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Ce que vos fantasmes érotiques disent de vous

Han Renard

Presque tout le monde nourrit des fantasmes érotiques, mais peu en parlent. « Alors que c’est bon pour la confiance en soi d’être capable d’exprimer ou de vivre son fantasme sexuel. »

En 1973, l’auteure féministe américaine Nancy Friday a choqué le monde en publiant My Secret Garden, un livre révélateur sur les fantasmes sexuels féminins. Jusque-là, l’idée que les femmes n’ont pas de fantasmes sexuels était largement répandue. Les témoignages recueillis par Friday révèlent que les femmes rêvent autant que les hommes de masturbation et de sexe – et pas seulement avec leur mari dans leur lit. L’imagination des femmes est empreinte d’adultère, de sexe en groupe, de sexe lesbien, le sexe avec des animaux et de toutes sortes de « fantasmes de viol ».

Instantanément, My Secret Garden est devenu un best-seller, mais le commun des mortels a trouvé le livre choquant. Et Friday, qu’on appelait la pionnière du porno féminin, a également été critiquée dans ses cercles féministes parce qu’elle aurait surtout écrit du porno, et qu’elle aurait accordé trop peu d’attention à l’oppression sexuelle des femmes par les hommes.

Relations sexuelles avec un dauphin

Les dernières recherches à grande échelle sur les fantasmes érotiques sont menées par le psychologue social américain Justin Lehmiller, qui a intégré les résultats dans son livre Tell Me What You Want (2018). Lehmiller a interrogé 4175 Américains sur leurs fantasmes sexuels. Les sept fantasmes les plus courants chez les hommes et les femmes américains sont, selon Lehmiller, d’avoir des rapports sexuels avec plusieurs partenaires (pensez aux trios, orgies, gangbangs), le BDSM (une abréviation de bondage & discipline, sadisme & masochisme), changer la routine sexuelle ordinaire (essayer de nouvelles positions, par exemple). En quatrième position viennent les actes sexuels qui brisent les tabous, comme le sexe dans un lieu public. Mais au numéro cinq, il y a le « sexe qui a de l’importance », la passion, le romantisme et une véritable intimité. En six, vous trouverez des relations non monogames, l’échangisme, le polyamorisme, l’adultère ou une relation ouverte, et en sept les fantasmes homo-érotiques.

Lehmiller a également interrogé les participants sur leurs sources d’inspiration. D’où viennent les images et les histoires qui excitent les gens ? La plupart des répondants indiquent que leur fantasme érotique est le produit de leur imagination. D’autres s’inspirent de matériel pornographique, de films et de livres ou d’expériences sexuelles antérieures.

Mais si la plupart des fantasmes peuvent certainement être classés dans les sept catégories de Justin Lehmiller, Lucas De Man, auteur d’un projet d’enquête sur les fantasmes érotiques, est particulièrement impressionné par « la diversité » du matériel qu’il a recueilli. « La soumission est un fantasme courant, surtout chez les femmes. Mais quand vous écoutez cinq femmes en parler, vous obtenez cinq histoires totalement différentes. Nous avons aussi l’histoire d’une fille qui rêve de faire l’amour avec un dauphin. Mais il y a aussi un homme qui fantasme qu’il est en train de tuer des gens, puis d’être lui-même assassiné et absorbé dans l’univers. »

Petite enfance

Il n’y a pas de consensus parmi les sexologues, les psychologues ou les sociologues quant à la pertinence et à l’importance des fantasmes sexuels. Contrairement à certains collègues psychologues et sexologues, la professeure de psychologie clinique (ULB) et psychanalyste Ariane Bazan estime que les fantasmes érotiques sont très utiles. Dans sa pratique, elle leur accorde beaucoup d’attention. Quand les gens n’en parlent pas spontanément, j’essaie de les sonder prudemment. Je sais que c’est controversé, mais ces fantasmes sont la clé du psychisme de mes patients. Souvent leurs fantasmes les plongent dans un état de désespoir. Je leur demande donc s’ils ont des fantasmes et si oui, lesquels. »

La psychanalyse, explique Bazan, distingue deux axes sur lesquels se situent la plupart des fantasmes sexuels : l’exhibitionnisme par opposition au voyeurisme et le sadisme par opposition au masochisme. Selon Bazan, les axes susmentionnés incluent toutes sortes de fantasmes érotiques d’une « déshumanisation » de plus en plus extrême. Ce sont, explique-t-elle, des fantasmes de viol, d’inceste, de bestialité ou des fantasmes qui ont trait à la saleté et aux excréments.

