Mélanie Geelkens

Coronalove: « Ses voisins de bureau, on les fréquentait davantage qu’un pote, qu’un parent, qu’un amant. Cautions sociales d’une vie normale »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

S’aimer au temps d’un virus chinois. Episode 7 : les collègues.

La nourriture est grasse. La moquette, suspecte. Dans les toilettes, un long cheveu noir zèbre toujours l’évier et personne ne prend la peine de jeter les rouleaux de PQ vidés. Une tasse sur deux est sale, à la machine à café. Qui est de toute façon mauvais. Ceux de l’autre service s’esclaffent comme s’ils étaient les maîtres de l’open space, ceux de l’autre département mettent un point d’honneur à ne jamais saluer personne, ceux de l’autre étage font trop de bruit à la cantine. Dans les couloirs, le boss s’acharne avec son  » goeiedag « , bien qu’il reçoive un  » bonjour  » en retour depuis huit ans. Puis ça caille, bordel. Même par 30 °C, il faut laineusement s’emmitoufler. Jamais on n’aurait cru que cet endroit finirait par nous manquer.

Allez, c’est bon, maintenant. Rendez-nous les embouteillages. Le stress. Les heures supplémentaires. Promis, juré, on mangera les sandwichs sans rouspéter. Même ceux dont le nom reste encore un mystère après ingestion. On ne fustigera plus la longueur des réunions du lundi midi, qui ne débutent en fait jamais avant 13 heures. On lira le magazine interne, en néerlandais. On ouvrira les mails du service RH. On s’inscrira aux événements en cliquant sur le bouton  » j’y participe avec plaisir « . Rendez-nous les collègues.

On laissera Anne-Laurence décider de l’endroit où on dîne. On se mettra à cloper avec Soraya. On ne se moquera pas de la nouvelle coupe de cheveux de Nicolas. On écoutera les conseils de Pierre quant à l’écriture inclusive. On trouvera des Indiscrets pour Pascal. On rigolera aux blagues carolos de Marie-Cécile. On dira baci, comme Thierry. De loin, ça changera rien, on ne se faisait déjà pas la bise.

Mais la dernière soirée de liberté, en fait, c’est sans le savoir avec eux qu’on l’avait passée. Au restaurant, cet endroit où, fut un temps, des gens mangeaient ensemble sans se soucier d’ingérer un postillon infecté. On organisait une fête pour Benoît, qui avait décidé de nous quitter parce qu’il ne pouvait pas télétravailler. Et qui presta finalement son préavis en bossant de chez lui. Tout était devenu possible, subitement. Sa remplaçante, Anne, a débarqué dans une nouvelle équipe sans pouvoir la rencontrer. Enchantée.

On n’a pas pleuré, lorsque le télétravail a été généralisé. On était soulagé de pouvoir continuer à bosser, même isolé. De ne pas devenir fou comme ceux qui n’avaient pas cette chance-là et qui se sont mis à apprendre le japonais, à cuire leur propre pain, à faire du yoga. Mais on est devenu seul. Réalisant que ses voisins de bureau, on les fréquentait en fait davantage qu’un pote, qu’un parent, qu’un amant. Cautions sociales d’une vie normale. Plus importants qu’on l’aurait cru. Le travail à distance n’a qu’une seule limite : l’humain. Les réunions par vidéo n’y changeront rien.

Les collègues, c’est pas comme les amis. Ce ne sera pas eux, les dix qu’on choisira pour passer ses samedis soirs déconfinés. C’est pas comme la famille. On ne va pas se serrer dans les bras, la première fois qu’on se reverra. On se lancera sûrement un  » bonjour, tout le monde, ça va ? « , comme si le corona n’était jamais passé par là. Mais on sourira. Vraiment. Contents d’être là.

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