Pour les soignants, une fois les critères médicaux dépassés, intervient la tension entre égalité et efficacité. © BELGAIMAGE

Le coronavirus, une épreuve pour la santé mentale des soignants

Le Vif

« Je suis extrêmement anxieuse », dit les larmes aux yeux Debbie Sanchez, infirmière dans un service de soins intensifs d’un hôpital du Bronx, l’un des quartiers new-yorkais les plus touchés par l’épidémie.

Le virus « bouleverse toute votre vie, c’est ça qui est stressant », dit cette femme de 57 ans, qui enchaîne désormais des vacations de 12 heures à l’hôpital Montefiore, en tenue de protection de pied en cap. Alors que New York est frappé de plein fouet par l’épidémie depuis la mi-mars, avec plus de 14.000 décès confirmés ou probables du virus, cela fait plus d’un mois qu’elle n’a pas vu sa mère, qui habituellement vit avec elle, ou sa petite-fille, de peur de les contaminer. Elle craint aussi de faire des erreurs, elle qui n’avait jamais travaillé auparavant dans une unité de soins intensifs. « J’ai du mal à dormir », confie-t-elle.

Plusieurs récentes études montrent qu’une partie des milliards de personnes actuellement confinées dans le monde souffrent d’anxiété et de dépression. Quelque 36% des Américains disent que le virus affecte sérieusement leur santé mentale, selon une lettre envoyée le 13 avril par l’American Psychiatric Association aux responsables du Congrès. Mais pour les professionnels de santé, en première ligne face au coronavirus et confrontés chaque jour à la maladie et à la mort avec un risque élevé de contagion, la situation est particulièrement difficile à vivre. « La période actuelle teste notre résilience », dit Jonathan Ripp, médecin en charge du « bien-être » au sein du groupe hospitalier Mount Sinai à New York et co-auteur d’une étude sur l’anxiété des soignants, publiée ce mois-ci dans le Journal de l’American Medical Association (JAMA).

Incertitudes et dilemmes

« En même temps qu’ils luttent contre les changements sociétaux et le stress des gens dont ils doivent s’occuper, les professionnels de santé sont exposés à de plus grands risques, une charge de travail extrême, des dilemmes moraux et des pratiques médicales qui évoluent très vite, très différentes de ce à quoi ils sont habitués », indique cette étude menée par Mount Sinai avec l’université de Stanford.

« Aurons-nous suffisamment d’équipement (de protection)? Comment se rendre au travail? Qui va s’occuper de mes enfants? Comment ça se passera dans le service où on m’a redéployé? Et si je me retrouve avec des patients gravement malades, qui meurent? » Autant de questions que se posent les soignants, explique le Dr. Ripp. Mount Sinai a essayé de répondre à leurs questions sur un site web dédié, créé une ligne téléphonique spéciale fonctionnant 24/24h et des groupes de soutien en ligne, en plus de séances de méditation et de yoga. Des spécialistes de santé mentale contactent aussi spontanément les soignants, pour voir comment ils se sentent.

« Signes de traumatisme »

Pour Heather Isola, 36 ans, qui chapeaute les quelque 900 assistants médicaux des huit hôpitaux du groupe Mount Sinai, le pire moment a été quand l’un d’entre eux a été testé positif et a été hospitalisé dans un état grave. « C’était le pic de l’épidémie, le pic pour l’hôpital. Ce jour-là, j’étais cassée. J’ai dû demander l’aide de mes amis, ma famille », dit-elle. « Et puis la même chose se répète chaque jour, et c’est épuisant (…) Comment serons-nous affectés, les anxiétés, le stress post-traumatique, l’expérience de la mort et des mourants… La plupart des gens ne voient pas autant de morts », confie-t-elle.

Selon des chiffres officiels datant du 17 avril, au moins 26 employés des hôpitaux publics new-yorkais sont déjà morts du coronavirus. « Il est impossible de ne pas penser à ce patient de 30 ou 40 ans, qui n’est peut-être qu’une exception, mais qui n’avait aucun problème de santé et se retrouve sous respirateur pour des raisons qu’on essaie encore de comprendre. Quand on a ça sous ses yeux, ça devient très réel, ça porte la peur et l’anxiété à un niveau beaucoup plus élevé », dit le Dr. Ripp.

Pour Dawn Brown, directrice d’une ligne téléphonique nationale de soutien d’aide face aux maladies mentales, la situation est « réellement tragique » pour le personnel hospitalier. « On commence à voir des signes de traumatisme », dit-elle, « et cela a des conséquences majeures ». L’infirmière Debbie Sanchez ne va plus sur Facebook, et s’est déconnectée du groupe WhatsApp qu’elle partageait avec ses collègues. « C’est trop de stress », dit-elle. « Parfois je me me sens triste et j’ai envie de pleurer« .

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