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Les traumatismes transmis de génération en génération?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Les traumatismes subis par nos ancêtres nous sont-ils transmis via les gènes ? Si certaines études l’affirment clairement, le sujet divise encore le monde scientifique.

Nous sommes tous façonnés par les gènes hérités de nos parents et grands-parents. Si les gènes déterminent nos caractéristiques physiques, notre caractère et notre santé, ils seraient également influencés par les épreuves que nos ancêtres ont endurées.

Épigénétique

Les scientifiques ont voulu comprendre comment les évènements de la vie d’une personne pouvaient changer la manière dont son ADN est exprimé, et comment ce changement peut être transmis aux générations suivantes. Il s’agit du processus de l’épigénétique, où l’expression des gènes est modifiée sans changer le code génétique lui-même. De minuscules « étiquettes chimiques » sont ajoutées ou retirées de notre ADN en réponse aux changements de l’environnement dans lequel nous vivons. Ces marqueurs activent ou désactivent les gènes, ce qui permet de s’adapter, mais sans provoquer de changement permanent dans nos génomes.

De plus en plus d’études appuient l’idée que les effets des traumatismes peuvent se répercuter sur plusieurs générations. Si ces changements épigénétiques, acquis au cours d’une vie, se transmettent bel et bien, cela aurait des implications énormes. Cela signifie que les expériences vécues, même les plus traumatisantes, auront un impact réel sur votre famille pour les générations à venir. Être conscient du fait que nos actions et expériences peuvent affecter la vie de nos enfants, même avant qu’ils aient été conçus, pourrait donner une tout autre tournure à nos choix de vie.

Lignée masculine

De telles conséquences ont notamment été constatées chez les fils de prisonniers de la Guerre de Sécession, dont le taux de mortalité était supérieur à ceux des descendants d’anciens combattants qui n’avaient jamais été faits prisonniers, explique la BBC. On note même une différence entre les fils issus du même père, entre ceux nés avant l’emprisonnement et ceux nés après. Après l’exclusion d’autres hypothèses et facteurs de risques, des scientifiques de l’Université de Californie ont conclu que l’effet épigénétique était l’explication la plus plausible. « L’hypothèse est qu’il y a effet épigénétique sur le chromosome Y », précise Dora Costa, économiste et auteure de l’étude. Cette conclusion concorde avec des études menées dans des villages reculés de Suède, où les pénuries alimentaires ont eu un effet générationnel sur la lignée masculine, mais pas sur la lignée féminine.

Prudence scientifique

Cette transmission de traumatismes par le biais de l’épigénétique chez l’être humain serait liée aux moments les plus sombres de l’Histoire. La guerre, famines et autres génocides auraient tous laissé une marque épigénétique sur les descendants de ceux qui les ont subis. Mais l’idée d’une découverte épigénétique chez les enfants de survivants de traumatismes peut signifier beaucoup de choses, et il faut être prudent dans son interprétation. Certaines études sur le sujet ont d’ailleurs été critiquées pour leur manque de rigueur dans l’exclusion des autres hypothèses. Il convient effectivement de comparer plusieurs générations et de chercher de manière la plus large possible dans le génome.

La recherche sur l’héritage épigénétique continue de diviser les scientifiques, car personne n’est sûr de la façon dont cela se produit exactement. Si certains sont convaincus que ce sont forcément d’autres facteurs que la génétique qui sont à l’oeuvre, d’autres chercheurs pensent que c’est l’ARN – et non plus l’ADN – qui jouerait un rôle dans la manière dont les traumatismes peuvent être transmis. L’ARN est un acide nucléique essentiel dans le transport du message génétique et la synthèse des protéines. Les scientifiques ont dont extrait des molécules d’ARN du sperme de souris mâles ayant été traumatisées et les ont injectés dans des embryons de souris dont les parents biologiques n’avaient pas subi ce traumatisme. Les souris ont présenté les schémas comportementaux typiques de celles dont les parents ont subi un traumatisme. L’équipe, qui n’a pas encore réussi à trouver une explication précise aux résultats, mène à présent des expériences pour voir si des processus similaires sont à l’oeuvre chez l’Homme.

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