La nouvelle « stress attitude »

Le Vif

Le stress signale une erreur de notre fonctionnement mental bien plus qu’une agression externe. La méthode dite de gestion des modes mentaux permet d’identifier ce signal d’alerte puis de dompter le symptôme.

Contrairement aux idées reçues, le stress, ce n’est pas d’abord « la faute aux autres ». Le stress est en nous, il est le symptôme visible d’un conflit interne. Pendant longtemps, on s’est focalisé sur les facteurs « stresseurs » externes, en accusant pêle-mêle le surmenage, l’agressivité, l’injustice, l’insécurité ou la maladie. Or de nombreux travaux de psychologie confirmés par les plus récentes découvertes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle remettent ce constat à plat et pointent l’importance du stress interne, dit cognitif, lié à notre façon d’être face au problème. Des études montrent que dans la très grande majorité des cas, le stress humain n’a plus, comme chez les animaux, la seule fonction de se défendre d’un danger externe. Il est surtout d’origine subjective et cognitive. « Quand on gère bien sa façon de réagir au stresseur, on reste calme, explique le Dr. Jacques Fradin, comportementaliste et cognitiviste, auteur de L’intelligence du stress (aux éditions Eyrolles). Notre attitude est déterminante et nous permet de sortir de bien des situations fâcheuses. Nous ne réagissons pas de la même façon face aux événements. Ceux-ci n’ont ni la même signification ni la même gravité pour tout le monde. Ce qui est insupportable ou inquiétant pour l’un passe totalement inaperçu pour l’autre. En fait, le stress est d’abord déclenché par l’incohérence de nos pensées. Ce qui se produit souvent lorsque nous réagissons de façon trop émotionnelle. Prenons un exemple. Je parle avec quelqu’un et à un moment je me dis : « Il n’écoute pas ce que je lui dis » et je m’énerve. Ce n’est pas principalement l’autre qui me stresse. C’est moi qui me stresse car je juge ce que je connais mal : l’autre. Si on se sent ne pas être aimé de quelqu’un, on lui fait des reproches. A l’inverse, si on adopte une attitude plus réfléchie, on cherche une solution… ou on accepte la réalité de l’autre comme il est. »

Stress et cerveau

Les neurosciences donnent les premiers éléments de réponse à ce conflit interne. Pour faire (très) simple : il y a surtout deux régions du cerveau impliquées dans la gouvernance du stress. Le cerveau limbique, situé dans la profondeur de notre cerveau, est associé aux émotions brutes, à nos croyances et à nos valeurs. Il est au centre du fonctionnement de notre mode mental automatique, de la prise en charge de tout ce qui est « basique », connu et déjà vu, autrement dit « les affaires courantes ». Il agit de façon binaire : vrai/faux, bon/mauvais, beau/moche, noir/blanc, honnête/malhonnête. En quelque sorte, le système limbique ne réfléchit pas, il réagit en fonction de son expérience. Il « adore » la routine, les règles, les certitudes et les dogmes, évite de se laisser déstabiliser par l’inconnu, trie les informations de manière expéditive et tranchée, manque de nuances, applique des recettes qui marchent et des réactions bien rodées. Il aime être valorisé et reconnu, se conformer à la norme sociale.

Rien de tel dans le néocortex préfrontal. Situé juste derrière le front, il est la partie la plus récente et la plus « intelligente » de notre cerveau. Siège des sentiments nuancés et des pensées logiques ou globales, il est au coeur du mode mental adaptatif ou préfrontal. Il est à l’aise dans l’improvisation, le questionnement, la créativité, l’inconnu et l’imprévu. Curieux et ouvert, il « aime » relativiser et explorer les sensations inhabituelles. Il prend en charge la raison et l’opinion personnelle. Le néocortex préfrontal est donc taillé pour gérer l’impossible ! En mode préfrontal, on s’adapte et on rebondit tout le temps. Les valeurs du mode mental automatique et du mode préfrontal sont donc totalement opposées. Les différences ne s’arrêtent pas là. Notre système limbique est au coeur du mode automatique. Or ce dernier « détient » le coeur de la conscience.

« Le gros de l’activité cérébrale est inconscient, décrypte Jacques Fradin. Les territoires les plus récents du cortex, dont le préfrontal, n’accèdent pas toujours facilement à la conscience. Nous avons besoin d’un apprentissage, de l’ordre de la « connaissance de soi », pour faciliter cet accès. Le préfrontal agit donc souvent de façon inconsciente… et le stress est le révélateur de tels conflits internes entre nos modes mentaux. Cela dit, les deux modes – l’automatique et l’adaptatif – sont le plus souvent et avant tout complémentaires, ils s’appuient l’un sur l’autre et travaillent en alternance. »

