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Le retour en grâce des psychédéliques pour soigner les troubles mentaux

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

De nouvelles recherches montrent que les substances psychédéliques sont efficaces pour lutter contre les troubles mentaux. La Psychedelic Society Belgium, fraîchement créée, plaide pour que l’utilisation de ces substances soit retirée du Code pénal belge afin de les exploiter en accompagnement thérapeutique. Rencontre avec ses membres fondateurs.

On assiste à une renaissance de la médecine mentale psychédélique après avoir été diabolisée dans les années 1960. De multiples essais cliniques sur la question fleurissent – on en comptait plus de 80 rien qu’en 2020 – révélant les effets bénéfiques des champignons hallucinogènes, de l’ayahuasca, du LSD, de la MDMA,… dans le traitement de problèmes mentaux tels que la dépression, l’anxiété, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), les troubles alimentaires ou encore, les addictions.

En 2015 déjà, la revue médicale britannique The Lancet soulignait que ces substances étaient sans dangers physiologiques et très faiblement addictives. Aux États-Unis, la thérapie à la psilocybine (l’ingrédient actif des champignons hallucinogènes) a reçu le statut de « thérapie de pointe » de la Food and Drug Administration pour le traitement de la dépression.

Une étude récente du réputé centre de recherche américain Johns Hopkins a démontré que les substances psychédéliques étaient quatre fois plus efficaces pour traiter une dépression modérée à sévère que des antidépresseurs classiques. Ou encore, les recherches de l’équipe du neuropsychopharmacologue anglais David Nutt, publiées dans The Lancet, concluent que les dommages éventuels causés par certains psychédéliques sont négligeables par rapport à d’autres substances, souvent légales. L’alcool occupant la première place dans cette recherche, les champignons hallucinogènes la dernière…

Des substances sans dangers physiologiques et très faiblement addictives.

Et en Belgique ?

Qu’en est-il chez nous ? « On n’est vraiment nulle part. La Belgique est au premier rang mondial pour la recherche médico-pharmaceutique, mais pour l’instant il n’existe pas d’études sur les effets des psychédéliques. Il n’y a aucune recherche universitaire en cours, aucun centre ne s’y intéresse pour des essais thérapeutiques. Rien ! » déplore Lennart Cok, psychologue et président de la toute jeune Psychedelic Society Belgium.

Au vu des effets prometteurs de ces substances, comment expliquer le manque d’intérêt dans notre pays ? Selon la psychiatre Marianne Destoop du centre psychiatrique anversois Multiversum citée par De Standaard, cela a tout à voir avec l’illégalité des drogues, et non avec les doutes sur leur puissance. « Il est très difficile d’obtenir un financement en Belgique pour mettre en place de telles études, et d’obtenir une dérogation à l’interdiction des drogues dures et l’autorisation d’un comité d’éthique« , déclare-t-elle. Ce parcours du combattant pour obtenir des dérogations pour l’utilisation des substances étudiées est clairement décourageant pour les chercheurs.

Le retour en grâce des psychédéliques pour soigner les troubles mentaux
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Créée à l’automne 2020, la Psychedelic Society Belgium regroupe une vingtaine de spécialistes, principalement dans le domaine de la santé (psychologues, psychiatres, thérapeutes, médecins…), mais aussi des juristes, des consultants en finances, des citoyens engagés … Ils ont comme volonté d’améliorer la compréhension des psychédéliques auprès du grand public ainsi que de soutenir la recherche à visée thérapeutique. Dans ce contexte, l’association entend faire sortir du Code pénal belge les substances psychédéliques prometteuses pour soigner les troubles mentaux.

Son président lance un pavé dans la marre: « Imaginez que nous découvrions aujourd’hui des médicaments capables de guérir des dépressions, des troubles de l’anxiété et des dépendances dans un laps de temps relativement court, et que ces médicaments s’avèrent sûrs sans effets secondaires indésirables notables. Imaginez que ces drogues existent depuis des années, parfois depuis des milliers d’années, mais qu’elles soient maintenant classées à tort comme des drogues dures illégales et ne puissent pas être utilisées en thérapie. Que dirions-nous aux nombreuses personnes qui en ont besoin ? ».

A l’heure actuelle, toutes ces substances sont en effet interdites à la consommation. Le cadre juridique et social, ancré dans la loi belge sur les drogues (elle vient d’avoir 100 ans), empêche l’utilisation de psychédéliques dans un contexte thérapeutique. L’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques suscite aussi un débat très tranché dans notre Royaume.

