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Pesticides, encore du pain sur la planche

L’Europe a déjà accompli un énorme travail en matière de règlementation sur les pesticides et nos connaissances dans ce domaine ne cessent d’évoluer. Il n’empêche qu’il reste du pain sur la planche, entre autres parce que le potentiel toxique d’une bonne part des excipients et des substances actives présents dans les pesticides est pour ainsi dire inconnu.

« Les pesticides sont-ils mauvais ? Non, pas nécessairement. Ils sont utiles, à mon avis. Ils fournissent à l’agriculteur de plus grosses récoltes, de meilleure qualité, avec moins de perte sur relativement moins de superficie. En ces temps difficiles, ils aident les agriculteurs à gagner leur vie. Les pesticides sont-ils indispensables à tout le monde ? Non, certainement pas. Notamment chez les particuliers : dans mon jardin, je laisse libre cours à la nature… » C’est avec mesure que Pieter Spanoghe, professeur du département Protection des plantes de l’UGent, et Dirk Springael, professeur de microbiologie, spécialisé dans la dégradation des pesticides au département Gestion des sols et de l’eau de la KUL, parlent des pesticides. Partisans de l’écologie et amoureux de la nature, ils se fient aux connaissances scientifiques découlant de leurs recherches. Et font preuve de compréhension à l’égard des personnes qui se montrent critiques. Car les pesticides ne sont pas des substances anodines, insistent-ils ; tout est question de nuance.

1991, une année-clé

 » Beaucoup de gens n’ont guère confiance dans la législation et les contrôles qui sont effectués, affirme Pieter Spanoghe, qui se montre pour sa part plus confiant. Certes ces contrôles comportent des failles, ce qui est normal vu qu’ils s’appuient sur des connaissances anciennes, mais nous avons conscience que nous pouvons faire mieux et c’est ce à quoi nous oeuvrons. Avec le nouveau règlement européen (CE) 1107/2009, qui impose des critères d’homologation encore plus sévères à tous les produits mis sur le marché européen, j’estime que les choses se sont déjà fameusement améliorées depuis que je suis né. »

Un optimisme que partage le Pr Bruno Schiffers, du Laboratoire de Phytopharmacie à Gembloux Agro-BioTech (ULg), mais en remontant plus loin dans l’histoire, il souligne la difficulté à y parvenir :  » Ce qui m’a personnellement frappé entre 1981 et aujourd’hui, c’est le refus de reconnaître les évidences ainsi que les résistances rencontrées à chaque évolution de la réglementation. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler ce que nous prédisaient les cassandres de toutes natures avant 2009 et l’entrée en vigueur du dernier règlement européen plus sévère ! Il a fallu 20 ans pour que sorte la première Directive européenne harmonisant les règles d’homologation. Puis 10 ans encore pour que les anciennes substances soient réexaminées. Par exemple, 40 ans ont passé entre la fin de l’utilisation du lindane et la nouvelle réglementation de 2009 ! »

De par le monde

Vient aussi le problème de la mondialisation. De nombreux pays dans le monde pulvérisent encore des produits très nocifs qui sont interdits chez nous depuis belle lurette. « Mais nous avons peu de prise là-dessus, poursuit Pieter Spanoghe. À l’inverse, il est réjouissant de constater que la législation européenne couvre un champ très vaste. Au Kenya par exemple, qui exporte beaucoup de légumes vers l’Europe, l’usage de pesticides a diminué considérablement conformément aux normes européennes, ce qui se traduit par une baisse des problèmes de santé chez les employés. Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant, mais c’est un bon début. » Une diminution qui tient cependant à une pression extérieure : « C’est grâce à la pression des acheteurs européens, à savoir surtout TESCO, une chaîne anglaise de supermarchés, et autres distributeurs qui ont imposé leurs cahiers des charges aux producteurs du Kenya. Reste que depuis plus d’un an, l’Union Européenne a dû mettre le pays sous surveillance et effectuer des contrôles renforcés à cause des résidus de diméthoate trop élévés dans les haricots verts ! Cette mesure vient seulement d’être levée », précise Bruno Schiffers.

En Europe, la situation s’est nettement modifiée depuis l’entrée en vigueur de la Directive 91/414, appliquée en juillet 1993 (1) qui a depuis été remplacée par le Règlement (CE) 1007/2009, beaucoup plus contraignant encore. Des 950 pesticides utilisés à l’époque, il n’en subsiste « que » 350 : 250 d’avant 1991 et une centaine de nouveaux. Tous les pesticides actuels doivent satisfaire à des critères sévères, comme une demi-vie du produit (comprenez la période durant laquelle l’activité du produit diminue de 50 %) de maximum 100 jours, de manière à éviter les produits persistants d’une saison à l’autre.

De grands points d’interrogation

Entre-temps, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) s’est attaquée à d’autres problématiques graves et complexes telles que celle des perturbateurs endocriniens (ces substances qui perturbent l’action normale des hormones) et celle des effets cumulatifs de substances indésirables.

Une autre facette obscure de cette problématique concerne l’effet des excipients et des produits de dégradation, un domaine jusqu’ici à peine exploré. Les excipients augmentent l’activité de la substance active, mais leurs risques pour l’homme restent encore méconnus pour une bonne partie d’entre eux. Une question urgente, selon les deux scientifiques.

Bien que les évolutions positives soient légion, nos deux scientifiques restent prudents. « Vous ne m’entendrez jamais dire que les pesticides sont inoffensifs et qu’on peut les pulvériser n’importe comment. Ce sont des substances toxiques et selon moi, mieux vaut prévenir que guérir, insiste Pieter Spanoghe. Je constate toutefois que tant les politiques que les agriculteurs prennent de plus en plus conscience qu’ils doivent être prudents en matière de pesticides. » La méfiance envers ces substances explique d’ailleurs le développement de l’agriculture bio, qui offre une alternative intéressante.

Par Jan Etienne/Carine Maillard

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