Laurent Raphaël

London Calling J-57: Une version bio et hardcore du marathon

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Cinquième épisode du carnet de bord hebdomadaire du rédac chef de Focus qui s’apprête à courir le Virgin Money London Marathon. Cette semaine, focus sur l’ultra trail; mais aussi les incontournables travaux pratiques.

Hors-piste

London Calling J-57: Une version bio et hardcore du marathon

Dans la famille des coureurs de fond, je demande les extraterrestres, ces adeptes des ultra-trails (version stretch du trail, l’autre nom de la course nature) qui s’enfilent 100, 150 ou 170 kilomètres de sentiers d’un trait ou presque. Et de préférence en haute montagne, histoire de mettre quelques sommets à plus de 2000 mètres sur leur route tout en s’infligeant des variations de températures à faire frissonner une plaque d’acier.

A ce stade avancé, ce n’est plus du sport, même plus du vice, mais carrément une philosophie de vie. Les meilleurs de la discipline s’appellent François D’Haene, Kilian Jornet et Anton Krupicka. Ils sont français, espagnol et américain et ont inscrit leurs noms sur les tablettes des raids les plus célèbres: ultra-trail du Mont-Blanc (168 km autour du massif et 9 400 mètres de dénivelé positif!), Leadville trail 100 (160 km dans les montagnes du Colorado), Diagonale des fous (170 bornes sous le cagnard de la Réunion, plus de 10.000 mètres d’ascension au total), etc. Rien qu’en énumérant les distances et les inclinaisons, j’en ai des crampes aux mollets.

Ces stakhanovistes de l’endurance font partie d’une petite communauté (mais qui ne cesse de grandir, comme toutes les autres branches du running) qui est à l’athlétisme ce que le régime végétarien est à la gastronomie. Une version bio et hardcore du marathon si on veut. Ils ne conçoivent par exemple pas de courir ailleurs que dans des décors naturels, le plus souvent grandioses.

Paradoxalement, ces forçats de la très longue distance aux qualités physiques hors-normes sont moins animés d’un esprit de compétition que les athlètes qui évoluent dans les clous standards de l’athlétisme. Très attachés à leur liberté et à leur indépendance, courir est une passion avant d’être un job à temps partiel ou à temps plein. Et même quand le professionnalisme s’en mêle (la marque Salomon a fait main basse sur ce segment porteur), il se pare d’atours amateurs pour préserver au maximum l’authenticité si chère à ces sportifs de l’extrême.

Anton Krupicka
Anton Krupicka© Gerard Reyes/Flickr (CC)

Le cas de l’Américain Anton Krupicka est emblématique. Star de la discipline, il vit dans un studio modeste encombré de paires de baskets (il en use 20 à 30 par an) à Boulder, bled du Colorado idéalement situé pour ses longues randonnées quotidiennes, avec option escalade à mains nues, dans les rocheuses avoisinantes.

Le trentenaire ne passe pas inaperçu avec sa barbe fournie, ses longs cheveux, ses boucles d’oreille et ses minishorts. A New York, il ferait un parfait hipster. Sauf que la frime est soluble dans la sueur et ce look christique doit plus à un fond baba-cool qu’à une ligne de conduite modeuse. Ce qui n’en fait pas moins un excellent produit marketing pour son sponsor New Balance. A cette nuance près que c’est lui qui fixe les règles du jeu. Et décide quand il tombe la chemise pour montrer son torse velu, à savoir souvent. Il refuse aussi d’être entouré d’un staff médical qui pourrait lui permettre sans doute de grappiller quelques minutes ou d’éviter les coups de pompe mais le briderait dans son développement personnel.

Comme il le confesse dans ce reportage vidéo du journal L’Equipe, son objectif n’est pas de gagner coûte que coûte mais de s’épanouir dans cette nature traversée à grandes foulées. Une coolitude de corps et d’esprit (quand il n’use pas ses semelles il fait mouliner ses neurones en lisant et compare d’ailleurs la lecture à son sport: deux moyens de découvrir d’autres cultures) qui ne l’empêche pas de s’entraîner dur, jusqu’à 300 km par semaine, avec ses sensations comme seul coach.

Si on devait trouver un point commun entre tous ces champions, ce serait ça: ils s’en remettent plus à leur feeling qu’aux instruments de mesure. Comme si au-delà d’un certain plafond de douleur, on ne pouvait compter que sur soi-même. C’est le cas de Kilian Jornet, qui attaque les sommets enneigés en t-shirt et petites baskets, c’est le cas aussi de François D’Haene, lui qui court sans instrument de bord, s’en remettant à ses seules intuitions. Avec ses performances hallucinantes (trois victoires dans trois des principaux ultra-trails en 2014), beaucoup se glisseraient dans un costume confortable de champion full time. Lui non, il a voulu rester amateur et partage son temps entre les courses au vert et son métier de… vigneron. Un boulot physique qui lui permet d’entretenir sa condition. On est loin des hamsters de laboratoire que sont devenus certains athlètes professionnels. C’est un peu Rocky Balboa qui frappe dans les carcasses de viandes contre Dolph Lungren bardé de matériel high-tech. D’Haene comme ses camarades carbure avant tout au plaisir.

