Steven Laureys coiffé de senseurs © Debby Termonia

L’effet de la méditation est aussi grand que celui des antidépresseurs

Le neurologue Steven Laureys a acquis une renommée mondiale grâce à ses recherches sur la conscience chez les patients dans le coma. Il y a sept ans, après un divorce inattendu, il a découvert le pouvoir positif de la méditation. Intitulé Het no-nonsense meditatieboek, son livre veut convaincre chacun de nous que la méditation peut aider à combattre le stress, l’anxiété et la dépression.

Il commence son livre en 2012, perdu après un divorce inattendu, écrit-il: « Une souffrance que, malgré mes études et tous les livres que j’ai lus, je ne pouvais pas soulager rapidement. Aucune pilule, pommade ou opération ne pouvait résoudre ce problème. »

Il sombre dans l’alcool, les cigarettes, les antidépresseurs et les somnifères. Il touche le fond. Plus d’une fois. Jusqu’à ce que le yoga, et plus tard la pleine conscience, offrent une issue moins destructrice. « La méditation a été une découverte fantastique pour moi. Au niveau personnel, mais aussi professionnel. Les interventions corps-esprit peuvent être très utiles en complément de la médecine. En tant que professionnel des soins de santé, j’aurais dû les découvrir beaucoup plus tôt. »

Avec ce laboratoire, le Coma Science Group du GIGA Consciousness Research Centre, Laureys a acquis une renommée mondiale. Ses recherches pionnières sur la conscience des patients dans le coma lui ont valu les prix Francqui pour la recherche scientifique. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages universitaires sur la conscience et de plus de 500 articles scientifiques.

Pour son livre, Laureys a fait passer un scanner à Matthieu Ricard, un Français de 73 ans titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire à l’Institut Pasteur devenu moine bouddhiste dans l’Himalaya. Ricard touche des millions de personnes avec ses livres et ses conférences sur le bouddhisme, la méditation et le bonheur, et peut se targuer d’être le traducteur personnel du dalaï-lama. « Ce moine affiche la plus grande capacité de bonheur jamais mesurée », lit-on dans le texte de presse de la maison d’édition.

En visite éclair en Belgique, Ricard devait nous accompagner lors de l’interview à Liège. Mais les moines bouddhistes aussi ont parfois un agenda surchargé. Deux semaines plus tard, Ricard se joint à une conférence téléphonique, depuis une petite maison de campagne dans le Sud de la France. Le crâne dégarni, bure de moine rouge et jaune, sourire chaleureux. Est-il vraiment la personne la plus heureuse au monde? « C’est évidemment du n’importe quoi », dit Ricard. « C’est un journaliste italien qui a lancé le titre. Mais comment une personne raisonnable peut-elle croire qu’on peut élire l’humain le plus heureux alors qu’il y en a sept milliards? Au fait, on ne peut pas mesurer le bonheur dans le cerveau, quoi qu’en disent certains scientifiques. Il y a tant de facteurs. »

« En méditant, Matthieu affichait un niveau sans précédent d’ondes gamma rapides pendant la méditation, et une activité excessive dans le cortex préfrontal gauche. C’est interprété comme une grande capacité à penser positivement », dit Laureys. Mais le bombarder l’homme le plus heureux du monde, c’est un peu loin du compte. Le cerveau est incroyablement complexe : il se compose de milliers de milliards de synapses dans une soupe de neurotransmetteurs qui changent constamment. « C’est fantastique de pouvoir tout mesurer, mais le puzzle est loin d’être terminé. »

Pourquoi, alors que vous êtes un homme très occupé, vouliez-vous écrire ce livre et défendre ardemment la méditation ?

Steven Laureys: Cela tombe en effet un peu en dehors de mon activité principale, mais je trouve que c’est une bonne opportunité. Quand j’écris un article scientifique sur les expériences que nous avons menées sur Matthieu, personne en dehors de notre spécialité ne le lit. Nous utilisons des scanners de haute technologie et faisons des calculs complexes, mais de cette façon, on oublie vite de quoi il s’agit : l’humain. C’est un défi que de garder cela à l’esprit, lors de consultations où vous avez beaucoup trop peu de temps par patient, avec des gens aux prises au malheur. La méditation y offre quelque chose que je n’ai pas trouvé dans nos traditions judéo-chrétiennes, et j’aimerais participer pour la faire connaître davantage.

On peut critiquer ce livre, mais il faut oser faire des choses inhabituelles. Quand nous avons dit dans nos études précédentes qu’il y a une conscience dans le coma, ou quand nous avons parlé d’expériences de mort imminente et d’hypnose, nous nagions également à contre-courant. Le fait qu’il y ait si peu d’hypothèses vérifiées sur la méditation est pour moi une raison d’investir dans le sujet.

Vous écrivez que vos collègues vous demandent pourquoi vous « voulez mettre votre réputation en danger ». Est-ce une telle fosse à serpents ?

