Obésité: la guerre du Nutri-score

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Apparu en 2017 en France, le Nutri-score s’est rapidement imposé comme l’un des outils les plus didactiques pour informer le consommateur sur la qualité nutritionnelle des aliments et des plats que lui propose la grande distribution.

Le système d’étiquetage à cinq niveaux imprimé sur le devant des emballages, allant de A pour la crème de la crème à F pour les «crasses» et du vert au rouge, a rapidement conquis d’autres pays européens: la Belgique, depuis avril 2019, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Espagne – plus la Suisse, hors Europe. Au Royaume-Uni, la situation est un peu particulière: le label Multiple Traffic Lights (MTL) a été préféré au Nutri-score, alors que la Commission européenne, elle, le trouvait trop simpliste et avait tiqué sur certaines évaluations paradoxales (le Coca light étiqueté plus sain que l’huile d’olive extra vierge, notamment). Par contre, Londres a pris des dispositions pour limiter la publicité autour des produits alimentaires peu qualitatifs, en se basant sur le même algorithme que celui utilisé pour le Nutri-score. Un savant calcul qui tient compte, à la fois, des points forts et des points faibles de la marchandise. La teneur en sucres, en acides gras saturés, en sel et les calories faisant logiquement baisser la moyenne, la teneur en fruits, légumes, fibres ou protéines l’améliorant.

Le Nutri-score a tout pour plaire, mais…

Clair et plutôt fiable malgré quelques erreurs de jeunesse, le Nutri-score a tout pour plaire. Pourtant, certains pays font la fine bouche: c’est le cas de l’Italie – qui a entraîné dans son sillage la Grèce, la République tchèque et la Roumanie – pour qui le système d’évaluation porte préjudice à la tradition culinaire italienne qui fait la part belle aux fromages et aux charcuteries. Ses détracteurs lui reprochent également d’être trop simple, trop strict et infantilisant pour le consommateur. Il symboliserait en prime une entrave aux libertés individuelles.

C’en est au point qu’un bras de fer s’est engagé au sein de l’Union entre les pros et les anti-Nutri-score. En mai 2020, la Commission avait annoncé son intention d’imposer le logo à tous ses Etats membres, histoire d’harmoniser le système d’évaluation des produits issus de l’industrie agro- alimentaire. Près de trois cents scientifiques européens, épaulés par une trentaine d’associations, avaient marqué leur soutien au projet, tout en dénonçant le torpillage exercé par les puissants lobbys du secteur agroalimentaire, eux-mêmes soutenus par certains gouvernements, l’Italie en tête. Depuis: rien. La disposition européenne, annoncée pour le courant de l’année 2023, se fait attendre. Serge Hercberg, qui est aussi le «papa» du Nutri-score et l’auteur de Mange et tais-toi (Humensciences, 2022), s’agace de la situation.

Qui sont les récalcitrants?

«L’alimentation est l’un des grands enjeux actuels de santé publique. Mais elle a aussi un coût social et économique important. La Fevia (NDRL: Fédération de l’industrie alimentaire belge), par exemple, représente 450 000 emplois, la grande distribution 750 000. Pour bloquer les mesures prises qui ne leur sont pas favorables, les lobbys vont parfois jusqu’à discréditer les études scientifiques allant à l’encontre de leurs intérêts et prétendre que les recherches ne sont pas assez documentées, que les chercheurs sont des illuminés ou qu’ils ne pensent qu’à flatter leur ego. Grâce aux relais dont ils disposent, leurs discours sont portés auprès des parlementaires et des ministères. Ils ont accès aux e-mails, aux réunions secrètes… Leur influence est perceptible tant à l’échelon national qu’européen. C’est ce qui explique que certains Etats proposent d’autres systèmes d’étiquetage ou demandent que d’autres études soient menées pour retarder son introduction. En espérant que d’ici aux prochaines élections, des changements politiques leur soient favorables. Et on sait que les mouvements populistes se montrent en général assez défavorables au Nutri-score…»

Le choix laissé aux nations d’adopter ou non le Nutri-score n’est pas le seul obstacle à l’harmonisation des informations sur les qualités nutritionnelles, soulève encore le scientifique français. Le fait que certaines marques jouent le jeu (elles sont près de mille à avoir accepté) et d’autres pas est un sérieux handicap, d’autant que dans le camps des récalcitrants, il y a quelques géants comme Coca-cola, Ferrerro, Lactalis, Mars Incorporated, Mondelez, Kraft Heinz ou Unilever. La récente décision du comité scientifique européen du Nutri-score de rétrograder les sodas à base d’aspartame et le lait entier pour répondre aux critiques sur le caractère obsolète de certaines de ses recommandations, ne risque pas de faire leurs affaires non plus.

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