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Dis-moi comment tu marches, je te dirai qui tu es

Barbara Witkowska Journaliste

On l’ignore souvent : quel que soit l’âge, la marche protège le corps et la santé. Non seulement elle soigne, mais elle insuffle de l’énergie vitale, offre la joie de se sentir vivant, léger et vertical, ici et maintenant. Et le saviez-vous ? Bouger sans fatigue et sans douleur, bien marcher donc, cela s’apprend.

Nous marchons mal. Certains en balançant latéralement, de gauche à droite – ou le contraire – le thorax et l’abdomen, de façon exagérée et anormale : à la longue, ces mouvements peuvent être responsables de microtraumatismes du dos, des genoux, des hanches, des pieds et des chevilles. D’autres en privilégiant une attaque talonnière : ils se privent ainsi d’une bonne verticalité et de l’utilisation harmonieuse du tonus global du corps. Trop souvent, le mouvement de marche débute au niveau des genoux et non pas des pieds, comme ce devrait être le cas. Beaucoup se meuvent comme des automates, rigides et immobiles, ayant complètement oublié que les deux bras et les épaules participent aussi à la marche et doivent, par conséquent, bouger ! Sans oublier ceux qui traînent les pieds, manquent d’équilibre ou ont mal au dos à force de piétiner. L’observation des personnes dans la rue est très instructive et montre clairement que tout le monde ne sait pas forcément mettre un pied devant l’autre et porter sa propre verticalité.

Alors, pourquoi marchons-nous mal ? « Parce que personne ne nous l’apprend, répond Jacques-Alain Lachant, ostéopathe français, auteur de Bien marcher, ça s’apprend (1). L’humain ne s’intéresse pas à la motricité. Le bien-être n’intéresse personne. Ce qui intéresse les gens, c’est l’apparence. A l’école, on n’apprend pas comment se tenir correctement. Les parents qui ne sont ni très physiques ni très corporels n’offrent pas de bon exemple à leurs enfants. La sédentarisation des corps s’accroît à cause d’une utilisation incontrôlée des outils de l’image et est devenue un problème de santé publique. Les jeunes passent dix à douze heures devant l’écran. Il y a de quoi s’inquiéter. De surcroît, on ne sait pas qu’on peut marcher mal. Notre système nerveux ne nous en informe pas. Seul l’entourage s’en aperçoit. »

Les conséquences sur la santé sont nombreuses. On citera, en premier lieu, les arthroses précoces des genoux et des vertèbres. Les désordres sont parfois une cause plus qu’une conséquence des pathologies de la hanche, du genou, du pied et de la cheville. Une mauvaise marche peut provoquer des troubles circulatoires et des insuffisances veineuses, les apnées respiratoires, la ptose abdominale (gros ventre) et le développement du diabète de type 2. Elle peut également entretenir des souffrances psychiques mais aussi la perte de la conscience de l’espace ou des difficultés attentionnelles à l’autre. « Le regard peut aussi parasiter notre marche, le regard absent ou trop scrutateur réduit la perception de l’espace et la présence au corps, poursuit Jacques-Alain Lachant. Dans notre société, on perd une bonne part de nos capacités perceptives. Notre scrutation visuelle se fait au détriment de la perception du corps dans l’espace. De plus en plus de personnes sont incapables de percevoir un danger dans la rue. On est dans le processus de perte des informations sensorielles du corps. Nous sommes dans une étroitesse perceptive. »

La marche « portante », celle qui soigne

Bien marcher, cela signifie pouvoir se déplacer avec des mouvements fluides et légers pour éprouver in fine la sensation de porter toute la verticalité du corps depuis les pieds jusqu’au sommet de la tête, comme si l’on dansait. « La marche portante est une autre façon de marcher, explique Jacques-Alain Lachant. C’est aussi une thérapeutique. Ce n’est pas parce que l’on marche qu’on se porte. La marche portante consiste à utiliser la propulsion alternée de chaque pied. La phase de démarrage et l’amorce du mouvement sont particulièrement importantes. Prenons un exemple : on est debout, pieds parallèles et on veut démarrer par le pied droit. On commence par agripper légèrement le sol avec les orteils du pied gauche. Cette poussée des orteils gauches propulse le corps tout entier sur le pied droit, qui assure à son tour une poussée propulsive vers l’avant. La personne « atterrit » sur le pied gauche qui se pose presque totalement à plat, sans talonnade. Les propulsions s’enchaînent naturellement et facilement. Lorsque ce mouvement d’amorce initiale est bien intégré et donc incorporé, il donne la sensation d’un aplomb presque parfait entre le sommet du crâne et le pied portant-propulsant. Ce mouvement propulsant, très harmonieux, qui va vers l’avant et envoie une sensation de légèreté, est très proche de celui que fait notre corps pour pousser un caddie, marcher dans l’eau à contre-courant ou monter en pente douce. »