Laureys : Oui, certainement l’application médicale de la méditation. Je connais peu de syndromes qui ne sont pas exacerbés par le stress, mais si vous proposez la méditation pour traiter ce facteur de risque bien identifié, on en rit souvent. Je n’ai jamais rien appris sur la méditation dans mes études de médecine, et même en psychologie, à la loupe. Mais mes collègues commencent aussi à comprendre que la méditation – en dehors du buzz et de l’exploitation commerciale – peut être intéressante dans les soins de santé.

La méditation consiste à éliminer les causes intérieures de la souffrance. C’est un objectif très pragmatique. Les écoles contemplatives offrent 2.500 ans de recherches sur le fonctionnement de l’esprit. En ce sens, la rencontre entre le bouddhisme et la science est naturelle. La méditation est un instrument universel. Peu importe si beaucoup de ses formes proviennent du bouddhisme. Lorsqu’un scientifique japonais découvre une particule subatomique, celle-ci ne devient pas japonaise pour autant. Plusieurs études renommées démontrent que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (TCCM) a réduit de 40% le risque de rechute chez les personnes souffrant d’au moins deux dépressions graves. C’est le même chiffre que les médicaments, sauf qu’après la méditation, vous pouvez aussi rester protégé lorsque vous arrêtez le traitement.

Les effets de la méditation peuvent-ils être prouvés scientifiquement?

Laureys : Il y a scandaleusement peu de recherches. En Belgique, neuf études cliniques sur la méditation ont été enregistrées au cours des vingt dernières années. Ce n’est qu’une fraction du nombre d’études sur les médicaments payés par les grandes entreprises pharmaceutiques. Je suis très heureux que les Big Pharma existent, ils nous donnent de fantastiques médicaments qui nous sauvent la vie. Mais nous savons combien le stress est omniprésent dans notre société. Il est donc insensé de ne pas faire plus de recherches sérieuses à ce sujet.

Je reçois des gens souffrant de maux de tête, de maux de dos, de problèmes de sommeil, de vaisseaux sanguins rétrécis, d’anxiété, de burn-out. J’ai appris à leur prescrire des pilules, c’est aussi pour ça qu’ils viennent. Mais de nos jours, je prescris surtout une bonne nuit de sommeil, plus d’exercice, une meilleure hygiène de vie, la méditation et d’autres exercices corps-esprit. Il y a maintenant suffisamment de recherches montrant que la méditation est un outil complémentaire intéressant pour combattre la douleur, l’anxiété et la dépression. Mais l’effet précis d’une séance de méditation est bien sûr beaucoup plus difficile à documenter que celui d’une pilule.

De nombreux spécialistes du comportement se plaisent à désigner les scans du cerveau comme la preuve de ce que nous pensons savoir sur les émotions et le bien-être. Maintenant, vous dites : « Ne prenez pas ça à la lettre. »

Laureys : Je parle contre mes intérêts: en tant que neurologue, j’essaie de tout visualiser au mieux à l’aide de l’IRMf, mais au final, les images que nous faisons sont autant une interprétation que le travail de nos collègues en sciences du comportement.

Vous avez fait subir un scanner à Matthieu Ricard. Qu’est-ce que cet examen vous a appris ?

Laureys : Les machines nous permettent de voir que les moines bouddhistes ont un cerveau différent. Il est particulièrement bien connecté, leur tissu gris est très développé. Quand nous avons demandé à Matthieu d’appeler différents états méditatifs, nous avons vu sur les images qu’il exerce un contrôle incroyable sur son cerveau. Ce qui est novateur dans notre recherche, c’est que nous avons perturbé son activité cérébrale avec un aimant puissant et que nous avons commencé à mesurer cette activité simultanément. Grâce à une technique que nous avons développée, nous pouvons réduire la conscience à un chiffre de 0 à 1, les personnes anesthésiées ou profondément endormies sont en dessous de 0,3. Les gens ordinaires ne peuvent pas vérifier ces mesures eux-mêmes. Matthieu en était capable, en utilisant purement le pouvoir de la méditation. Nous n’avions jamais vu cela.

Ricard : ça me fait toujours rire quand les chercheurs parlent de mon incroyable contrôle cérébral. Mais comme on ne fait pas subir un scanner IRMf au dalaï-lama, ils doivent se débrouiller avec les gens directement sous lui, des gens comme moi qui sont prêts à aller de laboratoire en laboratoire comme cobayes. La beauté de ces tests avec des centaines de méditants est qu’ils montrent que cela n’a rien à voir avec le talent. Ils montrent tous les mêmes schémas dans le cerveau. Dans la société d’aujourd’hui, les gens n’aiment pas l’effort. Ils aiment voir des gens talentueux réussir, sans trop d’efforts. Bien sûr, ça ne marche pas comme ça. La méditation n’est pas une visite au spa. La méditation est parfois dure et douloureuse, mais comme un athlète, vous tirez une satisfaction de l’effort. Si vous le faites bien, vous avez l’impression de gagner du terrain très rapidement. Peu à peu, vous vous débarrassez des causes de votre souffrance, et vous oeuvrez à votre liberté intérieure.

