© Getty

L’éco-anxiété : le nouveau mal lié au changement climatique

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le changement climatique vous inquiète. Vous y pensez plusieurs fois par jour. Vous culpabilisez lorsque vous prenez votre voiture ou que vous achetez une bouteille d’eau ? Vous souffrez peut-être d’éco-anxiété.

À l’heure actuelle, aucune statistique n’est disponible sur la prévalence de l’anxiété écologique, mais certains experts ont noté une augmentation de l’inquiétude du public face au changement climatique. « C’est un état constant qui m’empêche vraiment d’avancer et de me projeter dans le futur », témoigne Benjamin, 21 ans, à Vice.

Dans la presse les mauvaises nouvelles environnementales défilent et semblent être de plus en plus nombreuses : fonte des glaces, disparition des insectes pollinisateurs, acidification des océans, destruction des forêts, etc.

L’angoisse monte lorsque vous lisez les journaux et lorsque vous avez l’impression de faire des mauvais choix de consommation. « Voir les personnes qui sont au pouvoir ne rien faire et me dire que mon avenir est entre les mains de ces personnes-là … », témoigne également Eva-Love, 17 ans, visiblement inquiète. Mathilde,16 ans, affirme les sourcils froncés : « les gens vont devoir se battre pour de la nourriture. C’est terrible ». Voilà l’avenir très sombre qui tourne dans la tête de ces jeunes tourmentés. Ils sont de plus en plus nombreux à souffrir de ce type d’anxiété.

Ce n’est pas surprenant si leur nombre a fortement augmenté depuis la publication du rapport historique de 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies, qui appelait à des « changements urgents et sans précédent » pour parvenir à une réduction de 45% des émissions de carbone d’ici 2030. C’est le minimum à faire pour maintenir l’augmentation du réchauffement de la planète à 1,5 °C, après quoi le rapport met en garde contre des conséquences catastrophiques telles que des inondations, des phénomènes météorologiques extrêmes, la sécheresse et la famine.

De nombreuses personnes vivent un « éveil écologique » à mesure que les catastrophes et les mauvaises nouvelles se multiplient. Elles passent par plusieurs phases avant d’atteindre l’éco-anxiété.

Insomnie, perte d’appétit, consommation excessive d’alcool…

Ce trouble anxieux porte même un nom : éco-anxiété ou solstalgie. Elle a été décrite par Psychology Today comme »un désordre psychologique assez récent affectant un nombre croissant de personnes qui s’inquiètent de la crise environnementale ». Certaines personnes expriment des niveaux élevés de stress avec des symptômes comprenant des attaques de panique, une pensée obsessionnelle, une perte d’appétit et de l’insomnie, rapporte Psychology Today.

Susan Clayton, professeure de psychologie et d’études environnementales au College of Wooster, dans l’Ohio, est la co-auteure d’un rapport publié en 2017 et intitulé « La santé mentale et nos changements climatiques: impacts, implications et orientations ». Elle a déclaré: « Nous pouvons dire qu’une proportion importante de la population subit un stress et s’inquiète des impacts potentiels du changement climatique, et que le niveau d’inquiétude augmente presque certainement. »

« J’ai constaté une forte augmentation du nombre de clients ayant besoin de parler d’anxiété écologique depuis le rapport du GIEC à la fin de l’année dernière », déclare Mary Jayne Rust, éco-psychologue britannique. « Ils ont surtout besoin d’en parler avec un thérapeute qui connaît bien ce problème. Je pense que c’est très difficile de vivre avec la suspicion que (comme l’ont dit certains de mes plus jeunes clients): ‘Nous sommes complètement foutus’. Je pense que cela pourrait expliquer en partie les épidémies de consommation excessive d’alcool et d’autres dépendances, par exemple. Le sentiment général est que l’avenir est si incertain et qu’il est extrêmement difficile de vivre avec. « 

Hilda Burke, psychothérapeute accréditée UKCP et BACP, ajoute qu’elle avait également « remarqué un nombre croissant de clients exprimant leur anxiété quant à l’état de la planète, voire à sa survie ».

