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La spirale infernale des antidouleurs

Les États-Unis doivent faire face à une véritable épidémie due à de puissants antidouleurs. Il n’est pas rare qu’un banal accident, comme une jambe cassée ou la luxation d’une épaule, plonge le malade dans l’enfer de la drogue.

Les États-Unis commencent seulement à réagir face à l’un des plus graves problèmes de santé publique de son histoire. En 2014, 14.000 personnes sont mortes d’overdose après avoir abusé d’opiacés, selon le Centre de contrôle des maladies (CDC). Depuis 1999, ces puissants antidouleurs sont à l’origine de 165.000 décès.

‘Fonctionner avec la douleur’

La genèse remonte aux années 90, rappelle Andrew Kolodny, responsable médical de la Phoenix House Foundation, réseau de centres de traitement contre les addictions. Sous l’influence de grands laboratoires pharmaceutiques, mais aussi de professionnels éminents et d’autorités de santé dans certains États, les opiacés ont été dédiabolisés, avec comme argument impérieux qu’ils faisaient taire la douleur, si aiguë soit-elle.

« De partout, les médecins ont commencé à entendre que si vous étiez un praticien éclairé, avec de la compassion, vous seriez différents de ces docteurs avares et puritains du passé », explique Andrew Kolodny, également directeur exécutif de l’association PROP pour un diagnostic raisonné en matière d’opiacés. « Cela nous a mené à l’épidémie à laquelle nous faisons face aujourd’hui », dit-il.

Pour soigner son genou, Crystal Llerena, jeune femme aux longs cheveux noirs, se félicite de pouvoir se passer d’opiacés, qui ont emporté deux de ses amis, au terme d’un long parcours démarré par des soins pour un banal accident de voiture. « Il est extrêmement courant » de voir des cas d’addiction dont l’origine remonte au traitement d’une jambe cassée, d’une luxation de l’épaule ou de l’extraction d’une dent de sagesse, assure Andrew Kolodny.

« Toutes les addictions commencent avec la première dose. Si je peux ne pas la donner, je ne vais pas pousser les patients vers l’addiction, la dépendance et la spirale des opiacés », professe Mark Rosenberg. Mais après vingt ans à convaincre que la douleur n’avait plus sa place dans les hôpitaux américains, il faut réapprendre à cohabiter, lorsque c’est possible. « Si vous pouvez dormir, marcher, alors la douleur ne sera pas votre ennemie », explique Mark Rosenberg. « C’est ça, l’objectif: vous permettre de fonctionner avec la douleur, pasde l’éliminer complètement. »

« Tout a commencé par un quart de pilule »

Erik Jacobsen est « clean » depuis trois mois. Il sort à peine de l’enfer, celui de l’héroïne, sur laquelle il s’est replié lorsqu’il n’a plus eu accès aux médicaments opiacés, à l’origine de son addiction. Tout a commencé par un quart de pilule, pris pour faire impression à une fille qui lui plaisait. « Elle en prenait (des opiacés) et je ne voulais pas qu’elle sache que je n’y touchais pas », dit ce jeune américain de 24 ans aux cheveux clairs et à l’allure encore juvénile. C’est le début de son addiction à ces médicaments qui font des dizaines de milliers de morts aux États-Unis. « J’ai vomi partout », se souvient-il. « Je n’arrivais pas à encaisser. Je me suis habitué avec le temps. »

Ses cachets de ce qui était, au départ, un puissant médicament anti-douleur, Erik les achetait dans la rue. Il n’a jamais essayé de mettre la main sur une ordonnance pour les obtenir légalement. Il n’est pas le seul à plonger, dans ce coin reculé de Long Island, à plus d’une heure à l’est de New York.

« C’était très populaire dans mon quartier », raconte-t-il. « Il y avait énormément de gars qui récupéraient 200 pilules par mois et les vendaient. Mais comme ils en consommaient plus qu’ils n’en vendaient, ils devaient toujours de l’argent à leur dealer. C’était sans fin. »

Jusqu’au jour où les autorités locales décident d’agir. Les médecins ne prescrivent plus autant de ces puissants antalgiques à base d’opium, et la police s’y intéresse de près.

« C’est devenu très cher. C’est là que l’héroïne est arrivée. C’était beaucoup moins cher et de plus en plus facile à obtenir », décrit Erik Jacobsen, qui porte jean, t-shirt et baskets.

« Un soir, je ne trouvais plus de pilules », dit-il. « Alors, j’ai essayé l’héroïne. Je ne suis jamais revenu aux cachets. » Autour de lui, trois jeunes de son âge meurent d’overdose, dont un bon ami.