Vous écrivez : « J’ai parfois l’impression que nous médecins sommes à la merci des proxénètes de l’industrie ». Vous voulez que vos collègues s’opposent plus aux big pharma?

Laureys : Si nous laissons faire les grandes sociétés pharmaceutiques, nous nous dirigeons vers une industrie pharmaceutique qui ne s’intéresse qu’au botox et aux médicaments rentables. En tant que médecins, nous devons y résister et partir des besoins de nos patients. Mais c’est aussi aux gouvernements de réagir. Si le stress a un tel impact sur la société, il faut être en mesure de constater le retour sur investissement des traitements de réduction du stress, même si l’on considère ces traitements sous l’angle purement économique. On ne peut pas établir scientifiquement s’il faut méditer cinq ou vingt minutes, mais même de courtes interventions peuvent faire la différence. Nous constatons que les programmes de réduction du stress basés sur la pleine conscience ont un impact sur différents groupes de patients, tels que les patients atteints de cancer qui subissent les effets secondaires de leur chimiothérapie. Mais l’effet n’est pas impressionnant, ce qui en fait perdre de l’intérêt à certains. Je trouve cela un peu trop simpliste. L’ampleur de l’effet des antidépresseurs par rapport à un placebo est de 0,3, ce qui signifie qu’il y a un effet faible, mais perceptible. C’est le même effet que beaucoup d’études de méditation.

À la question ‘quel est l’effet de la médiation sur votre cerveau’, la réponse honnête est: ‘Nous n’en savons rien’. Mais il en va de même pour les antidépresseurs et pourtant personne ne voit cela comme une raison pour arrêter de prescrire du Prozac. Un scientifique veut toujours savoir exactement à quel effet causal il peut s’attendre, mais avec un bien-être mental qui est généralement une illusion. Quand je lis les livres de mes collègues ou que je les entends parler à des conférences, je suis souvent agacé par leur arrogance. « C’est comme ça », disent-ils. Parfois, il faut s’arrêter et se demander : que savons-nous vraiment de la douleur, des émotions et des pensées ?

En tant que neurologue, vous regardez les scanners du cerveau. La méditation ne reste-t-elle pas trop dans le domaine des sciences du comportement ?

Laureys : Je remarque que les gens y attachent soudainement plus d’importance quand je montre une image d’un cerveau: « Ah, c’est sûrement vrai. » Mais au fond, je ne suis pas d’accord. Je connais trop bien les pièges. C’est bien de pouvoir mesurer l’amygdale et la force de connectivité, mais ces mesures sont encore très imprécises. Nous pouvons montrer ces images sexy, et nous les publions, mais en fait nous n’avons pas encore les bons éléments de base pour comprendre les codes neuronaux de mémoire, d’altruisme, de bonheur ou de conscience.

Est-ce la même chose que le bonheur ?

Ricard : Le bonheur est une conséquence de la liberté intérieure.

Alors que nous cherchons surtout ce bonheur en dehors de nous.

Ricard : En effet, et c’est comme espérer gagner à la loterie. Parce que le contrôle que nous avons sur les circonstances extérieures est limité et souvent illusoire. Se concentrer sur cela est une recette de déception. Bien sûr, nous devons travailler à l’amélioration des conditions de vie : lutter contre la pauvreté, travailler pour une bonne éducation et la liberté d’expression. Mais si vous ignorez votre liberté intérieure, vous avez un problème, parce que même dans un endroit paradisiaque vous pouvez vous sentir malheureux.

N’oublions pas les autres non plus. La pleine conscience a été introduite en Occident dans un contexte médical, dans le but d’aider les gens qui souffrent. Maintenant que la pleine conscience a trouvé son chemin dans les affaires, il y a une menace d’instrumentalisation. Par conséquent, je préconise une forme de  » pleine conscience d’attention « , où l’altruisme, la compassion et la douceur d’origine font partie du programme. Il est manifestement plus efficace et génère un comportement plus prosocial.

Mais où puis-je trouver un médecin ou un spécialiste qui ne me prescrit pas des pilules, mais le bon type de méditation ?

Laureys: C’est un problème, il y en a encore trop peu. Il faudra encore plusieurs générations. Il serait bon que les gens puissent en parler à leur médecin généraliste, mais souvent ils connaissent mal le sujet. Il faut partir à la recherche soi-même, en faisant preuve d’un certain sens critique et en essayant différentes choses.

Ne risquez-vous pas de tomber entre les mains de charlatans ?

Laureys : Oui, et les personnes qui se sentent mal sont particulièrement vulnérables. J’essaie de convaincre les différentes facultés de notre université de mettre en place des programmes autour de la méditation, sinon il vous restera cette prolifération de thérapeutes autoproclamés. Tout comme tout le monde peut encore faire appel à des  » psychothérapeutes « , et ce n’est que récemment que les psychologues ont commencé à obtenir la reconnaissance et le remboursement que leur travail mérite.

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