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La face cachée des troubles alimentaires

Stagiaire Le Vif

Les troubles du comportement alimentaire ne cessent de gagner du terrain. Si le phénomène est bien connu chez les adolescents et les jeunes adultes, on ignore souvent que, depuis quelques années, de nouveaux segments de la population sont de plus en plus concernés par le phénomène.

Jusqu’ici, l’anorexie et la boulimie concernaient principalement les jeunes filles, mais les chiffres révèlent que, depuis quelques années, les désordres alimentaires sévissent également, et de plus en plus, chez les femmes de 40, 50 ans et plus ainsi que parmi les hommes de la communauté gay.

Selon la psychiatre américaine Kathryn Zerbe, les femmes d’âge mûr qui souffrent de TCA (troubles du comportement alimentaire) sont généralement d’anciennes boulimiques ou anorexiques qui rechutent après une épreuve difficile ou qui vivent mal le fait de vieillir. Les enfants qui quittent le nid, les parents qui tombent malades, un mari qui les quitte pour une compagne plus jeune, sans compter les exigences sociales et les critères de beauté sans cesse plus draconiens, sont autant de facteurs qui peuvent réenclencher la maladie. À tout cela s’ajoutent les aléas, physiques et psychologiques, de la ménopause qui sont souvent difficiles à gérer.

Selon la psychiatre, c’est l’image de soi qui semble toutefois être en cause. Il n’est pas toujours facile, en effet, de poser un regard bienveillant sur soi-même quand on ne « colle » pas aux diktats sociaux qui veulent que nous soyons éternellement jeunes, beaux et dynamiques. Les études montrent que les femmes souffrant de désordres alimentaires sont généralement des perfectionnistes soucieuses d’exceller dans toutes leurs entreprises, y compris dans leur quête illusoire de jeunesse et de beauté éternelles véhiculées par la société actuelle.

Si la génération de quadras et quinquagénaires actuelle est touchée par le phénomène, c’est peut-être parce qu’elle a tout reçu sur un plateau d’argent, explique la psychiatre. Les parents, après avoir connu guerres et récession, ne voulaient priver leurs enfants de rien, ce qui a pu contribuer à former une génération d’individus plus nombrilistes qui accordent une importance démesurée aux signes extérieurs de réussite : récompenses, promotions, compliments, apparence… et a ainsi modelé les valeurs prônées par la société d’aujourd’hui.

Mais la privation de nourriture, les purges et l’excès d’exercice physique pour atteindre la « perfection physique » présentent pour ces femmes d’âge mûr des risques accrus : ostéoporose, affaiblissement du système immunitaire, problèmes cardiaques, intestinaux et musculaires… sans compter le repli sur soi, l’isolement et la dépression. Ces femmes mettent non seulement leur santé en danger, mais aussi leur couple et leur famille. Les enfants dont les mères souffrent de TCA ont ainsi beaucoup plus de risques de développer les mêmes troubles.

Cependant, quand ces femmes décident de consulter, les résultats sont très souvent excellents.

À côté de cela, un nombre croissant d’hommes gay semblent également de plus en plus touchés par les TCA, les plus mortels des troubles psychiatriques.

D’après une étude de la Mailman School of Public Health (Université Columbia de New York) réalisée il y a quelques années, les hommes gay ou bisexuels courraient trois fois plus de risques de développer de TCA que les hétérosexuels et 15% d’entre eux en souffriraient actuellement. Les célibataires seraient par ailleurs davantage touchés.

Ces disparités, qui toutefois ne s’observent pas auprès des femmes gay ou bisexuelles, viendraient en partie de la communauté gay elle-même qui voue un culte à l’image du corps parfait bodybuildé. Les corps de rêve véhiculés par les magazines et les vidéos ne correspondent que rarement à la réalité et de nombreux hommes, qui ne rentrent pas dans le moule, ne parviennent pas à s’accepter. Le poids, la musculature et l’exercice physique, seuls paramètres sur lesquels ils exercent un certain contrôle, restent dès lors l’unique moyen d’approcher leur idéal. Dans cette quête de perfection physique, certaines communautés gay ont même adopté le jeûne et les purges comme règle de vie. Pensant qu’ils seront aimés ainsi, ils sont prêts à mettre leur vie en péril.

Les TCA peuvent aussi apparaître en réaction aux humiliations fréquemment vécues par les homosexuels. Manger à outrance permettrait ainsi de combler un vide émotionnel, un manque d’amour causé par un corps ou une identité sexuelle « non conforme ». Se purger est alors nécessaire pour que les calories ingérées ne les éloignent pas du corps mince et athlétique vanté par la culture gay.

L’épidémie de SIDA serait également en partie responsable de la situation actuelle, affirme Troy Roness, spécialiste américain des TCA. À l’époque, il fallait en effet éviter à tout prix d’avoir l’air d’un sidéen, et pour cela, les homosexuels se devaient d’être en forme et de respirer la santé en affichant un corps svelte et musclé, une image qui s’est fermement enracinée dans la société avec les années.

Mais pour pouvoir être traités, les troubles doivent d’abord être détectés : or, chez les hommes en général, les TCA passent souvent inaperçus du fait du caractère typiquement « féminin » de la pathologie. Ils sont pourtant tout aussi sévères que chez les femmes et poseraient même un problème plus large encore : alors que les filles sont obnubilées par la minceur, les hommes se focalisent davantage sur la musculature et utilisent des compléments alimentaires comme les hormones de croissance et les stéroïdes qui nuisent à leur santé. Ces produits augmentent entres autres les risques de développer d’autres troubles du comportement. Ainsi, la prise de ces compléments augmenterait le risque de consommer de la drogue et doublerait celui de tomber dans le binge drinking (abus fréquent d’alcool en un temps record).

De plus, le phénomène reste caché, voire tabou, chez les hommes, gay ou non. Les troubles du comportement alimentaire, considérés comme des « maladies de femmes », sont assimilés à de la faiblesse, à un manque de virilité, d’où découle un sentiment de honte et de culpabilité.

Pour les spécialistes, un investissement de la part de la communauté médicale, couplé à une sensibilisation du public aux TCA chez l’homme augmenterait les chances, pour ces personnes en souffrance, de trouver la voie de la guérison.

Les professionnels de la santé devraient, selon lui, également s’intéresser davantage aux TCA chez les hommes gay et prendre en compte les tracas et les attentes spécifiques de cette communauté pour pouvoir y répondre de manière adéquate.

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