Cela peut même toucher les professionnels travaillant sur le terrain. Biologiste marin à l’Université d’Exeter, Tim Gordon fait des voyages dont beaucoup rêveraient: étudier la vie dans d’environnements incroyables comme la Grande barrière de corail en Australie ou le centre de l’océan Arctique.

Cependant, pour lui, son travail est teinté de tristesse, car « nous constatons que nous documentons le déclin rapide de ces endroits. La plupart du temps, vous êtes un peu groggy », témoigne-t-il dans un documentaire de la BBC Radio 1. « Vous avez passé tant de mois à travailler et la plupart du temps ça se passe bien. Vous le savez, vous avez un travail à faire. Mais parfois, sans raison particulière, ça vient vous frapper – il suffit de flotter au milieu de l’eau, de regarder autour de soi et de se dire: ‘Waouh, tout se meurt' ».

Pour Sam, l’anxiété se manifeste de manière physique. « Récemment, j’ai du mal à m’endormir naturellement », dit-il.

L'éco-anxiété : le nouveau mal lié au changement climatique
© Getty

Que faire ?

De manière générale, pour traiter les troubles anxieux, les professionnels préconisent des thérapies cognitivo-comportementale et des médicaments.

Mais faut-il vraiment traiter l’éco-anxiété ? N’est-elle pas en fait la réponse adéquate face à un défi énorme pour la survie de l’humanité ? Comme le suggère le scientifique britannique Owen Gaffney co-auteur d’un document détaillant les étapes réalisables et les suggestions proposées aux gouvernements, aux entreprises et aux individus pour changer leur comportement en ralentissant le réchauffement ?

« Je suis optimiste, dit-il. Nous vivons à une époque où les individus ont plus de pouvoir qu’à tout autre moment de l’histoire. Examinez votre sphère d’influence (employeur, réseaux, famille) et influencez-les. Nous n’avons pas besoin de convaincre 100% des gens, seulement 25%, alors une idée peut passer du marginal au grand public ».

Il ajoute : « la science est puissante, claire et simple: nous devons réduire de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2030. Toutes les solutions existent pour le faire, et si nous les appliquons, plus de personnes pourront vivre dans des villes plus propres, avoir une alimentation saine et travailler dans des économies résilientes et dynamiques ».

Duncan Geere, son collègue continue: « Je comprends parfaitement pourquoi les gens peuvent se sentir impuissants face au changement climatique. Vous avez l’impression que tout ce que vous faites est totalement insignifiant par rapport à l’ampleur du défi auquel nous sommes confrontés. Et il est vrai que les dirigeants politiques et les grandes entreprises assument l’essentiel de la responsabilité ».

Cependant, il souligne trois choses que l’on peut faire, en tant qu’individu, pour contribuer à un changement et pour réaffirmer le contrôle de nos émotions.

Tout d’abord, faites du changement climatique un facteur de décision lorsque vous achetez votre nourriture, choisissez votre mode de transport et faites des achats. Ensuite, parlez du changement climatique avec vos amis, votre famille et vos collègues. Enfin, demandez aux hommes politiques et aux entreprises d’agir pour le climat.

Agir pour lutter contre l’angoisse, c’est aussi le credo de Greta Thunberg, la jeune Suédoise qui a lancé les marches des jeunes pour le climat.

Notre cerveau n’est pas fait pour l’écologie

Pourtant, il reste encore des personnes qui ne veulent pas voir le problème climatique en face et qui ne veulent pas s’en préoccuper. Cela est dû à cerveau. « Nous nous dissocions émotionnellement de la souffrance que nous infligeons à l’environnement, ce qui signifie que nous séparons un groupe de sentiments psychiques liés au réchauffement planétaire et créons une barrière d’amnésie afin de soulager notre détresse mentale », explique Susan Kassouf, clinicienne spécialisée en santé mentale dans Psychology Today. A l’opposé des éco-anxieux, la plupart des gens restent donc dans une sorte de déni sur le changement climatique.

Lire aussi : Nos cerveaux ne sont pas faits pour l’écologie

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire