Mélanie Geelkens

Coronalove| « La rupture »: « Pour certains, il fallut encore faire un peu semblant. Un mauvais « nous » valait mieux que deux solitudes »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Episode 13 : la rupture.

Les premiers matins, il y avait des pancakes maison sur la table du petit déjeuner, parfaitement dressée et, bien sûr, immédiatement instagrammée. Puis les soirs, ils préparaient ensemble des plats compliqués.  » Confinement, jour 5  » qu’ils postaient, sous une photo de leurs quatre mains abaissant une pâte à ravioles. Smiley coeur. Ils s’étaient enfermés tous les deux dans l’insouciance et l’incrédulité que puisse arriver un  » jour 80 « . Coup de tête, coup du virus. Ce serait bien, comme des vacances, il y avait même du soleil. Des journées vides de tout, sauf de la tentation des corps. Un nouveau  » nous  » valait mieux que deux solitudes.

Il est retourné chez ses parents au jour 32, 33, par là. Elle est restée dans son appartement. ç’avait bien été comme quinze jours à la mer, épreuve d’où les couples trop fragiles reviennent enduits de la certitude de leur fin. Trop de promiscuité, de temps libre pour la dispute et la réflexion. Plus assez de couches protectrices – travail, hobbys, amis – entre le couple et les individualités. Juste les sentiments, devenus inexistants. Les stories qu’ils publiaient, séparément désormais, n’affichaient plus leur bonheur aux autres, mais tentaient de convaincre de l’absence de leur propre malheur.

Ils sont faciles à repérer, les gens récemment séparés. Ils se devinent à un selfie trop filtré, à ce désir d’être liké autant que de montrer à l’autre ce qui lui a échappé. Cette amie-là avait changé sa photo de profil Facebook, quelque part vers le jour 45, avec une de ces citations genre  » ce qui t’attend est bien plus merveilleux que ce qui est derrière toi  » (indice facile). Ils s’étaient déjà quittés, remis, rejetés, réaimés. Mais cette fois, c’était la bonne, avait-elle juré. Pas de s’être d’un coup trop vus, trop supportés. Mais parce qu’au contraire, même confinés, elle se sentait toujours seule, comme avant lorsqu’ils ne faisaient que se croiser.

Pas le choix immobilier, ils durent encore co- habiter. Ces anciens amants qui couraient après le temps en eurent trop, d’un coup. Plus qu’il n’en fallait pour apprendre à se détester et pour constater l’impossibilité de se réconcilier. Vivre ensemble, mais séparés. Lui dans le lit, elle sur le canapé, chacun cherchant à se remplacer et à s’oublier sur l’un de ces sites de rencontre qui, ces dernières semaines, ont tant cartonné. En particulier ceux réservés aux infidélités.

Béni soit le retour des bars, des restos, des rencards. De l’opportunité et de la tentation. Le moment de rupture idéal, au fond. Le virus est passé, les sentiments aussi. Pour certains, il fallut faire encore un peu semblant. Par impossibilité de fuir, par lâcheté, par calcul, par instinct de survie. Parce qu’être privé de tout était déjà beaucoup. Un mauvais  » nous  » valait mieux que deux solitudes. Tenir encore quelques semaines. Comme à la fin de vacances, quand chacun connaît déjà l’issue mais s’impose un dernier effort pour ne pas gâcher la plage, le all-in, l’amusement des enfants. Puis le retour aux réalités et à l’impossibilité de s’aimer. Le déconfinement amoureux a commencé.

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