La vérité sur la césarienne: Non, ce n’est pas une alternative banale
Depuis quelques années, la césarienne, accusée d’augmenter, chez l’enfant, les risques d’obésité, d’allergies, d’asthme, de diabète et même d’autisme, fait régulièrement le buzz. Dans son récent rapport sur les césariennes planifiées, le KCE rectifie le tir.
En 2014, une équipe irlandaise de l’Université de Cork dénonçait un lien de cause à effet entre la césarienne et le trouble du spectre autistique : « La naissance par césarienne augmenterait le risque d’autisme de 23 %. » En avril dernier, en prélude au 3e symposium international sur les prébiotiques et probiotiques en pédiatrie, organisé à Gand, le Pr Yvan Vandenplas, de l’UZ-VUB, affirmait que les enfants nés par césarienne et n’ayant donc pas bénéficié de la transmission de « bonnes » bactéries propres aux naissances par voie vaginale présentaient 20 % de risques en plus de souffrir d’allergies, d’asthme ou de diabète. Et, début septembre, les médias relayaient à grand bruit une étude de la Harvard School of Public Health publiée dans le Jama Pediatrics : « Une naissance par césarienne augmente de 15 % le risque d’obésité infantile. »
Mauvais karma?
« La césarienne fait l’objet de nombreuses études, résumées en formules choc dans la presse et sur internet et donnant l’impression que les enfants nés par césarienne sont affligés d’un mauvais karma, remarque la Dr Pascale Jonckheer, qui a cosigné le rapport du KCE avec sa consoeur Sabine Stordeur. Or, l’équipe de Cork est revenue sur ses conclusions en 2015, suite à des contrôles effectués sur les frères et soeurs des jeunes autistes. L’association césarienne-obésité infantile s’amenuise dès qu’on tient compte de facteurs maternels tels que l’âge ou l’obésité, et l’étude de Harvard néglige d’autres éléments susceptibles d’expliquer l’obésité, comme la génétique ou le mode de vie. Enfin, s’il est certain que le passage par le vagin contribue à la constitution du système immunitaire, le développement de l’immunité est multifactoriel. Il ne faut donc pas diaboliser la césarienne, d’autant que, pour certaines naissances, elle est inéluctable… »
Parfois décidée en urgence, quand un accouchement par voie vaginale se prolonge excessivement ou met en danger la vie de la mère et/ou de l’enfant, la césarienne peut aussi être planifiée en cas de présentation anormale – quand l’enfant est en position oblique, transverse ou en siège – ou de naissance multiple avec un enfant en siège et l’autre en position céphalique. Mais ces indications médicales ne représentent que 6 % de toutes les césariennes. « En 1985, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait recommandé de ne pas dépasser un taux de césariennes de 10 à 15 %, rappelle Sabine Stordeur. Or, dans certains pays, comme la Grèce, la Turquie ou le Brésil, plus de 30 % des naissances se font aujourd’hui par cette voie. En Belgique, nous en sommes ‘seulement’ à 21 %, mais avec des variations considérables – de 12 à 37 % – entre les maternités. »
Questions d’agenda
Plusieurs raisons expliquent cette multiplication spectaculaire des césariennes planifiées. « Tout d’abord, explique Sabine Stordeur, les grossesses tardives sont de plus en plus fréquentes. Or, au-delà de 35-40 ans, les femmes sont plus nombreuses à souffrir d’hypertension artérielle ou de diabète gestationnel, et elles présentent un risque plus élevé de placenta praevia (implantation du placenta dans la partie inférieure de l’utérus) et de pré-éclampsie (poussées d’hypertension qui peuvent provoquer le décollement du placenta et la perte du bébé), ce qui rend un accouchement par voie basse plus risqué. Ensuite, tant les parents que l’obstétricien recherchent actuellement un certain confort organisationnel. Les parents apprécient d’arriver en couple à l’hôpital, au jour fixé, en sachant que leurs autres enfants sont pris en charge et que tout est prévu, et la gestion de l’agenda de travail de l’obstétricien en est facilitée d’autant. Sans compter que la date probable de l’accouchement coïncide parfois avec les vacances de l’obstétricien, alors que la plupart des femmes tiennent légitimement à être accompagnées, au moment de la naissance, par le même praticien qui les a suivies tout au long de leur grossesse. En l’occurrence, une césarienne planifiée satisfait tout le monde. Par ailleurs, certaines femmes craignent d’accoucher par voie vaginale, soit parce qu’un premier accouchement leur a laissé un souvenir particulièrement pénible, soit parce qu’elles redoutent d’être confrontées, a posteriori, à des problèmes de fuites urinaires ou d’incontinence. Et, comme la césarienne se pratique sous anesthésie locorégionale, elles savent qu’elles pourront assister et même participer à la naissance. »
Rupture utérine
Confronté à ce phénomène en constante expansion, l’OMS a reformulé son avis : au lieu de fixer un taux ‘idéal’ de césariennes, elle conseille de n’effectuer une césarienne que lorsque c’est vraiment nécessaire. Mais pourquoi vouloir limiter une pratique qui a de si nombreux adeptes, chez les parents comme dans le corps médical ? Pour répondre à cette question, le KCE s’est penché sur les conséquences pour la mère et/ou l’enfant des césariennes pratiquées sans motif médical. » Le risque principal concerne les grossesses suivantes, souligne Pascale Jonckeer. À commencer par un risque, rare mais gravissime, de rupture utérine pendant le travail, qui peut entraîner le décès de l’enfant, voire de la mère. De même, les anomalies du placenta (placenta accreta, placenta praevia, décollement placentaire) augmentent avec le nombre de césariennes déjà subies par la maman. »
Le vieil adage « césarienne un jour, césarienne toujours » se vérifie-t-il donc encore, dans la pratique ? « Pas forcément, insiste Sabine Stordeur. Sauf nécessité médicale absolue, si la future mère est bien encadrée et bien surveillée, qu’on n’induit pas le travail et qu’on n’essaie pas de l’accélérer, l’accouchement vaginal après césarienne – dans notre jargon : AVAC – est une option possible. À condition évidemment de tout arrêter pour passer à la césarienne au moindre signe de souffrance maternelle ou infantile ! »
Du côté de l’enfant, on imagine souvent que la césarienne devrait lui être profitable, puisqu’elle lui épargne le « traumatisme » de la naissance par voie vaginale. Pourtant, la césarienne semble associée à une augmentation du risque de problèmes respiratoires à la naissance, susceptibles d’entraîner une hospitalisation en soins intensifs, avec assistance respiratoire et traitements antibiotiques. Surtout lorsque la césarienne est planifiée avant 39 semaines de grossesse.
Sans retour
Même si son côté pratique et son apparente innocuité dans un environnement technique maîtrisé ont tendance à le faire oublier, la césarienne reste donc une intervention chirurgicale, qui n’est pas dénuée de risques. S’il faut y recourir sans hésiter en cas de nécessité médicale, elle ne devrait pas pour autant être proposée comme une banale alternative à un accouchement « normal » par voie vaginale. « Les parents doivent en tout cas être clairement informés des avantages et des risques comparés de ces deux modes d’accouchement, souligne la Dr Jonckheer. Renoncer à une césarienne lorsqu’elle n’est pas nécessaire permet de conserver toutes les options possibles pour les grossesses futures. »
Marie-Françoise Dispa
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