«  Une loi complètement absurde et obsolète « , nous disait récemment Bruno Valkeneers, directeur de la communication pour l’ASBL Transit et porte-parole francophone lors du lancement de la campagne « Unhappy Birthday ». Initiée par les collectifs #STOP1921 et SMART on Drugs, elle demande l’examen de la portée et de l’efficacité de la loi drogues, considérée en total décalage avec son temps.

« L’utilisation en dehors d’un cadre sûr est dangereuse »

« Nous plaidons pour la création d’un cadre légal pour l’utilisation thérapeutique des substances psychédéliques en Belgique dans un environnement sécurisé« , plaide, de son côté, Kristof Lemahieu, juriste et cofondateur de la Psychedelic Society Belgium.

L’idée n’est donc pas de se rendre à la pharmacie pour y retirer des comprimés de MDMA en toute impunité. « Il est important que le patient soit bien accompagné lors d’une thérapie utilisant des substances psychédéliques. Les réactions peuvent fortement varier d’un patient à l’autre« , prévient Lennart Cok. « Nous sommes très prudents et nous insistons sur ce point. Nous ne plaidons pas pour une légalisation pure et simple des psychédéliques. Il s’agit de médicaments puissants qui doivent être utilisés de la bonne manière et qui nécessitent une forme de réglementation appropriée« , ajoute le thérapeute.

« Un autre champ d’applications est envisagé pour les patients en soins palliatifs ou atteints d’un cancer. Cette expérience existentielle très forte leur permet de retrouver du sens. Elle leur apporte un mieux-être et soulage, dans la foulée, la douleur », nous explique encore Lennart Cok. « Cela peut diminuer l’anxiété et la dépression chez ces personnes. Ce serait dommage de s’en passer « , estime-t-il.

Le docteur Mathieu Seynaeve, psychiatre belge attaché au King’s College, est l’un des rares médecins en Grande-Bretagne à pouvoir prescrire dans le cadre d’un traitement expérimental mené sur une centaine de patients de la psilocybine à des patients gravement dépressifs et qui ont épuisé les traitements classiques. « Nous pensons que la psilocybine et d’autres psychédéliques peuvent aider les patients à abandonner des schémas de pensée négatifs et bien ancrés et, avec l’aide de psychothérapeutes, à rechercher des pensées, des émotions et des comportements plus constructifs« , est-il d’avis, cité par De Standaard.

Retraite psychédélique de luxe

Dans les pays où ce type de thérapies est autorisé, l’accompagnement thérapeutique se fait sur plusieurs semaines. Il prend autant de temps et d’importance que l’expérience psychédélique en tant que telle. Le suivi commence par des rendez-vous entre patient et thérapeute afin de préparer le terrain pour les quelques séances où la dose de psilocybine sera utilisée. Après ces séances parfois éprouvantes pour le patient – elles peuvent durer jusqu’à 8 heures – il est important d’encore prévoir plusieurs moments de débriefing avec le patient pour intégrer l’expérience au mieux dans sa vie quotidienne.

Les personnes qui ont vécu un tel accompagnement le qualifient « d’un des moments les plus forts de leur vie« . Au point que ce genre de retraites devient la nouvelle hype. Aux Pays-Bas, il est ainsi possible de réserver une « retraite psychédélique » au centre « Synthesis » situé à Amsterdam, en toute légalité. Une telle prise en charge pendant deux jours dans un luxueux penthouse de la capitale néerlandaise n’est toutefois pas accessible à toutes les bourses, comptez de 2000 à 9000 dollars par personne pour le « package » le plus personnalisé. Un phénomène dont le succès a été boosté, entre autres, par des émissions comme celles de Gwyneth Paltrow, The Good Lab, dont le premier épisode suit des personnes en retraite psychédélique.

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Mais tout n’est pas rose. Dans certains cas, les drogues psychédéliques peuvent provoquer une psychose chez les personnes qui y sont sensibles. Ces traitements ne sont pas conseillés aux patients qui souffrent de schizophrénie, par exemple. « Le traitement à base de psychédélique peut être mal vécu« , prévient le docteur Seynaeve. Les patients peuvent être confrontés à des peurs ou à des souvenirs refoulés. Il faut du temps et de bons conseils pour leur donner une place. L’utilisation en dehors d’un cadre sûr est dangereuse. » Avec l’avancée des recherches, les thérapeutes espèrent que cette catégorie de patients pourront aussi être pris en charge dans le futur.

