Des problèmes, tels que l'anxiété, peuvent apparaître plusieurs mois plus tard. © BELGAIMAGE

Covid: la troisième vague sera-t-elle psychiatrique?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Après la première et la deuxième vague, la troisième sera-t-elle psychiatrique? Dépression, anxiété, troubles du sommeil, stress post-traumatique… Les personnes directement touchées par la Covid-19 souffrent de séquelles psychologiques. Pour d’autres, les symptômes, souvent handicapants, persistent longtemps.

C’est l’inquiétude qui vient, celle des séquelles laissées par la Covid-19 sur les patients touchés par le virus. Il y a d’abord les malades passés en réanimation. Nombre d’entre eux vont subir un stress post-traumatique, appelé syndrome post-soins intensifs (pics, en anglais pour post-intensive care syndrome). Encore sous-diagnostiqué en Belgique, il se caractérise par de nombreux signes (cauchemars et flash-back, évitement des situations et des personnes évoquant le traumatisme, état d’alerte permanent, émotions négatives…) persistant plus d’un mois après l’événement traumatisant. « Hors Covid, la littérature rapporte qu’un patient sur quatre développe un trouble de stress post-traumatique après un séjour en réanimation, écrit la psychiatre Coraline Hingray, coautrice avec Wissam El-Hage du récent Le Trauma, comment s’en sortir? (De Boeck Supérieur). Or, ce contexte réunit tous les facteurs de risque, à commencer par la peur de mourir, qui est à la base du trauma. »

Face à des symptômes si polymorphes, les médecins avouent une forme d’impuissance, tâtonnant avec les traitements.

De fait, aussitôt diagnostiqués, ces patients ont été isolés, interdits de visite, plongés dans l’attente de voir s’ils allaient se dégrader… Et, quand ce fut le cas, ils ont été anesthésiés pendant plusieurs jours et n’ont conservé aucun souvenir de cette période dramatique. Pour ces malades, ce vide ne pourra jamais être rempli par les familles puisqu’elles avaient l’interdiction de se rendre à leur chevet. Ce qui risque d’aggraver encore le syndrome de stress post-traumatique.

Pour l’heure, les données épidémiologiques spécifiques chez les patients atteints de la Covid-19 sont encore peu nombreuses, mais si les proportions sont du même ordre (soit un sur quatre), ce sont potentiellement des centaines de patients qui pourraient être concernés en Belgique. Face à ces risques, des professionnels, dont le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), plaident pour un suivi systématique à la sortie des soins intensifs et un dépistage des traumas. « Certaines complications peuvent être présentes dès le séjour aux soins intensifs et disparaître en partie dans la première année après l’hospitalisation, par exemple une faiblesse musculaire extrême. D’autres problèmes, tels que l’anxiété, peuvent n’apparaître que plusieurs mois plus tard. Quant aux troubles psychologiques et cognitifs, ils persistent le plus souvent durant plusieurs années, voire davantage et peuvent freiner la reprise des activités de la vie de tous les jours », résume la docteure Germaine Hanquet, médecin épidémiologiste et coordinatrice d’un rapport pour le KCE, publié en octobre dernier, sur le syndrome post-soins intensifs à destination des médecins généralistes, en première ligne pour détecter ces pathologies. Mais très rares sont les patients qui bénéficient d’une prise en charge appropriée en Belgique. Peu d’hôpitaux ont mis en place des mesures d’accompagnement spécifiques au syndrome post-soins intensifs, à l’exception d’un programme unique proposé par l’hôpital Erasme, à Bruxelles. L’experte ajoute d’ailleurs que les proches des malades sont, eux, à risque d’un stress post-traumatique, citant un chiffre de l’ordre de 20% à 50%. Car ces familles ont vécu une double souffrance: savoir son proche en grand danger et ne plus le voir, même parfois avant son décès.