Que se passe-t-il quand le stress nous tombe dessus ? « Il s’agit souvent de situation où notre système limbique ne laisse pas de place à l’expression du néocortex préfrontal, alors même que ce dernier est bien mieux équipé pour gérer une situation inédite ou complexe, répond Jacques Fradin. La solution est donc, comme le problème, dans la physiologie de notre cerveau qui est en « bascule instable entre deux modes mentaux, l’un automatique, émotionnel et plus spontanément conscient, et l’autre, plus intelligent et souple mais disposant d’un difficile accès à la conscience. En clair, le stress ne survient pas tant parce que l’on est pressé, mais parce que l’on se trompe dans la façon de solliciter nos capacités cérébrales. Le stress est donc lié à une erreur, à un dysfonctionnement cognitif, car nous ne sommes pas capables de recruter consciemment le bon circuit cérébral, plus doué pour gérer un événement imprévisible ou contrariant. »

Les bienfaits de l’exercice La solution ? Faire appel à la gestion des modes mentaux dont l’enjeu consiste à basculer de l’ « automate » vers les circuits plus intelligents gérés par le néocortex préfrontal. L’efficacité de la gestion des modes mentaux a été éprouvée par quinze ans de pratique clinique. Elle est actuellement confirmée par des études scientifiques. Elle s’apprend en pratiquant régulièrement une série d’exercices. L’exercice dit du mélomane, l’un des plus simples, consiste à écouter « une symphonie des bruits ordinaires ». Installez-vous confortablement, détendez-vous, respirez, fermez les yeux et écoutez les sons. Les voitures passent dans la rue, la climatisation vibre, un objet tombe, des téléphones portables sonnent, plusieurs personnes parlent en même temps… Il faut percevoir et s’imprégner de cette « musique contemporaine » de façon globale, se laisser porter par les bruits. On les écoute comme un orchestre, sans se focaliser sur un son bien précis, sinon on passe en « automatique » et tout le reste nous dérange. C’est cette perception de « tout en même temps », de cet « effet symphonique », qui branche le préfrontal, notamment ses sous-paramètres « nuance » et « curiosité ». On peut faire le même exercice face à un tableau, à un paysage ou encore dans le train ou dans le métro. « Quand on se défocalise du problème, on s’apaise, souligne Jacques Fradin. Certes, le problème externe n’est pas forcément résolu. Cela dit, nous avons adopté une attitude qui va permettre de le résoudre. Cette perception globale de l’environnement, d’un tableau ou d’un paysage est très complexe pour le cerveau. Quand on lui donne la parole, il devient positif. Ce qui nous apaise, c’est donc notre posture, notre attitude et non pas une situation extérieure. Ce n’est pas la musique qui adoucit les moeurs… mais l’attitude du mélomane ! Quand on s’y prend bien, on se détend. Le néocortex préfrontal peut alors inhiber le stress, car son message a été entendu. Le calme peut régner. »

Un art de vivre

La gestion des modes mentaux est une sorte de gymnastique cérébrale. Quand on pratique les exercices régulièrement, on améliore sa capacité et sa vitesse de zapping mental du limbique vers le préfrontal. En cas de « crise », il ne faut pas hésiter à « convoquer » le préfrontal en sa conscience. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est pas fatigant de réfléchir quand il le faut. C’est de ne pas le faire qui stresse ! En fait, le préfrontal travaille bien plus souvent qu’on ne le croit. Le hic ? On ne l’écoute pas assez. Notre stress est donc précieux. Il nous avertit qu’on n’a pas adopté la bonne stratégie. La gestion des modes mentaux est un art de vivre qui peut servir à l’occasion, pour dépanner, ou au contraire se travailler comme le piano ou la méditation, sans fin. Cela devient alors un outil de vie au quotidien, de connaissance de soi moderne. « Cette approche peut nous aider à résoudre petits et gros stress, conclut Jacques Fradin. Elle nous donne la liberté de faire un choix plus cohérent et surtout plus conscient face aux enjeux qui nous animent. Si j’ai beaucoup d’exigences et beaucoup d’attentes, je vais logiquement être stressé. Parfois, il faut revoir ses ambitions à la baisse ou… ses moyens à la hausse. C’est alors s’engager vraiment : bien réfléchir et prendre ses responsabilités. Tout être humain a des limites. Ne pas comprendre, savoir ou pouvoir est un état normal. L’approche de la gestion des modes mentaux facilite ce premier constat : déculpabilisez-vous. Décomplexez-vous ! Les gens qui ont bien réussi, ceux qui ont innové, créé, ont pris plus de risques quant à leurs opinions, leurs actions. Ils se sont donc souvent trompés. Si on veut toujours être bien, on n’inventera rien. Il faut oser, se moquer gentiment de soi. La bascule permanente des modes mentaux, ça rend intelligent, curieux, ouvert et réfléchi. L’entraînement régulier permet d’obtenir une stabilisation progressive des résultats. On apprend aussi à vivre autrement, dans un autre état d’esprit, plus léger, distancé, libre. »

BARBARA WITKOWSKA; B.W.

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