière une énigme clinique: la très grande majorité ne ressent ni la souffrance ni le froid durant leur crise. L’enregistrement en temps réel du fonctionnement cérébral de dormeurs en accès de somnambulisme montre ainsi une dissociation de l’activité de différentes zones du cerveau, comme un état d’éveil incomplet. Et conduit les chercheurs à formuler cette hypothèse: le circuit permettant de traiter l’information de la douleur ne fonctionnerait pas correctement. Un problème de nociception, un processus sensoriel à l’origine du message nerveux qui provoque la douleur et sert normalement d’alerte à l’organisme, serait une composante intrinsèque du trouble. Cet état dissociatif peut également modifier la perception du milieu et des risques, ainsi que la conscience. Des clichés révèlent que les lobes cérébraux frontaux et pariétaux – le réseau cérébral de l’état de conscience – sont moins irrigués. Les autres aires cérébrales, comme le thalamus, sont actives.

Divers facteurs

Personne n’a encore éclairci les causes du somnambulisme. Il a une forte composante génétique, mais il est aussi influencé par le mode de vie. Les crises sont régulièrement associées à des moments de stress. La fragmentation et le déficit de sommeil les favorisent également. Ainsi, après une nuit blanche, le somnambule récupère la nuit suivante en allongeant le temps passé en sommeil profond. Ce qui augmente le risque de faire des épisodes de somnambulisme. Enfin, des facteurs extérieurs peuvent les déclencher (un bruit soudain, la fièvre, certains somnifères) ou les rendre plus longues et plus sévères (la consommation d’alcool ou d’excitants). «Tout ce qui peut favoriser un sommeil fragile est un facteur de somnambulisme», note Steven Laureys.

Enigme clinique, le somnambulisme a une forte composante génétique.
Enigme clinique, le somnambulisme a une forte composante génétique. © belgaimage

Les crises peuvent être gênantes en cas de mise en danger. C’est le cas de cet homme qui est sorti de chez lui en courant et en dormant en ayant l’impression qu’il était poursuivi ou de cette jeune fille qui s’est engagée dans l’escalier et a raté une marche, se fracturant plusieurs membres. Le lendemain, ils ne se souviennent de rien ou en gardent un souvenir vague.

Quand faut-il consulter? Quand le trouble devient fréquent – au moins une fois par semaine –, qu’il engendre de la fatigue ou quand il y a eu des actions potentiellement dangereuses, des blessures ou des risques de blessures sur soi ou sur d’autres. Les traitements sont essentiellement non médicamenteux. Ils reposent sur la régularité des heures de coucher et de lever ainsi que sur la recherche de facteurs aggravants. L’hypnose médicale et la relaxation peuvent apporter un bénéfice. Un traitement médicamenteux peut être prescrit dans les cas les plus sévères.

La perte d’un verrou

Sur un autre tracé, les spécialistes du sommeil étudient ceux qui présentent des troubles du comportement pendant les phases de sommeil paradoxal (TCSP), ainsi appelé en raison d’une activité cérébrale intense et de la formation des rêves. Eux aussi ont des nuits agitées, avec beaucoup de cauchemars plutôt en fin de nuit. Ils connaissent des épisodes violents comme des agressions humaines ou animales dirigées contre eux ou leurs proches, se déroulant dans des décors hors de la chambre à coucher. Ils répondent physiquement en se battant contre leurs agresseurs et les coups atteignent le plus souvent ceux qui éventuellement dorment à leur côté. Au réveil, les patients souffrant de TCSP se rappellent de leurs cauchemars. Ils mettent donc en acte leurs rêves sans quitter leur lit, en gardant les yeux fermés. Au fil du temps, les nuits deviennent compliquées et dangereuses. Il n’existe guère de traitements. La mélatonine ou un somnifère peut atténuer efficacement les symptômes.

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© getty images

Ce trouble, plus rare que le somnambulisme (de 0,5% à 1%), se déclare après la cinquantaine et pourrait être annonciateur d’une mauvaise nouvelle: un signe précoce de maladies neurodégénératives, en particulier la maladie de Parkinson. De plus en plus d’études, comme celle parue en février dernier dans la revue Scientific American, montrent un lien entre la pathologie et l’apparition, quelques années plus tard, de Parkinson ou d’une maladie proche. Chez ces patients, en effet, durant le sommeil paradoxal, le système de sécurité qui déconnecte le cerveau des muscles, pour maintenir le corps immobile et éviter de vivre nos rêves, ne fonctionne plus très bien. Or, chez les personnes atteintes de Parkinson, cette aire cérébrale se détériore entre sept à quinze ans avant les autres zones cérébrales. Ce verrou a été identifié en 2016 et se situe au milieu du tronc cérébral, dans la partie basse du cerveau. Jusqu’à ce jour, impossible de le réparer. «C’est donc bien la perte de ce verrou et le fait de commencer à extérioriser ses rêves qui est annonciateur de la maladie, pas le contenu des rêves», précise Isabelle Arnulf, neurologue, spécialiste des pathologies du sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et autrice de Une fenêtre sur les rêves. Neurologie et pathologies du sommeil (Odile Jacob Poches, 2022).

Une fois la maladie installée, 60% des patients continuent d’extérioriser leurs cauchemars. Etonnamment, des personnes très diminuées par Parkinson durant l’éveil parviennent à bouger avec aisance pendant le sommeil paradoxal lors des TCSP. Combats avec des dinosaures ou contre des caïmans, cueillette de pommes, tour de tango: comme si Parkinson avait disparu. Ce qui suggère que les mouvements générés durant le sommeil paradoxal passent par un autre circuit que celui actif durant l’éveil. Un circuit alternatif démasqué avec la perte du verrou. La découverte de ce système moteur «bis» ouvre des perspectives majeures. Car, si les chercheurs parviennent à l’activer volontairement, ils pourraient faire disparaître les symptômes, voire guérir la maladie. «Cela montre, en tout cas, que le cerveau qui rêve peut retrouver seul certaines facultés, sans médicaments», conclut Isabelle Arnulf.

Vrai/Faux

Il ne faut pas réveiller un somnambule

Vrai. Quand on réveille brutalement un somnambule, il peut revenir à lui alors en pleine confusion. Il risque alors de se montrer agressif ou de fuir. Mieux vaut le reconduire dans son lit en lui parlant gentiment ou, s’il se penche dangereusement à la fenêtre, l’arrêter calmement. Le somnambule se montre généralement docile.

Plus d’enfants que d’adultes

Vrai. Le somnambulisme touche 20% des enfants et 3% des adultes. Il apparaît souvent dans l’enfance. A ces âges, les phases de sommeil lent profond sont en effet plus longues, de l’ordre de trois heures par nuit durant les premières années de vie. A l’adolescence, le temps de sommeil profond diminue fortement, faisant régresser le somnambulisme. S’il perdure chez l’adulte, le trouble devient pathologique.

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