"Si on découvre le bien-être de se retrouver ensemble, on l'exportera dans nos relations avec les autres." © SEBASTIEN BOZON/BELGAIMAGE

Le psychothérapeute Thomas d’Ansembourg sur le coronavirus et le confinement: « Un chamboulement et beaucoup d’émotions »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le Covid-19 et le confinement sont des épreuves dont on peut sortir grandi, individuellement et collectivement. Le psychothérapeute belge Thomas d’Ansembourg, auteur de Cessez d’être gentil, soyez vrai!, pose sur la crise sanitaire des mots optimistes mais réalistes.

La crise sanitaire exacerbe des comportements divers : la bienveillance, la solidarité… mais aussi la méfiance, y compris à l’égard des soignants. Paradoxal ?

Non. Nous sommes dans des circonstances tout à fait nouvelles de ralentissement, parfois d’arrêt complet des activités. Nous sommes invités à revisiter nos fonctionnements, nos priorités, nos rythmes. C’est un énorme chamboulement qui amène beaucoup d’émotions. Certains sentent qu’ils peuvent en tirer parti pour s’apaiser, se pacifier, enrichir la relation à soi et aux autres. Pour d’autres, ce changement de la vie émotionnelle engendre beaucoup de tensions et d’agressivité.

Le confinement n’est-il pas une source de violence aggravée, tant verbale que physique ?

Le risque est là, évidemment. Nous ne sommes pas habitués à être 24 heures sur 24 avec notre conjoint, nos enfants. Cette proximité peut amener des frustrations et des irritations, débouchant potentiellement sur de la violence. C’est malheureux, bien sûr, mais sans doute inévitable, sans quelques apprentissages. Nous pouvons tous utiliser ce confinement comme un laboratoire pour notre vie quotidienne et voir, dans cette circonstance, comment apprendre à exister autrement qu’en étant agressif ou fuyant, à rester posé, empathique pour nous-même et pour l’autre.

N’est-il pas plus difficile de bien communiquer dans ces circonstances de repli sur soi ?

Nous sommes sans arrêt avec l’autre, dans la proximité d’un appartement ou d’une maison. Cette présence constante peut empêcher d’avoir l’espace de recul nécessaire pour jouir d’un minimum de discernement. C’est ce que j’appelle l’intériorité citoyenne. Ne pas être dans l’action-réaction, ne pas se laisser prendre par un vent d’émotions, voir ses émotions sans se laisser piéger par elles… Tout cela s’apprend. Ici, nous sommes tout d’un coup invités collectivement à prendre conscience que ces enjeux-là ne sont pas seulement du ressort du développement dit personnel, mais plutôt du développement social. Après le confinement, nous aurons besoin de continuer à bien vivre avec nos émotions. Essayons de profiter de cet atelier de quelques semaines pour évoluer.

Cela peut être très positif pour apprendre un autre vivre-ensemble, avec davantage de compassion.

Comment faire, surtout pour ceux qui vivent en appartement en ville ?

Il faut se ménager du temps pour soi, soit une bulle d’attention pour la personne que je suis. C’est très rare, que nous ayons ce moment d’empathie personnelle dans notre vie quotidienne. Ne fut-ce que le matin avant de démarrer la journée : être avec le premier humain dont nous avons la charge en lui posant la question simple que nous posons aux autres tout au long de la journée,  » comment ça va ? « . S’intéresser à nos joies, à ce qui nous rend confiant, nous donne le goût de vivre, mais aussi à notre tristesse, à nos angoisses, nos agacements… Il est crucial d’écouter toutes ces parties de soi pour ne pas nous laisser piéger par l’une d’entre elles, en particulier la peur pour le moment. Cela permet ensuite de ménager du temps d’empathie pour l’autre.

Thomas d'Ansembourg.
Thomas d’Ansembourg.© TWITTER

Mais on n’a pas l’habitude de faire ça… Cela paraît compliqué.

C’est vrai. Cependant, nous sommes un peu comme échoués sur une île déserte après un naufrage, avec nos proches. C’est une situation que nous n’avons pas choisie. Il faut faire avec, prendre la situation comme une opportunité de se rencontrer autrement, en gardant de la bienveillance, de la dignité, du recul, même lorsqu’on est en instance de divorce et qu’on se retrouve confinés à deux, ce qui est arrivé à un de mes patients. Le challenge est énorme. Mais chacun de nous a l’occasion de faire un saut considérable. Bien sûr, on n’est pas dans un monde de Bisounours. Nous avons des pulsions, des colères, des accès de rage. Il faut les écouter et leur donner le droit d’exister pour éviter le passage à l’acte. Il y a là beaucoup d’énergie, mais on peut apprendre à l’exprimer autrement qu’en étant agressif. On peut faire des colères constructives, c’est possible.

Le repli sur soi en famille peut aussi entraîner une nouvelle complicité. Avec le risque, à terme, d’encourager des égoïsmes envers les autres ?

