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Comment le chien est devenu une personne

Barbara Witkowska Journaliste

Le chien est devenu un être à part entière. Loyal, fidèle, toujours à l’écoute, doté d’une fantastique capacité d’adaptation et d’empathie, le voilà l’égal d’une personne, selon le psychologue Philippe Hofman.

Depuis quelques décennies, notre relation au chien s’est complètement transformée. On l’accueille dans sa maison (voire dans son lit !), on le gâte comme un enfant, on lui parle comme à un membre de la famille, on en fait son héritier… La complicité est totale. Au point que, dans son livre, le psychologue clinicien Philippe Hofman suggère que le chien est devenu une personne comme les autres.

Le Vif/L’Express : Le chien, une personne, vraiment ?

Philippe Hofman : Oui, le terme est ambigu. Dans le livre, je parle de la personnification du chien et de tout ce que l’on peut projeter comme représentations sur lui. On lui attribue fréquemment des traits de personnalité humains : on le dit naïf, cruel, calculateur, malin, généreux… En fait, j’insiste sur l’échange qui se produit inévitablement. Le chien est devenu un individu dans la vie du couple ou dans la vie de famille. Mais, il reste un animal, ce n’est pas une personne humaine.

Pourquoi le chien a-t-il pris une telle importance dans notre société ?

Il est sidérant de constater combien nos animaux familiers sont surinvestis dans nos sociétés, alors que tant d’humains sont négligés. Mais il est ridicule de mettre en opposition l’humain et l’animal, l’un n’exclut pas l’autre. On peut très bien être un fou de toutous et avoir de l’empathie pour l’humanité. A une époque où tout est incertain, il est compliqué d’avoir des liens affectifs constants. On a donc tendance à personnifier son chien. Il représente tous ces manques : l’affectivité, l’attachement, la fidélité, la confiance et la complicité. Le chien reste endurant et fidèle même si le maître le néglige, parfois, quelque peu.

Vous évoquez un nouveau type de relations sociales autour du chien.

Les promeneurs de chiens qui se croisent se parlent sans aucun préjugé. Le chien est un vecteur de communication étonnant. Dans les villes, où l’anonymat règne, il rétablit du lien social entre des gens qui ne se parlent plus. L’apparence sociale et culturelle disparait. Cet élan naturel de communication n’existe que par le biais de l’intérêt des chiens ; bien plus que ce que pourrait susciter les enfants, par exemple. Le chien sert de médiateur social. Il nous renvoie à une part régressive de nous-mêmes, extrêmement vulnérable. Face à un chien toutes les défenses tombent, on est plus authentique.

Quels sont concrètement ses bénéfices, pour les enfants et pour les adultes ?

En contact avec l’animal familier, les enfants vont se responsabiliser et vont apprendre l’autorité. Pour être assez « équilibré », un chien doit être dressé. L’enfant participe à cette éducation, il comprend ainsi le rôle éducatif de ses parents. Il doit réussir à limiter son chien : « Si je lâche la laisse, il risque de se faire écraser ! » L’enfant comprend ainsi la notion de limite et de danger. De plus, avec un chien, l’enfant se sent en sécurité, il est protégé extérieurement mais aussi intérieurement. La présence interactive du chien peut aussi réparer quelques carences parentales. Il est un confident idéal, il accompagne l’évolution de l’enfant, il est toujours là, compagnon fiable, témoin muet et présent. Chez les adultes confrontés au départ des enfants, le chien est parfois un bon moyen de remplir le vide. Ils l’identifient souvent au petit échappé du nid. Pour les plus fragiles, des personnes en deuil ou en dépression, l’amour du chien aide à traverser ces périodes difficiles. Il peut alors être identifié à un père protecteur ou à une mère protectrice. En outre, son caractère sociable et joueur permet de retrouver la vitalité et l’espoir. Tant qu’il y a du chien, il y a de l’espoir !

Vous évoquez aussi l’effet thérapeutique du chien, notamment chez les enfants autistes ?

Oui, c’est très nouveau. Il est très difficile d’entrer en contact avec les autistes, ils utilisent avant tout un mode de communication sensoriel. Avec eux, la parole est peu efficace et le jeu et le dessin sont très limités. Les expériences menées au Canada et en France montrent que l’enfant psychotique entre en contact plus aisément avec le chien, comme avec le cheval. Son hypersensibilité tactile, sonore et olfactive est en résonance avec celle de l’animal. Lorsqu’il touche le chien, il ressent une émotion chaleureuse et entre en contact avec le monde. De son côté, le chien perçoit l’odeur particulière de ces enfants sans parole. Il comprend qu’il est en face d’un être singulier, mais n’a aucune espèce d’a priori ou de jugement. Le chien, là encore, sert donc de médiateur, il est un support thérapeutique extraordinaire. Mais il faut un chien bien dressé, calme, supportant les brusqueries.

Quels sont les autres pistes qui s’ouvrent pour le « chien thérapeute » ?

Chez les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer, un contact sensuel avec le chien, ou le chat, permet de s’apaiser et en partie de se reconnecter à la réalité. Dans cette maladie, on perd contact avec le temps et l’espace. Les malades ne comprennent plus le sens des mots ni des gestes. Or, quand elles touchent un chien, elles se sentent sollicitées dans leur sensibilité corporelle archaïque. Lors de ce contact, authentique et chaleureux, il y a quelque chose qui se restaure, la personne se sent rassurée et apaisée et parfois elle n’a plus besoin de neuroleptiques pour la calmer. Par ailleurs, l’odorat du chien serait au minimum cent mille fois plus puissant que le nôtre, ce qui est inconcevable pour notre représentation humaine, mais qui laisse présager des potentialités infinies…

Pourquoi certaines personnes n’aiment-elles pas les chiens ?

Le chien renvoie immédiatement à l’animalité qu’il y a en nous, il incarne un peu notre essence naturelle et animale. Pour certains, il est vecteur de maladies. D’autres pensent que le chien est méchant et qu’il mord. Cette croyance vient souvent de la peur infantile du loup et elle persiste chez les gens qui, petits, n’ont pas eu de chien. Les parents peuvent transmettre cette crainte. Les psychanalystes pensent que les gens qui paniquent en voyant un chien ont souvent des problèmes phobiques en lien avec la sexualité infantile au sens de Freud : les chiens sont très directs en matière de rencontres sexualisées, cela nous renvoie parfois à des fantasmes dérangeants très enfouis. Mais dans l’ensemble, cela nous amuse surtout !

L’engouement pour le chien est universel, sauf chez les juifs et les musulmans. Pourquoi ?

C’est une question culturelle et religieuse. Dans ces deux religions, le chien est considéré comme un être impur et ne peut pas avoir accès à l’habitat, car il va le souiller. Cette notion d’impureté est retrouvée dans beaucoup de textes sacrés. Mais il y a des exceptions. Les musulmans utilisent le chien pour la chasse ou pour les combats. En revanche, dans le judaïsme, la chasse est proscrite. La Torah précise que l’homme a l’obligation de protéger la nature. Pourtant, avec la modernité en Israël, on voit de plus en plus de chiens de petite race. Peut-être en référence aux chiens bibliques de Canaan : ces sortes de spitz qui auraient montré la voie à Moïse lors de la fuite de son peuple. ?

Le chien est une personne, par Philippe Hofman, éd. Albin Michel, 320 p.

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