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Pourquoi la Chine a mis 15 jours pour annoncer officiellement la dangerosité du coronavirus

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

Que s’est-il réellement passé entre le 5 janvier – jour où l’on a séquencé le premier génome complet du virus -, et le 20 janvier – jour de l’annonce officielle du danger international que représente le nouveau coronavirus ?

À l’apparition de nouveaux virus potentiellement dangereux pour l’être humain, des équipes de scientifiques sont chargées de séquencer ces virus jusque là inconnus. Le séquençage est un outil important pour le typage de tous les virus répertoriés. Il va permettre de les classer, mais également de développer des tests de diagnostic spécifiques et identifier les options d’intervention potentielles afin de lutter contre la nouvelle menace. Le nouveau coronavirus découvert en janvier 2020 à Wuhan, en Chine, n’a pas échappé à cette règle.

Le 3 janvier 2020, une boîte en métal est livrée au Centre de santé publique de Shanghai. À l’intérieur se trouve un tube à essai contenant des écouvillons d’un patient souffrant d’une nouvelle forme de pneumonie balayant la ville centrale de Wuhan en Chine depuis plusieurs semaines. Le professeur Zhang Yongzhen et son équipe sont alors chargés d’analyser les échantillons afin de séquencer le génome.

À 2 heures du matin le 5 janvier, après avoir travaillé pendant deux nuits consécutives, les chercheurs parviennent finalement à cartographier le premier génome complet du virus : le SRAS-CoV-2. « Cela nous a pris moins de 40 heures, donc ça a été très très rapide « , a déclaré le professeur Zhang au TIME, lors d’une interview exclusive. « J’ai ensuite réalisé que ce virus était étroitement lié au SRAS, probablement à 80%. Alors forcément, il devait être très dangereux. »

Les événements qui ont suivi la découverte de Zhang Yongzhen sont depuis devenus controversés. Entre censure chinoise et théorie du complot… l’épidémie de Covid-19 a mis en colère de nombreuses personnes et a certainement mis la Chine dans le viseur de nombreux détracteurs. Mais que s’est-il réellement passé entre le 5 janvier et le 20 janvier ?

Des réunions…

Le 5 janvier, dès le séquençage du premier génome réussi, le professeur Zhang contacte immédiatement le Dr Zhao Su, chef de la médecine respiratoire à l’hôpital central de Wuhan, afin de lui demander les données cliniques du patient concerné. À ce moment-là, le scientifique ne sait pas encore si le nouveau virus est plus dangereux que le SRAS, mais suppose qu’il est plus dangereux que la grippe ou la grippe H5N1.

Il prend ensuite contact avec le ministère chinois de la Santé et se rend à Wuhan, où il s’entretient avec de hauts responsables de la santé publique lors d’un dîner le 8 janvier. « J’ai eu deux jugements : d’abord, qu’il s’agissait d’un virus de type SRAS ; ensuite, que le virus se transmet par les voies respiratoires. J’avais donc deux suggestions : que nous devrions prendre des mesures publiques d’urgence pour nous protéger contre cette maladie ; et que les cliniques devraient développer des traitements antiviraux« , explique-t-il.

Par la suite, le professeur est retourné à Shanghai pour préparer d’autres réunions qui devaient avoir lieu à Pékin. Le matin du 11 janvier, sur le tarmac d’une des pistes de l’aéroport de Shanghai Hongqiao, il reçoit un appel téléphonique d’un collègue, le professeur Edward Holmes de l’Université de Sydney. Ce dernier lui demande la permission de publier le génome publiquement. « J’ai demandé à Edward de me donner une minute pour réfléchir« , se souvient Zhang. « Et j’ai finalement accepté. » La publication de Holmes sur le site Virological.org provoque alors une onde de choc qui bouscule la communauté scientifique mondiale. Deux heures après cet appel, lorsque le professeur Zhang atterrit finalement à Pékin, sa découverte fait déjà la une des journaux.

Malgré les craintes du professeur Zhang, les nombreuses réunions, et de plus en plus de preuves de transmission interhumaine (y compris des médecins tombant malades), ce n’est finalement que le 20 janvier que la Chine confirme officiellement la « transmission communautaire » du nouveau coronavirus.

Pour info, la transmission communautaire est la transmission d’un agent pathogène au sein d’une population, lors d’une épidémie, dont la source précise de l’infection est indéterminée. En d’autres termes, la personne infectée n’a pas côtoyé, en connaissance de cause, de personnes connues atteintes par la maladie et n’est pas capable d’associer un facteur de risque à la transmission, comme un voyage par exemple.

… et des doutes

Les détracteurs de la Chine prennent souvent cette date de publication, le 11 janvier, comme une preuve de dissimulation : pourquoi la Chine n’a-t-elle pas immédiatement publié les résultats du séquençage le 5 janvier ? Et pourquoi communiquer le risque de contagion du virus à l’échelle mondiale seulement le 20 janvier ?

En outre, les autorités chinoises se sont précipitées au laboratoire du professeur Zhang et de son équipe afin de leur demander des explications. « Peut-être que les autorités ne croyaient pas entièrement à notre génome. Donc, je pense qu’il est normal qu’elles vérifient notre laboratoire, nos protocoles« , estime le professeur. Mais beaucoup d’observateurs y voient là une tentative de censure des autorités. Désireuses d’étouffer les preuves de l’épidémie, elles auraient fermé le laboratoire du professeur Zhang afin de le punir d’avoir partagé le génome du SRAS-CoV-2, mais également pour ralentir la propagation de ces informations clés.

Selon le très respecté média Caixin, basé à Pékin, la Commission nationale de la santé de Chine, la plus haute autorité sanitaire du pays, aurait en effet interdit, le 3 janvier, la publication de toute information concernant la maladie de Wuhan, tandis que les laboratoires auraient reçu l’ordre de détruire ou de transférer tous les échantillons viraux aux établissements de test désignés.

Une erreur du côté américain ?

Pourtant, Zhang Yongzhen nie les informations selon lesquelles son laboratoire aurait subi une fermeture prolongée. Au contraire, le professeur et son équipe disent avoir poursuivi leurs recherches sur le nouveau coronavirus. « De fin janvier à avril, nous avons analysé plus de 30 000 échantillons viraux », explique Fan Wu, un chercheur de l’équipe de Zhang.

Zhang insiste même sur le fait qu’il a bel et bien communiqué les résultats de son séquençage le 5 janvier. Il aurait ainsi téléchargé le génome au National Center for Biotechnology Information (NCBI) des États-Unis le 5 janvier – une affirmation corroborée par la date de soumission indiquée sur la Genbank de l’institution gouvernementale américaine. « Lorsque nous avons publié le génome le 5 janvier, les États-Unis étaient certainement au courant de l’existence de ce virus. »

Mais la procédure est parfois (trop) longue : cela peut prendre des jours, voire des semaines, pour que le NCBI examine une soumission. Compte tenu de la gravité de la situation, et soutenu par les pressions de ses collègues, le professeur Zhang a alors choisi d’accélérer l’annonce de ses résultats au public, en la publiant en ligne.

Au vu de ces nouvelles informations, il est difficile de savoir quelles conclusions tirer. Les autorités chinoises sont-elles à blâmer, y a-t-il eu des retards trop importants au niveau administratif ? Même si l’OMS a publiquement félicité la Chine pour sa transparence, des documents internes consultés par l’Associated Press suggèrent que les responsables de la santé ont eux-mêmes été contrariés par la lenteur de la diffusion des informations.

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