Pour les parents séparés, le portable et les réseaux sociaux sont des alliés précieux pour préserver un lien au quotidien avec leur enfant. © GETTY IMAGES

Familles séparées : que disent les adolescents?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Une étude de l’UCLouvain se penche sur les familles séparées en s’intéressant au regard que leur jettent les adolescents. Alors, eux, que disent-ils ? Ils s’adaptent – et vont – plutôt bien.

Comment ça va, la famille ? Ou plutôt les familles, les recomposées, les monoparentales ? Ça bouge, ça bouge. Une étude de l’UCLouvain, menée par la sociologue de la famille Laura Merla et que Le Vif/L’Express a consultée, sonde 1 474 jeunes âgés de 12 à 18 ans scolarisés en Fédération Wallonie-Bruxelles (1). C’est bien là que réside son originalité, puisqu’elle s’intéresse au regard que jettent les adolescents sur leur famille séparée. Il ne s’agit pas d’un sismographe hypersensible, évidemment. Mais les résultats montrent que peu à peu apparaissent de nouveaux modèles, la famille étant après tout une cellule vivante, en mutation. Selon les chiffres recueillis, le foyer  » nucléaire  » recouvre près de deux tiers des structures familiales recensées. Ce qui signifie que la part des familles séparées ou divorcées s’élève à un peu plus d’un tiers.  » La configuration « parents ensemble » reste donc dominante, mais elle perd du terrain « , précise la professeure Laura Merla. Ainsi un adolescent sur trois vit exclusivement chez sa mère (soit 14 %) ou en garde alternée (10,7 %), alors que l’hébergement exclusif chez le père reste peu courant (3,7 %).

Une certitude : désormais, l’enfant, et lui seul, incarne la famille.

Dans toute cette diversité, une certitude : c’est désormais l’enfant, et lui seul, qui incarne la famille.  » L’enfant est vu comme un projet qui doit être porté et soutenu par ses parents « , poursuit l’auteure de l’étude. Conséquence : quand le couple se sépare, le duo parental survit, une notion par ailleurs entrée dans le droit via le principe d’autorité parentale conjointe.

La plus petite démocratie

De l’avis de bien des chercheurs et des sociologues, la démocratie traverse les familles, sans grande résistance. Une évolution qui s’impose au vu des éléments relevés dans l’enquête. Ainsi, près de 60 % des jeunes issus d’un couple séparé disent avoir été consultés sur leur mode d’hébergement. Mais cette déclaration masque deux cas particuliers : celui des adolescents résidant 100 % du temps chez leur mère ou chez leur père. La moitié d’entre eux n’a pas répondu à cette question, sans doute parce qu’il n’existait alors aucune possibilité d’aménagement ou parce que le conflit entre les ex-partenaires était trop exacerbé. Reste que les enfants, eux, le vivent bien, et c’est une bonne nouvelle. Pour plus de 80 %, ils seraient satisfaits de l’organisation choisie.

Quel que soit le foyer dans lequel ils vivent, les sondés rapportent également d’assez bonnes relations tant avec la mère que le père. Seuls les jeunes en hébergement exclusif font part d’une qualité des relations plus faible avec le parent qui n’a pas la garde. Et de quoi parlent-ils avec leurs parents, au fond ? Les discussions portent sur tous les sujets (la vie quotidienne, les études, les copains, les émotions). Ils reconnaissent qu’ils confient davantage à leur mère leurs soucis et ce qu’ils ressentent. S’il arrive fréquemment aux jeunes de familles séparées de transmettre un message de leur mère à leur père, et vice versa, la pratique, selon l’étude,  » n’est pas massive et le rôle de messager n’est pas le sujet principal de conversation avec chaque parent « .

Dans toutes les familles, on se dispute souvent, même chez les parents ensemble. Faut-il du coup imaginer les familles contemporaines comme des zones minées ?  » On peut interpréter cette présence de conflits comme le signe que les décisions font davantage l’objet de discussions et de négociations entre les parents qui vivent ensemble, analyse Laura Merla. Ce qui reflète une évolution vers un modèle familial plus démocratique, dans lequel il est peu acceptable que les décisions soient prises unilatéralement.  »

Le cordon numérique

Autrefois, on repérait l’enfant de divorcés au doudou qu’il trimbalait d’une maison à l’autre. Aujourd’hui, c’est le portable qui lui sert d’objet transitionnel. De fait, en complément du droit de visite et d’hébergement, les réseaux sociaux sont, pour les parents séparés, des alliés précieux pour préserver un lien au quotidien avec leur enfant. Ainsi, dans le cadre d’une garde alternée ou d’un hébergement principal chez la mère, 8 à 9 jeunes sur 10 utilisent les réseaux pour communiquer avec leur père lorsqu’ils sont chez leur mère et inversement. En revanche, plus de 4 sondés sur 10 en hébergement exclusif ne communiquent pas avec leur parent non gardien.

Les adolescents issus de couples séparés y recourent cependant plus que ceux qui vivent sous le même toit que leurs deux parents.  » Des formes de coprésence virtuelle viennent donc soutenir les relations parents-enfants « , souligne la sociologue. Et, dans toutes les configurations, c’est davantage avec leur mère qu’ils communiquent (sauf lorsque celle-ci n’a pas la garde).  » Cela permet de visualiser la charge mentale des mamans, qui sont assez fortement sollicitées en ligne par leurs enfants.  » Les mères, seules à la barre ? Au passage, on remarque que, tous modèles confondus, le père exerce un contrôle moindre sur sa progéniture. En réalité, le père tend à s’aligner sur le degré de contrôle de la mère.  » Autrement dit, plus une mère sera contrôlante, plus le père le sera également ; moins la mère sera contrôlante, moins le père le sera également, lit-on dans l’étude. Cette coordination entre parents est moins présente dans les familles séparées, et ce d’autant plus que les parents partagent moins l’hébergement de leur enfant. Ainsi, dans les familles pratiquant l’hébergement alterné, près de la moitié des pères s’alignent encore sur leur ex-conjointe.  »

La garde alternée, un plus pour les mères et les enfants

L’enquête consacre un chapitre spécifique à la résidence alternée. Les coparents pratiquant ce système affichent un profil différent des autres familles post-séparation. Ainsi plus de la moitié d’entre eux (52,5 %) travaillent tous deux à temps plein, contre 24 % dans les autres cas. C’est aussi en leur sein que l’on note le plus de couples parentaux dans lesquels les deux travaillent à temps partiel.  » La situation d’emploi semble donc meilleure dans les couples de parents ayant mis en place l’hébergement alterné, en particulier du côté des mères « , relève l’étude. Par ailleurs, la formule se fait ressentir dans la relation avec les enfants. Selon l’étude, ils rapportent un niveau plus élevé de sentiment d’être  » chez-soi  » chez leur père et chez leur mère. Ils sont également plus nombreux à se déclarer satisfaits et à entretenir le plus de contacts avec leurs deux parents.

(1)  » Le point de vue des adolescent-e-s de parents divorcés ou séparés en Fédération Wallonie-Bruxelles « , par les Pr Laura Merla et Dr Jonathan Dedonder, Cirfase, UCLouvain. Rapport réalisé dans le cadre du projet ERC Starting Grant  » MobileKids : Children in multi-local, post-separation families « .

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