La perspective de devoir affronter une vague de patients inquiète les professionnels.
La perspective de devoir affronter une vague de patients inquiète les professionnels.© BELAGIMAGE

Des chiffres très disparates

Le trauma guette également les patients post-Covid qui n’ont pas été admis à l’hôpital. Dans les services psychiatriques, la « vague psychiatrique » monte déjà et déferle même à certains endroits. « On voit des troubles anxiodépressifs chez des personnes qui ont été infectées par la Covid-19, confirme le docteur Gérald Deschietere, psychiatre et chef de l’unité de crise et d’urgences psychiatriques aux Cliniques Saint-Luc. Elles craignent de développer une forme plus grave de la maladie. Elles fuient les lieux publics et adoptent des comportements d’évitement associés à un stress post-traumatique. On observe aussi des troubles du sommeil. »

Les séquelles de la Covid-19 ne sont donc pas que respiratoires, cardio-vasculaires, hépatiques, ORL ou rénales. Selon une étude de l’université d’Oxford (The Lancet Psychiatry, 9 novembre), à partir des données de santé de près de 70 millions d’Américains ayant contracté le virus, 18% développent des troubles psychiatriques, du stress, de l’anxiété, des insomnies, voire une dépression, dans les trois mois qui ont suivi leur infection. Un chiffre qui doit être analysé, dans la mesure où 10 à 13% des malades avaient déjà connu des troubles psychiatriques. Reste que pour 5 à 8%, il s’agit d’un tout premier diagnostic. Ce qui n’est pas négligeable.

Covid: la troisième vague sera-t-elle psychiatrique?
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Des séquelles psychiatriques évoquées très tôt

Ces états anxiodépressifs étaient déjà connus en Italie. Une enquête menée, en août, auprès de 400 malades, montrait une augmentation du stress post- traumatique (28%) dans un premier temps, puis une dépression (31%), de l’anxiété (42%), des troubles obsessionnels (20%) et de l’insomnie (40%). Des chiffres très disparates, sur des tableaux cliniques, eux aussi, très variables.

De quelles informations dispose-t-on aujourd’hui pour établir un éventuel lien entre le Sars-CoV2 et des atteintes psychiatriques ou neurologiques? Les chercheurs s’appuient sur d’autres coronavirus qui, comme la Covid-19, possèdent ce qu’on appelle des « tropismes neurologiques », c’est-à-dire des affinités pour le tissu nerveux. C’était le cas pour le Sras-CoV-1, dont on a trouvé des traces virales dans le cerveau de quelques rares patients autopsiés. Ce serait également le cas pour le Mers-CoV.

On sait encore que le virus entre dans l’organisme via la protéine S (spicule). Celle-ci lui permet de se fixer solidement à l’enzyme ACE 2, un récepteur très commun présent à la surface de certaines cellules humaines, et d’y pénétrer. Ce récepteur est présent dans les cellules d’autres organes, comme le coeur, les reins et, en plus faible quantité, au niveau de l’endothélium vasculaire, soit les cellules qui tapissent l’intérieur des vaisseaux du cerveau. Or, on sait aussi que le cerveau, organe central et très fragile, est extrêmement bien protégé des pathogènes extérieurs, grâce à la barrière hémato-encéphalique qui ne laisse passer quasiment rien jusqu’aux neurones du système nerveux central. Du coup, l’accès du Sras-CoV2 pourrait être ces portes d’entrée ACE 2 via le réseau sanguin, ce qui conduirait à une forme d’encéphalite virale. Autre piste: celle des neurones du bulbe olfactif. Ce qui crée ces fameuses anosmies, ces pertes d’odorat et de goût que l’on constate chez de nombreux infectés.

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Mais, mi-novembre, des scientifiques ont fait une découverte fondamentale. La protéine S se révèle également capable de s’accrocher à un autre récepteur, la neuropiline-1, très présent à la surface de nombreux types de cellules. Autrement dit, le Sras-CoV-2 peut dès lors s’attaquer à une gamme bien plus large de cellules que celles de l’appareil respiratoire et donc aussi le cerveau.

D’autres spécialistes pointent plutôt les raisons liées à la biologie de l’infection. Dans le cas de la Covid-19, un orage de cytokines (une hyperinflammation du système immunitaire) se déclenche parfois, il agresse le cerveau, le rendant plus vulnérable. « En plus des conséquences inflammatoires de l’infection, la fameuse tempête cytokinique laisse des séquelles – comme il y a des séquelles pulmonaires ou cardiologiques – qui augmentent le risque de pathologies psychiatriques, note Marion Leboyer, professeure en psychiatrie à l’université Paris Est Créteil, coauteure d’un article sur l’impact psychiatrique de la Covid-19 (1). C’est quelque chose de courant dans les maladies inflammatoires, même si on en parle peu aujourd’hui. L’augmentation significative des troubles de l’humeur ou des troubles anxieux postinfection par les maladies à coronavirus a d’ailleurs été observée lors des précédentes pandémies en Chine, aux Etats-Unis ou en Europe. Et ce, chez des patients qui n’avaient jamais eu de pathologie psychiatrique avant. »

Du côté des malades, à l’épuisement de la maladie s’ajoutent un sentiment de désarroi et, parfois, l’impression de ne pas être entendu par le corps médical.

