La méthode posturale suggère que la dyslexie est un symptôme parmi d'autres d'un trouble de la localisation spatiale. © GETTY IMAGES

La dyslexie, une question de posture?

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

La dyslexie touche entre un et deux enfants sur dix. L’accompagnement logopédique permet déjà de mettre en place des stratégies compensatoires. Mais la piste de la posturologie fait son chemin.

Détectée généralement au cours des premières années de la scolarité de l’enfant, la dyslexie fait partie de ce qu’on appelle les « handicaps invisibles ». Ce trouble de l’apprentissage de la lecture touche entre 5% et 10% de l’ensemble de la population et peut être plus ou moins invalidant. Il est important de souligner que les troubles « dys » (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, dysorthographie) n’ont aucun lien avec les capacités intellectuelles de l’enfant : Albert Einstein, Léonard de Vinci, Bill Gates… Tous étaient ou sont dyslexiques.

Stratégies compensatoires

La dyslexie ne se soigne pas, mais l’accompagnement de l’enfant par un logopède, et éventuellement par un neuropsychologue, permet de mettre en place des stratégies compensatoires, tant pour faciliter la lecture et la compréhension des textes et des consignes que pour éviter à l’enfant un surcroît de fatigue lié à l’apprentissage. Une approche différente et complémentaire à la logopédie fait doucement son chemin : la méthode posturale ou traitement proprioceptif. Elle suggère que la dyslexie s’inscrit dans un cadre plus général et qu’elle est un symptôme parmi d’autres d’un trouble de la localisation spatiale.

Bill Gates compte parmi les dyslexiques célèbres, au même titre qu'Albert Einstein ou Léonard de Vinci. Preuve s'il en est que ce trouble n'a aucun lien avec les capacités intellectuelles.
Bill Gates compte parmi les dyslexiques célèbres, au même titre qu’Albert Einstein ou Léonard de Vinci. Preuve s’il en est que ce trouble n’a aucun lien avec les capacités intellectuelles.© BELGA IMAGE

Concrètement, la proprioception désigne la sensibilité du système nerveux aux informations sur les postures et les mouvements que transmettent à notre cerveau les muscles et les tendons.  » C’est une espèce de sixième sens lié aux muscles et à leurs capteurs, lesquels vont renseigner le cerveau sur la vitesse des mouvements et l’élongation, c’est-à-dire l’allongement d’un muscle ou d’un tendon . Il joue donc un rôle majeur dans le système postural (NDLR: constitué des cinq sens – essentiellement la vue, l’ouïe et le toucher -, de la proprioception et du système vestibulaire qui régule l’équilibre par l’oreille interne), précise Colette Brasseur, ophtalmologue au CHR de la Citadelle, à Liège. Quand vous entendez un bruit, par exemple, vous allez vous mouvoir pour identifier son origine et cela aura un impact sur votre tonus musculaire. Pour les personnes chez qui la proprioception n’est pas correcte, l’exécution des mouvements sera modifiée mais, surtout, le bruit ne sera pas localisé à l’endroit exact où il a été émis. C’est précisément cette conséquence de la dysproprioception qui pose problème: le dyslexique ne peut se situer correctement dans son environnement, il a un trouble de localisation spatiale. Ce trouble proprioceptif fera apparaître des symptômes, dont des troubles posturaux – qui seront généralement évalués lors de l’examen dynamique debout – et des troubles perceptifs.  »

Si on ne perçoit pas bien, on ne va pas mettre en place une motricité oculaire correcte et la lecture s’en trouvera entravée.

Poser le regard

Quel lien avec la dyslexie ? « La proprioception sert à se localiser dans l’espace et par rapport à son environnement. Elle joue ainsi un rôle dans la perception précise des informations », poursuit la docteure Brasseur. En cas de dysproprioception, on peut constater chez l’enfant une asymétrie du tonus musculaire (qui peut toucher certains muscles du corps dont les muscles oculomoteurs), des troubles de localisation spatiale et des troubles perceptifs, avec, pour conséquence, un trouble de l’organisation du regard. « Si on ne perçoit pas bien, on ne va pas mettre en place une motricité oculaire correcte et la lecture s’en trouvera entravée. » Autre raison de ne pas négliger les troubles du tonus postural: ils peuvent être à l’origine de douleurs dorsales. En vieillissant, les dyslexiques présentent plus de risques de souffrir de lombalgies.

Les lunettes à prisme aident à reprogrammer le système postural.
Les lunettes à prisme aident à reprogrammer le système postural.© GETTY IMAGES

Une fois le diagnostic posé, place au traitement destiné à modifier la manière dont le cerveau reçoit les informations et la réaction qui s’en suit. Comment ? En faisant porter à l’enfant des lunettes à prisme qui aideront à reprogrammer le système postural en agissant non seulement sur les muscles oculomoteurs mais aussi sur tous les muscles posturaux. Des semelles adaptées (orthèses plantaires) peuvent également jouer le rôle de capteurs sensoriels pour corriger la posture. En cas de trouble de la perception orale, le praticien pourra proposer la pose de petites surépaisseurs collées sur la face coronale des dents. Un traitement qui, prévient Colette Brasseur, est assez coûteux et n’est pas remboursé.

Le monde scientifique divisé

S’il existe un lien entre posture et dyslexie, pourquoi ne propose-t-on généralement qu’un soutien logopédique ? Parce que le monde scientifique reste divisé sur le sujet. Les études menées sur l’efficacité de la posturologie sont encore peu nombreuses, comme le souligne, dans un article publié sur la plateforme ReseauTap dédiée aux troubles de l’apprentissage, le professeur de neurosciences et de neuropsychologie à l’université de Bourgogne Fabrice Robichon, responsable de l’étude « Prismes, posture et dyslexie ».  » On peut lire ou entendre que la dyslexie serait liée à un trouble de la posture, dont elle serait d’ailleurs une conséquence directe. Je réaffirme ici qu’aucune étude scientifique n’a démontré l’existence d’un éventuel lien entre un trouble de la posture et les difficultés cognitives des dyslexiques.  » Dans les conclusions d’un rapport sur le sujet, l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) constate, lui aussi, que « les données scientifiques disponibles ne permettent pas de conclure à l’efficacité du traitement proprioceptif  » et déplore l’absence d’un essai randomisé contrôlé comparant le traitement proprioceptif à la rééducation orthophonique.

Et pourtant, les praticiens qui défendent l’approche posturale mettent en avant des résultats positifs évidents constatés lors du suivi des enfants (lecture plus fluide, meilleure compréhension, moins de fatigue, de douleurs, meilleure concentration, amélioration de la confiance en soi et du bien-être…). En France, le docteur Patrick Quercia, ophtalmologiste et secrétaire général de l’International Society of Proprioceptive Disorders, a dirigé ou codirigé plusieurs études confirmant l’utilité de la méthode posturale et les effets bénéfiques pour les dyslexiques. Reste aux patients (ou à leurs parents) le choix de la tester ou non.

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