Le mirage du micro dosage

Le premier Centre universitaire pour la recherche psychédélique a été fondé en 2019 au sein de l »Imperial College of London. Ses chercheurs viennent de livrer des conclusions moins encourageantes sur le micro dosage de LSD, une pratique vantée par les jeunes gourous de la Silicon Valley pour booster la créativité. Lors d’un essai restreint, explique The Guardian, les scientifiques ont constaté que les personnes ayant pris des microdoses pendant quatre semaines ont fait état d’une amélioration de leur bien-être, de leur état de conscience et de leur joie de vivre, ainsi que d’une diminution de leur sentiment de paranoïa. Mais le groupe placebo s’est également amélioré, à tel point qu’il n’y avait pas de différence statistique entre les deux.

En décembre dernier, une étude conjointé des universités de Bâle et de Maastricht publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology a donné, de son côté, des résultats plus prometteurs sur les effets de la prise de microdoses de LSD sur l’humeur et la cognition. L’expérience menée à Maastricht sur vingt-quatre adultes en bonne santé âgés de 18 à 40 ans, certains recevant de façon aléatoire un placebo, a montré que la consommation de LSD à petites doses a un réel effet positif sur l’humeur.

La recherche internationale sur ces effets est encouragée par la fondation internationale OPEN. Son président, Joost Breeksema, travaille dans ce domaine au sein de l’université de Groningen. Lui aussi insiste sur la prise en charge thérapeutique lors de la consommation de ces drogues qui peut se révéler bénéfique. « Les champignons hallucinogènes semblent offrir aux personnes qui souffrent de troubles psychiques une meilleure compréhension de leurs maux et pour certains, les aider à les résoudre en touchant au coeur même du problème « , nous explique-t-il.

Un rôle majeur dans la crise actuelle de la santé mentale

Les troubles dépressifs et anxieux touchent plus de 17 % de la population belge. 7, 6% de la population consomment des antidépresseurs. L’utilisation d’antidépresseurs et d’autres médicaments, en combinaison ou non avec une psychothérapie, n’offre aucun réconfort à plus de 30 % de ces patients. « Ce sont les données pour l’année 2018. On s’attend à ce que ces statistiques augmentent en 2020 avec la crise sanitaire. Dans ce contexte, les psychédéliques peuvent jouer un rôle majeur dans l’atténuation de la crise actuelle de la santé mentale, qui ne fait que s’aggraver en raison de la pandémie », conclut Nina Callens, docteur en psychologie et l’une des membres fondatrices de la Psychedelic Society Belgium.

Trois questions à Christine Guillain, professeure de droit pénal à l’Université Saint-Louis de Bruxelles

Est-ce possible aujourd’hui, en Belgique, d’organiser un accompagnement thérapeutique à base de substances psychédéliques?

Il est actuellement possible de tenir une telle expérience à des fins thérapeutiques, moyennant une autorisation. Evidemment, il faut être sûr d’être conforme aux conventions internationales en matière de drogues.

Y-a-t-il déjà des exemples concrets ?

Un parallèle peut être opéré avec la délivrance contrôlée de morphine qui a fait l’objet d’une expérimentation à la salle de consommation contrôlée de Liège (NLDR : où des personnes peuvent venir consommer des drogues à moindre risque). On est exactement dans la même problématique. On a pu y délivrer avec succès de l’héroïne sous forme médicale dans un cadre expérimental d’une durée de deux ans, ce qui est autorisé par les conventions internationales. On pourrait dupliquer cette expérience à base d’héroïne avec du LSD en demandant toutes les autorisations nécessaires.

C’est bien de faire bouger les lignes, d’en parler, mais il sera laborieux de faire changer la législation. Les mentalités évoluent lentement.

L’idée était d’ensuite d’entériner cette expérience et de l’inscrire dans la loi pour la pérenniser. Afin de ne pas criminaliser les délivreurs et les détenteurs de ces substances qui tomberaient sous le coup de la loi pénale, car elles sont interdites. A Liège, le projet a bloqué, car il faut modifier la loi drogues.

Modifier la « loi drogues » comme le réclame la Psychedelic Society Belgium, est-ce compliqué ?

Modifier cette loi est très compliqué. Il faudrait d’abord trouver un accord politique. Ça a déjà été compliqué pour la morphine alors que son usage est reconnu depuis de nombreuses années. La loi a été modifiée à plusieurs reprises via un arrêté royal, notamment pour autoriser les traitements de substitution à certaines conditions. Un médecin peut ainsi prescrire de la méthadone comme traitement de substitution. Un médicament à base de cannabis, le Sativex, a aussi été autorisé sur prescription pour certaines pathologies. Mais toutes ces substances, LSD, MDMA, … ne font pas partie de la pharmacopée en Belgique. C’est bien de faire bouger les lignes, d’en parler, mais il sera laborieux de faire changer la législation. Les mentalités évoluent lentement.

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