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Le succès des régimes sans gluten est un « effet de mode »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Pédiatre gastro-entérologue et spécialiste de la maladie coeliaque, le Dr Catherine Wanty dénonce les régimes sans gluten entrepris sans avis médical éclairé.

Catherine Wanty est pédiatre gastro-entérologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL), à Bruxelles, et au Grand Hôpital de Charleroi. Spécialiste de la maladie coeliaque, elle qualifie d’ « effet de mode » le succès des régimes sans gluten adoptés par des personnes non atteintes par cette maladie auto-immune. Elle estime aussi que les bilans nutritionnels conseillés aux patients qui souffrent de désordres digestifs mineurs sont sans valeur scientifique.

Le Vif/L’Express : Comment expliquer le succès actuel de l’alimentation « gluten-free » ?

Catherine Wanty : On peut parler à la fois d’effet de mode et d’enjeu marketing. Des affaires très médiatisées, comme la vache folle, le poulet à la dioxine ou les lasagnes à la viande de cheval, ont suscité de vives inquiétudes. Une partie de la population n’a plus confiance dans l’agroalimentaire et se tourne vers des produits résolument « bio ». On aspire à renouer avec une alimentation du passé, plus naturelle. Mais il faut veiller à respecter l’équilibre nutritionnel. Manger varié permet à l’organisme de puiser chaque nutriment selon ses besoins propres.

Les régimes sans gluten seraient-ils dangereux pour la santé ?

Je conseille vivement de ne pas débuter un régime d’éviction sans un avis médical éclairé. Nous observons régulièrement des cas cliniques de malnutrition suite à la mise en route de régimes inadaptés. Certaines mamans, pour apaiser les pleurs incompris de leur bébé, ont instauré, de leur propre chef, des régimes drastiques, écartant le lait, les oeufs, le gluten. Cela peut provoquer des désordres nutritionnels graves, qui ont des répercussions sur la croissance de leur enfant. Il y a même eu, en Belgique, pays de surconsommation, des cas décrits de kwashiorkor, syndrome de malnutrition sévère que l’on ne rencontre habituellement que dans le tiers-monde ! En outre, pour un enfant, un régime sans gluten peut avoir des conséquences sociales : la privation de repas scolaires, de goûters d’anniversaire…

Des patients qui souffrent de troubles digestifs seraient sensibles aux produits contenant du gluten. Quel est votre avis sur ce syndrome ?

La sensibilité au gluten est une entité obscure, encore mal comprise, mal définie en médecine. Certains individus qui souffrent de troubles digestifs mineurs, tels que ballonnements, douleurs abdominales vagues, transit perturbé… disent se sentir mieux sous régime sans gluten. Dans leur cas, il ne s’agit pas d’un désordre immunitaire. Les tests sanguins sont normaux. Les biopsies intestinales également, si elles sont pratiquées. Il n’y a, chez ces patients, aucune carence alimentaire. La médecine traditionnelle ne peut donc leur prescrire un traitement. Ils se tournent alors vers ceux qui leur proposent un bilan nutritionnel, basé sur un dosage d’anticorps appelés IgG. Il faut se méfier de ce type de bilan.

Pourquoi ?

Ces tests n’intègrent pas les éléments indispensables au repérage des pathologies digestives les plus graves. De plus, les analyses, commentées sur une trentaine de pages pleines de beaux graphiques en couleur, sont onéreuses : 200 à 300 euros par rapport. Elles ne sont pas remboursées par l’Inami et leur valeur scientifique n’est pas prouvée.

Les tests dits IgG n’ont, selon vous, aucune utilité pour diagnostiquer des intolérances alimentaires ?

Il n’y a pas d’étude ou de revue médicale qui en confirme l’utilité. Ces IgG, anticorps « mémoire » du corps à l’égard des aliments, n’ont pas beaucoup de signification dans l’explication d’une pathologie. Ils sont, en effet, peu spécifiques et peuvent se révéler faussement positifs. On risque de prescrire à des patients des régimes sans gluten qui ne leur sont pas nécessaires. La sensibilité au gluten reste une notion décriée, non scientifiquement prouvée. L’aspect nutritionnel d’un trouble a parfois tendance, aujourd’hui, à devenir trop dominant.

Prescririez-vous un régime sans gluten à des patients qui n’ont pas la maladie coeliaque, mais souffrent de fatigues chroniques, de spasmes, du syndrome du côlon irritable ?

Jamais à des enfants, en tout cas ! Le régime sans gluten est bien trop lourd pour eux. Concernant les adultes, il n’y a, a priori, pas de risque à suivre un régime sans gluten. Mais il faut d’abord disposer d’un vrai bilan médical, effectué par un gastro-entérologue, afin d’exclure la présence d’autres pathologies éventuelles. On peut avoir « mal au ventre » pour 36 raisons ! La « sensibilité » au gluten est une porte ouverte sur un monde où l’on peut facilement s’égarer. Certains patients changent plusieurs fois de régime, perdent des mois ou des années avant de bénéficier d’un bon diagnostic.

Que déplorez-vous dans le débat sur l’intolérance au gluten ?

Les amalgames trop fréquents entre trois types de réactions possibles au gluten, accompagnés de symptômes différents. Par ordre croissant de gravité : la sensibilité au gluten, dont nous venons de parler, l’allergie au gluten et la maladie coeliaque. Certains patients développent des symptômes allergiques après l’ingestion de gluten. Il s’agit souvent de douleurs abdominales et de troubles respiratoires, d’urticaire, d’éruptions, de gonflements du visage, parfois précipités par un effort physique. Comme pour les oeufs, le lait, le soja, les arachides et autres allergènes alimentaires, le mécanisme de la réaction est activé par des IgE, des immunoglobulines de type E. Le traitement passe un régime excluant ces aliments.

Vous êtes spécialiste de la maladie coeliaque en pédiatrie. Quels symptômes constatez-vous chez les enfants ?

Quelques mois après l’introduction de gluten dans son alimentation, le petit enfant souffre de diarrhées, de perte de poids, de ballonnement abdominal, d’irritabilité. Chez les enfants plus âgés et les adultes, on peut observer d’autres symptômes : carence en fer, fatigue, constipation, troubles de l’émail dentaire, retard de croissance… Le diagnostic nécessite un bilan sanguin, avec dosage des IgA, les immunoglobulines A, et des biopsies intestinales. Maladie auto-immune provoquée par l’ingestion de gluten, la maladie coeliaque touche des sujets génétiquement prédisposés. La réaction inflammatoire au niveau de l’intestin grêle engendre une atrophie de la muqueuse digestive.

Comment les malades sont-ils traités ?

On ne guérit pas de la maladie coeliaque. Le seul traitement, à l’heure actuelle, consiste à suivre, à vie, un régime strict sans gluten. Régime efficace, sans effet secondaire, mais astreignant. Le non-respect du régime peut entraîner, à long terme, des répercussions nutritionnelles graves suite aux phénomènes de malabsorption engendrés par la maladie : carences en vitamines, ostéoporose, voire risque accru de cancer digestif. Depuis 2006, les patients coeliaques peuvent bénéficier d’un forfait, destiné à compenser le surcoût du régime adapté : 38 euros par mois. Car un pain sans gluten peut coûter deux ou trois fois plus cher qu’un pain normal. Idem pour un paquet de pâtes sans gluten.

Plus d’infos sur la maladie coeliaque le site www.pediatrie.be.

Le dossier « Tous allergiques au gluten ? » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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