Avec sa classification des fantasmes érotiques, Bazan ne veut pas porter de jugement de valeur sur les gens, d’autant plus que les fantasmes de quelqu’un ne sont en aucun cas prédicteurs de comportement transgressif réel. « Au contraire, le ratio peut même être inversement proportionnel, car ces fantasmes font parfois office d’exutoire. »

Selon Bazan, on sait peu de choses sur l’origine scientifique des fantasmes sexuels, mais même si la théorie est controversée, il lui semble logique que de nombreux fantasmes proviennent de la petite enfance. « Contrairement aux espèces animales, même les plus proches, nous, les humains, sommes dépendants des autres longtemps après notre naissance, même pour les actes les plus élémentaires. Si on y réfléchit un instant, c’est très humiliant. Les psychologues du développement disent qu’un enfant ne se sent pas humilié, mais je pense que si. C’est probablement de là que viennent ces fantasmes réguliers de couches et de bébés. Par exemple, les hommes qui fantasment sur l’allaitement, ou sur le fait d’être lavés et changés, essaient, pour ainsi dire, de guérir de cette expérience traumatisante dès le début de leur vie, en revivant la situation, dans leur imagination ou dans la vie réelle, mais avec la possibilité de contrôler activement les choses et de les adapter à leurs besoins. »

Selon le professeur Paul Enzlin (KU Leuven), l' »apogée » de la recherche sur les fantasmes sexuels est derrière nous depuis déjà quelque temps. Au lendemain de la révolution sexuelle des années 1960, le thème a suscité beaucoup d’intérêt, dit Enzlin. « Nous sommes passés d’une époque où l’on ne pouvait rien faire à une époque où tout était permis », explique-t-il. Pendant cette période de transition, il y a eu beaucoup d’intérêt pour le large éventail de fantasmes érotiques, de préférences et d’actions qui jusqu’alors n’avaient pas été autorisés à voir le jour. Entre-temps, selon le professeur, la plupart des recherches se sont concentrées sur des thèmes tels que le désir sexuel et les sujets liés au genre, « bien que, contrairement à ce que l’on pourrait penser en lisant les journaux, il n’y a pas tant de recherche en sexologie ».

Il n’en reste pas moins que la sexologie n’en a pas fini avec le sujet, dit Enzlin. « Pensez à la plus grande disponibilité de la pornographie ou à l’introduction de robots sexuels. Cela aura sans aucun doute un impact sur les fantasmes sexuels que les gens développent. Donc ça vaut vraiment la peine d’enquêter. »

Bien que, selon les enquêtes, les fantasmes érotiques des hommes et des femmes soient dans une large mesure les mêmes, il semble aussi y avoir des différences, et celles-ci sont souvent en accord avec les stéréotypes culturels et sociaux sur les hommes et les femmes, dit Paul Enzlin. Les hommes fantasment davantage sur l’acte sexuel lui-même, pensent à plus de positions et de partenaires, les femmes au contexte relationnel et au rôle qu’elles y jouent, comme la fille timide ou la victime. Les fantasmes des femmes ont plus souvent pour but de recevoir du plaisir que d’en donner. »

La question de savoir s’il faut partager ses rêves érotiques avec son partenaire est une décision très personnelle. Selon le professeur Enzlin, il n’y a pas de prescriptions à ce sujet. « Ceux qui le font se placent dans une position extrêmement vulnérable. Si votre partenaire rejette le fantasme, cela peut faire très mal. »

De plus, bon nombre de personnes interrogées dans le cadre d’enquêtes indiquent qu’elles fantasment sur quelqu’un d’autre lorsqu’elles font l’amour avec leur partenaire. On peut deviner que le partage de ce fantasme peut avoir des conséquences désagréables pour une relation. « Fantasmer sur George Clooney ne peut faire beaucoup de mal. Mais dès que la personne dont on fantasme se rapproche, cela peut être assez difficile », dit Enzlin.

Pourtant, il peut être libérateur de jeter la peur et la honte par-dessus bord, estime Lucas De Man. « Avec notre projet, nous voulons rendre hommage à l’imagination érotique. Fantasmer est au coeur de la sexualité humaine, et les fantasmes sont importants pour le développement en tant qu’être humain. Et ce qui est drôle, c’est que quand on demande aux gens ce que ce fantasme leur fait et quel moment leur procure le plus de satisfaction, ce n’est presque jamais quelque chose de sexuel. C’est le sentiment de liberté et d’être eux-mêmes, ne serait-ce qu’un instant dans leur imagination. »

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