« J’avais accepté la possibilité que je pouvais en mourir, un jour », se souvient Erik Jacobsen, sur un ton monocorde. « J’ai détesté voir mes amis en mourir. C’est horrible. (…) C’est juste dingue ce que ça peut faire à ton corps. »

‘récupérer ma vie’

En début d’année, il est interpellé et passe devant le juge, qui lui ordonne de suivre un traitement, faute de quoi il sera incarcéré.

Il rejoint un centre de traitement du quartier d’East Village à New York, géré par le réseau Odyssey House, qui traite les addictions et les maladies mentales. Mais avant d’arriver au centre, il a dû se sevrer tout seul, en détention, sans aucun produit de substitution. « Je vomissais », raconte-t-il. « Je ne pouvais rien avaler, mais j’avais faim. Je ne souhaiterais pas ça à mon pire ennemi. C’est horrible. » Le calvaire aura duré cinq jours. Depuis trois mois au centre Odyssey House, il apprécie les lieux et la méthode. « Ils insistent beaucoup sur les petites choses, comme la ponctualité », dit-il. Contrairement à d’autres centres, souligne le jeune homme, « ils essayent de vous parler. Ils vous écoutent. » Maintenant qu’Erik n’est plus dans l’instant, il peut regarder derrière.

« J’ai tout perdu », reconnait-il. Sa fiancée, mais aussi ses trois meilleurs amis d’enfance, qui ne veulent toujours pas lui reparler. « Je ne fais plus confiance à personne », explique-t-il, « à part à ma famille ». « Et eux, ils ne me font plus confiance sur rien, ce qui est normal, vu les erreurs que j’ai commises. Je ne peux pas leur en vouloir. » Mais il regarde aussi devant, fait des projets. « Je veux récupérer ma vie », dit-il. « Je ne suis pas le plus jeune, mais je ne suis pas vieux non plus. Je pense qu’il n’est pas trop tard. »

Pour lui, le problème des opiacés s’est aggravé ces dernières années. Il voudrait que davantage soit fait pour alerter les jeunes, avant qu’il ne soit trop tard. « Les jeunes, enfin ceux de mon coin en tout cas, ne réalisaient pas où ils mettaient les pieds, parce que la façon dont on nous parlait de la drogue, c’était comme une matière de plus à l’école », regrette-t-il. « Tu ne réalisais pas à quel point c’était intense quand tu essayais. »

Les États-Unis commencent seulement à réagir face à l’un des plus graves problèmes de santé publique de son histoire.

En 2014, 14.000 personnes sont mortes d’overdose après avoir abusé d’opiacés, selon le Centre de contrôle des maladies (CDC). Depuis 1999, ces puissants antidouleurs sont à l’origine de 165.000 décès.

– ‘Fonctionner avec la douleur’ –

La genèse remonte aux années 90, rappelle Andrew Kolodny, responsable médical de la Phoenix House Foundation, réseau de centres de traitement contre les addictions.

Sous l’influence de grands laboratoires pharmaceutiques, mais aussi de professionnels éminents et d’autorités de santé dans certains États, les opiacés ont été dédiabolisés, avec comme argument impérieux qu’ils faisaient taire la douleur, si aiguë soit-elle.

« De partout, les médecins ont commencé à entendre que si vous étiez un praticien éclairé, avec de la compassion, vous seriez différents de ces docteurs avares et puritains du passé », explique Andrew Kolodny, également directeur exécutif de l’association PROP pour un diagnostic raisonné en matière d’opiacés.

« Cela nous a mené à l’épidémie à laquelle nous faisons face aujourd’hui », dit-il.

Pour soigner son genou, Crystal Llerena, jeune femme aux longs cheveux noirs, se félicite de pouvoir se passer d’opiacés, qui ont emporté deux de ses amis, au terme d’un long parcours démarré par des soins pour un banal accident de voiture.

« Il est extrêmement courant » de voir des cas d’addiction dont l’origine remonte au traitement d’une jambe cassée, d’une luxation de l’épaule ou de l’extraction d’une dent de sagesse, assure Andrew Kolodny.

« Toutes les addictions commencent avec la première dose. Si je peux ne pas la donner, je ne vais pas pousser les patients vers l’addiction, la dépendance et la spirale des opiacés », professe Mark Rosenberg.

Mais après vingt ans à convaincre que la douleur n’avait plus sa place dans les hôpitaux américains, il faut réapprendre à cohabiter, lorsque c’est possible.

« Si vous pouvez dormir, marcher, alors la douleur ne sera pas votre ennemie », explique Mark Rosenberg. « C’est ça, l’objectif: vous permettre de fonctionner avec la douleur, pas de l’éliminer complètement. »

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