En tout cas, la perspective de devoir affronter une vague de patients inquiète d’autant plus que les professionnels que le secteur souffre déjà d’un manque de moyens. « On est déjà en déficit de tout en psychiatrie, alors quand il y a une crise, c’est encore pire! » commente le docteur Gérald Deschietere. Sans oublier que la crise économique, les difficultés financières, l’isolement que subissent les gens s’accompagnent de dépressions, de troubles anxieux, suicidaires. Et ceux-là doivent également être pris en charge.

Des symptômes qui durent, qui durent

Puis, il y a des patients qui, plusieurs mois après les premiers symptômes, ne sont toujours pas débarrassés des effets du Sras-CoV-2. Ils n’ont pas fait de rechute ni même de réinfection (puisqu’ils sont négatifs au test PCR), non, mais leurs symptômes durent, durent, parfois entrecoupés de périodes d’accalmie. Des manifestations variées, dont les plus fréquentes sont l’essoufflement, les douleurs thoraciques, les maux de têtes, la fatigue souvent intense, la perte de goût ou la perte d’odorat, les vertiges… au point d’empoisonner leur vie. On trouve leurs histoires sur les réseaux sociaux, sur Twitter, par exemple, sous les hashtags #apresJ20, #apresJ60, ou encore #apresJ120. Sur Facebook, des groupes ont également vu le jour, comme « Les oubliés du Covid long » ou « Covid-19 Forme longue de la maladie ». Il s’agit de patients qui, pour la plupart, ont fait une forme légère ou modérée, hospitalisés ou pas. Et, majoritairement, des profils relativement jeunes et des femmes actives, entre 40 et 50 ans, en général en bonne condition physique jusque-là. Pour certains d’entre eux, ils n’ont pu reprendre leur boulot. On le note dans les statistiques. En Belgique, le nombre de maladies professionnelles a doublé en un an. En 2019, 2.473 demandes de reconnaissance ont été acceptées. Cette année, rien que pour la Covid-19, 8.693 dossiers ont été introduits. Il faut également observer les incapacités de travail. Leur nombre a augmenté de 30% depuis 2015, soit 18% de la population active. Pour la Covid-19, on manque de recul, mais la crise risque évidemment de se marquer très fort dans les statistiques.

En Belgique, le nombre de maladies professionnelles a doublé en un an.
En Belgique, le nombre de maladies professionnelles a doublé en un an.© BELGAIMAGE

Des faits que les études confirment également. Ces patients longue durée représenteraient 10% à 15% des malades. Ils ont consulté, sont retournés, une, deux, plusieurs fois chez leur généraliste, chez un pneumologue, chez un ORL… Tout va bien, tout est normal. Leurs symptômes ne se voient pas dans les tests ni dans les examens. Pourquoi ces troubles se manifestent-ils encore des mois après? D’où viennent-ils? Sont-ils liés à la Covid-19? Combien de temps vont-ils durer? Pourquoi les examens cliniques ne montrent-ils rien d’anormal? Pour l’instant, le mystère demeure entier, même si l’on sait que des syndromes postinfectieux relativement longs après une infection virale sont assez classiques, comme pour la mononucléose infectieuse, la dengue ou le chikungunya. Des études sont en cours, notamment au sein de l’hôpital Brugmann, à Bruxelles – à l’étranger, plusieurs pays dont les Etats-Unis, l’Italie, Israël ou encore le Royaume-Uni mènent également les leurs sur le sujet.

Pour ces malades dont l’état n’a pas nécessité une hospitalisation d’office, la médecine a encore trop peu de réponses à fournir. Face à des symptômes si polymorphes, les médecins avouent une forme d’impuissance, tâtonnant avec les traitements. Du côté des malades, à l’épuisement de la maladie s’ajoutent un sentiment de désarroi et, parfois, l’impression de ne pas être entendu par le corps médical. Pourtant, les lignes bougent. Des consultations post-Covid commencent à s’ouvrir, qui croulent déjà sous les demandes, comme au CHU Brugmann ou aux Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles.

(1) Les conséquences psychiatriques du Covid sont devant nous, par Marion Leboyer et Antoine Pelissolo, Annales médico-psychologiques, septembre 2020.

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