Que des sportifs bio démontrent une supériorité insolentes sur ces parcours inhumains a quelque chose de rafraîchissant. Toute la science du monde ne remplacera pas la puissance de la force motrice mentale. Même si forcément, sous le capot, ces hommes pressés doivent avoir été équipés d’origine de moteurs pulmonaires surdimensionnés. C’est d’ailleurs prouvé pour Jornet qui a passé son enfance en altitude dans les Pyrénées, là où l’oxygène est une denrée rare.

Au 32e étage du marathon, quand je commencerai à sentir mes jambes se défiler et mon moral se racrapoter, je penserai très fort à ces géants. Après tout ils ont aussi deux bras, deux jambes et deux poumons (enfin, peut-être trois pour certains). S’ils arrivent à enchaîner 4 marathons à la queue leu leu, je dois bien pouvoir en finir un…

Chaque semaine, le magazine de santé Body Talk livre quelques trucs et conseils pour courir malin. Au menu du jour: les grands principes de la préparation d’un marathon. A lire ici.

Travaux pratiques

Semaine en deux temps comme la précédente. Une première partie dans la douleur, une seconde dans l’allégresse. Il faut croire que ce rythme binaire me correspond assez bien. Lundi, j’avais le moral aussi raplapla que les cuisses après un week-end en surrégime. Porté par de bonnes sensations, j’ai enchaîné coup sur coup deux séances à un rythme de fuyard.

Les 16 km sur piste du samedi, avalés à une moyenne de 4’30 » le kilomètre, auraient dû me rassasier et m’inciter à la prudence pour la suite. Ils ont eu l’effet inverse. Le lendemain, j’attaquais au fouet ma sortie longue. Pour ne rien arranger, un problème technique me privait de mon cardiofréquencemètre qui fait office de frein mental quand les chevaux s’emballent. Les 23 km, dont deux fois 5 à 85% de poussée, ont du coup été bouclés dans un temps trop rapide de 1h45. Pour l’endurance fondamentale, je repasserai. On mettra ça sur le compte d’une erreur de jeunesse… que je devais payer cash: dimanche soir le ressac de la nausée me retournait l’estomac et noyait la salle où je stocke mes réserves d’endorphines.

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël© Maxence Dedry

Une sensation proche du mal de mer. Qui disparaît heureusement aussi vite qu’elle apparaît. Dès mardi, au terme de ma balade de 13 km en mode papy, le moral reprenait des couleurs. Les petites contractures n’étaient plus qu’un mauvais souvenir et je récupérais les points perdus sur mon permis plaisir. Ne pas lutter avec le chrono, la VO2 ou le métronome cardiaque fait parfois du bien. A la place de tout l’attirail techno-médical, un seul instrument de mesure: le feeling. J’effaçais d’un trait mon ardoise de fatigue et en profitais pour donner une petite claque à ma motivation. Même les problèmes de plomberie endurés le mercredi -réplique tardive du week-end d’excès?- ne parvenaient pas à entamer mon capital mental.

C’est donc avec cette faim de lion que je me lançais jeudi dans l’exercice imposé et redouté des intervalles. Au programme: 2 séries de 6 fois une minute sur un tempo allegro. J’en suis sorti indemne. Sous-entendu: au bout de l’effort, mes poumons ne sifflaient pas comme une vieille locomotive à vapeur et ma conscience ne flottait pas au-dessus de l’abîme. Un réel progrès. Je crois que j’ai trouvé le secret, aussi évident qu’un précepte dans un manuel de développement personnel mais aussi difficile à mettre en pratique: ne pas brûler toutes ses cartouches d’entrée de jeu. Il faut se forcer à démarrer mollo et en garder sous le pied pour la suite. En calculant bien son coup on finit mi-cuit plutôt que cramé, ce qui laisse suffisamment de lucidité pour encore profiter du feu d’artifice hormonal déclenché par les galops successifs. Si on compare l’expérience à la picole, c’est comme se maintenir à un niveau d’ivresse léger pour éprouver la caresse des sens plutôt que de sombrer dans un coma éthylique qui n’est franchement pas terrible pour encore ressentir quoi que ce soit.

A deux mois du marathon de Londres, le bilan est donc globalement positif. Je respecte le planning et je me tiens à distance de l’infirmerie. Si je peux continuer ma préparation dans les mêmes conditions jusqu’au 26 avril, je signe tout de suite. Mentalement aussi, ça se passe pas trop mal. Il y a bien sûr des hauts et des bas mais rien qui ait pu mette en péril l’entreprise. Je compte sur la hausse des températures pour faire fondre les abcès de démotivation qui pourraient encore se mettre sur mon chemin.

Je sens juste que je vais devoir commencer à composer avec le stress qui ne va pas manquer de s’insinuer dans mon esprit et le torturer à petit feu. Tiens, la nuit dernière justement j’ai rêvé que j’avais oublié de m’acquitter du droit d’inscription et que du coup je pouvais oublier de franchir le Tower Bridge avec 39.999 autres paires de guiboles dans deux mois. Fausse alerte. L’hôtel, l’Eurostar et l’inscription ont été cochés sur la check-list. Je peux encore dormir tranquille quelques nuits…

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