Je ne le crains pas, non. Si on découvre le bien-être de se retrouver ensemble, une nouvelle connivence, le fait d’avoir pu dépasser les collisions de surface, d’ego, je pense que cette qualité de conscience-là va demeurer. Et on souhaitera l’exporter dans nos relations avec les autres. Encore une fois, c’est un travail de développement personnel que nous sommes amenés à faire collectivement, c’est-à-dire ralentir le rythme, prendre du temps pour soi, vivre plus sobrement, observer ses pulsions et ses envies, s’interroger sur ses mouvements d’humeur… Cela peut être très positif pour apprendre un autre vivre-ensemble, avec davantage de compassion. Surtout lorsque nous sortirons du confinement. Nous serons émerveillés d’être vivants, en bonne santé, et aurons envie de nous nourrir d’autres choses, de maintenir une énergie vitale pour traverser toutes les intempéries ou épidémies à venir.

Les médias renforcent-ils les émotions négatives ? A quoi devraient-ils veiller, selon vous ?

Pour la plupart des médias, au nom du réalisme, une bonne nouvelle n’est pas une nouvelle. Or, dans la réalité, il y a infiniment plus de belles choses qui se passent que de moches. Mais 90 % des infos font état de tragédies. C’est, au fond, scandaleux parce que ça  » grisaille  » le monde et cela répand un esprit de résignation à la tragédie. Aujourd’hui, on n’a pas besoin d’en remettre une couche sur la crise du coronavirus. On a plutôt besoin de sentir que, de cette crise, un éveil est possible et que des changements importants vont se réaliser, à commencer par la valorisation des services médicaux. On souhaite tous que les soignants voient leur salaire tripler et obtiennent les équipements nécessaires. Idem pour l’environnement : on revoit des poissons nager dans les ports et même des dauphins à Venise. Idem pour le télétravail et le changement de rythme. Des bonnes nouvelles comme des bonnes leçons à tirer de cette crise, il y en a des tonnes. Privilégions-les.

Nous avons besoin de sortir de la culture, voire du culte du malheur.

Les gens attendent tout de même des informations sur le développement de l’épidémie…

D’accord. Mais, le 1er avril, pourquoi avoir ouvert tous les journaux télévisés sur la jeune fille de 12 ans décédée du virus en Belgique ? Bien sûr, ce décès est terrible. Mais le mettre ainsi en avant ajoute de la peur. Les années précédentes, la grippe saisonnière a aussi tué des plus jeunes parmi nous, sans que cela ne fasse la Une avec autant d’intensité. Les journalistes ont une grande responsabilité dans le climat émotionnel du monde. Nous avons besoin de sortir de la culture, voire du culte du malheur.

Que peut-on apprendre d’un virus antisocial qui empêche les gens de se rencontrer ?

Une leçon majeure sur la qualité de nos rencontres. Nous communiquons de plus en plus vite et de plus en plus mal. Nous prenons nos échanges sur les réseaux sociaux pour de la communication. Mais ce n’est pas de la rencontre. Le coronavirus nous amène à nous rencontrer dans le confinement. C’est parfois râpeux, pas forcément confortable, car nous ne sommes plus dans les choses à faire, mais dans la qualité d’être. Si ce virus nous touche sur le plan de la relation en nous obligeant à avoir une plus grande hygiène physique, en tenant nos distances, en nous lavant les mains régulièrement, on peut adopter les mêmes rituels sur le plan psychique, pour ne plus exporter nos projections sur les autres, ni importer celles des autres, c’est-à-dire les peurs, les jugements, les interprétation… Comme vous le voyez, le mot  » projections  » peut avoir plusieurs sens. On peut aussi prendre une douche psychique quotidienne. C’est très important. Soyons moins consommateur de relations, afin de privilégier les plus saines. Soyons davantage présent avec ceux que nous choisissons de rencontrer.

 » Quand on est confiné en famille, il faut se ménager du temps pour soi, une bulle d’attention personnelle. « © GETTY IMAGES

L’humour a envahi les réseaux sociaux. Salutaire ? Rire aide à tenir ?

On le sait depuis toujours, l’humour donne une grande force pour traverser les épreuves. Tout ces gens qui se filment de manière abracadabrante chez eux, quelle incroyable créativité ! On voit une profonde joie de vivre émerger à travers la difficulté. J’espère qu’on va garder cette joie-là après la crise, ne pas la laisser s’étouffer en retombant dans dans le business as usual.

 » Les violences sont des épidémies « , avez-vous écrit. La crise actuelle annonce-t-elle un monde plus violent ou plus solidaire ?

Nous avons deux possibilités pour grandir, à la fois dans l’individuel et dans le collectif. Dans l’individuel, je peux en témoigner en tant que thérapeute, nous changeons soit parce que nous n’aimons plus la vie que nous menons et essayons de la transformer spontanément, soit parce que nous vivons un choc, une épreuve douloureuse, un deuil, un accident, une maladie, une faillite, qui nous amène à nous poser des questions existentielles. Aujourd’hui, nous vivons collectivement un véritable choc de vie qui, si nous en tirons parti, va nous amener à nous transformer. Je suis plutôt optimiste, d’autant que cette crise touche la planète entière, une planète interconnectée. Nous sommes tous concernés, partout dans le monde, riches, pauvres, célèbres, anonymes. On est tous dans le même bateau, sur un pied d’égalité. C’est une opportunité historique.

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