La marche portante, bien consciente et bien présente, associe également d’autres facteurs : la présence des deux mains, le tonus abdominal et la position du regard. Ces facteurs permettent de stabiliser l’équilibre de la marche. Le tonus abdominal n’a rien à voir avec la force musculaire de la ceinture abdominale. Il s’agit, tout simplement, d’une réponse à la sollicitation des orteils dans le mouvement d’amorce initiale. La tension des orteils crée une tension abdominale. Lorsque cette légère tension existe (on ne rentre surtout pas le ventre !), on arrive à la verticalité. Le mouvement devient immédiatement plus fluide et plus harmonieux. Le tonus abdominal et le jeu des orteils stimulent le réflexe de relever le regard. Fini de marcher avec la tête basse, penchée en avant, les yeux scotchés au sol et absents. « Si on regarde le sol, le corps est en pilotage automatique, souligne Jacques-Alain Lachant. Si le regard est présent, on est présent dans l’espace, on est en état éveillé, réveillé et fluide. Quelqu’un qui est bien présent à lui-même est bien présent à l’autre. » Pour que l’harmonisation du tonus global du corps soit complète, il faut encore ajouter les mains. Leur présence est un élément fondamental dans la marche portante. Elle est ressentie lorsqu’on presse légèrement la pulpe des trois premiers doigts entre eux. Quand on marche avec les mains, on obtient un mouvement très harmonieux du jeu des deux épaules et des deux bras.

« La marche portante et la verticalité contribuent aussi à l’équilibre psychosomatique, note Jacques-Alain Lachant. On éprouve une sensation de légèreté dans la tête. C’est très important pour des patients qui souffrent de pensées négatives et de ruminations. La marche portante joue un rôle dans l’équilibre de la pensée. Socrate, Platon, Aristote, Epicure, Nietzsche, Kant et Rousseau étaient de grands marcheurs. Socrate enseignait et Nietzsche peaufinait ses aphorismes en marchant. La marche procure un sentiment d’entièreté psychosomatique. »

Comment être bien assis ?

Chaque jour, nous passons trop de temps assis, le plus souvent recroquevillés, tordus ou encore affalés et à moitié couchés. Or, quand on ne respecte pas certaines règles d’ergonomie, on court le risque de faire émerger des pathologies de la colonne vertébrale et des articulations des genoux, des hanches et des épaules. Qui plus est, le fait d’être mal assis est une menace pour le maintien d’un bon équilibre postural de marche. Si l’on veut protéger l’intégrité de son squelette et l’équilibre de la marche, il faut donc (re)trouver la verticalité dans l’assise. Les deux pieds doivent être posés à plat sur le sol. On reste assis sur les deux ischions (les os dans les fesses) et la position spatiale des deux genoux doit être telle que les deux hanches se situent plus en hauteur que les deux genoux. Il faut aussi soutenir le rachis lombaire en plaçant un coussin assez bas, près du sacrum. De cette façon, on évite la compression de tous les muscles fessiers du bassin et on reporte l’assise sur les hanches et les deux pieds. Les perfectionnistes vont placer l’un des deux pieds sur une cale (un gros bouquin, par exemple) en y appuyant les coussinets qui se trouvent juste derrière les orteils. Ainsi, on ressent tout de suite le tonus qui remonte vers les muscles du bas de l’abdomen avec, en prime, une très agréable sensation de légèreté et de verticalité. Pour se relever dans les règles de l’art, on évitera de solliciter les deux genoux et on utilisera plutôt le travail de propulsion par un des deux pieds, placé en arrière sous le siège. On se lève dans un élan dynamique qui ressemble au démarrage de la course dans les starting-blocks !

(1) Bien marcher, ça s’apprend. 100 conseils qui vont vous changer la vie, par Jacques-Alain Lachant, éditions Payot Santé, 336p. Ce livre se présente comme une série de consultations avec les questions des patients et les réponses et conseils du praticien. A lire aussi, du même auteur : La marche qui soigne (réédition, Petite Bibliothèque Payot).

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