Le test cutané révèle non pas une allergie mais une sensibilisation. © getty images

Allergies et intolérances: la grande galère des diagnostics

Le Vif

Les allergies et les intolérances sont des maladies complexes. Leur diagnostic l’est tout autant et la fiabilité de certains tests n’est pas scientifiquement démontrée.

Après avoir mangé une cacahuète, Lucas a fait un œdème laryngé avec bleuissement du visage, vomissements et sensation d’étouffement à la clé», se remémore Carine, mère de l’adolescent de 15 ans, allergique à l’arachide, la pistache et aux noix de cajou.

Pour les allergies qui se révèlent à grand fracas et déclenchent une réaction grave comme un choc anaphy- lactique, le diagnostic est généralement rapide. Mais pour les autres, il faut parfois plusieurs années.

D’abord, les patients ne consultent pas forcément, tant les manifestations paraissent bénignes. Ainsi, parmi les patients souffrant de rhinites allergiques, la moitié seulement consulte la première année, environ 30% après une année et les 20% restants ne le font jamais. Or, une simple rhinite allergique peut évoluer vers des problèmes respiratoires potentiellement plus sérieux.

En effet, 30% des rhinites non traitées peuvent évoluer en asthme. Ensuite, les généralistes s’y attardent globalement peu, soignant juste les symptômes. Certains médecins tentent même de trouver des allergènes responsables des rhinites et eczémas, en prescrivant des tests sanguins sans savoir lire leurs résultats, selon un rapport du Conseil supérieur de la santé (CSS), entraînant «des diagnostics et des traitements inadéquats, voire erronés et dangereux, comme des régimes d’éviction inutiles susceptibles d’affecter la santé».

Identifier formellement l’allergène coupable nécessite une enquête détaillée.

Identifier formellement l’allergène coupable nécessite une enquête détaillée menée par un médecin spécialiste. Première étape: fouiller l’histoire clinique du patient à la recherche d’indices. Il faut connaître ses prédispositions héréditaires, c’est-à-dire une capacité à être allergique à certains allergènes. Puis tout y passe: signes cutanés, respiratoires, digestifs, lieux de vacances, conditions de vie, circonstances des réactions allergiques, temps d’apparition, immédiat ou retardé, après l’ingestion ou l’exposition, fréquence…

A la fin de l’interrogatoire, l’allergologue a déjà une bonne idée de l’allergie et des allergènes potentiels. «Les symptômes doivent correspondre à une allergie, note Xavier Van der Brempt, pneumo- allergologue à la Clinique Saint-Luc, à Namur. Des plaintes de type maux de tête ou diarrhées par exemple n’évoquent pas une allergie.»

Il procédera également à un examen complet du corps du patient – yeux, nez, bouche, peau, souffle… – à la recherche d’indices physiques supplémentaires. Ce n’est qu’alors qu’il pourra démasquer les allergènes responsables. Les tests cutanés et les prises de sang ne peuvent se faire qu’après cette instruction rigoureuse. «Ils ne sont là que pour confirmer une histoire clinique qui permet de cibler les allergènes suspects. L’allergène recherché doit avoir un rapport avec les symptômes du malade, sinon, et ça arrive trop souvent, on trouve des allergies qui n’existent pas», poursuit encore Xavier Van der Brempt.

La crevette et les acariens

Différents tests cutanés existent – les prick tests et les patch tests – mais aussi des bilans sanguins. Les tests sanguins visent à doser les immunoglobulines E (IgE) spécifiques fabriqués par l’organisme en réaction au contact avec l’allergène. Leur niveau de positivité dans le sang n’indique pas nécessairement la sévérité de l’allergie ni même forcément une allergie. «C’est avant tout un marqueur de sensibilisation à cet allergène, insiste Xavier Van der Brempt. Si vous avez un chat, vous pouvez produire des IgE spécifiques dirigés contre les allergènes du chat, mais vous ne serez pas forcèment allergique.»

Généralement, pour confirmer le diagnostic, l’allergologue pratique d’abord des tests cutanés. Les plus souvent utilisés sont les prick tests. Ils consistent à déposer un extrait d’allergène sur la peau et de le mettre en contact avec la couche superficielle de l’épiderme. Au bout de quinze minutes, des papules et des rougeurs apparaissent, qui permettent d’identifier le ou les allergènes en cause. «Ces tests sont très efficaces pour détecter une allergie mais il faut pouvoir les interpréter correctement. Si vous réagissez positivement à la crevette, cela peut être une allergie à celle-ci, mais aussi aux acariens.»

La situation peut en effet devenir plus complexe avec le phénomène des allergies croisées, qui sont liées à la présence d’une même protéine dans différents allergènes. C’est le cas de l’allergie croisée entre l’arachide et le soja ou entre le pollen de bouleau et la pomme. Pour dépister une allergie à réaction retardée, comme l’eczéma de contact, où les symptômes apparaissent plusieurs heures, voire plusieurs jours après un contact, l’allergologue utilise les patch tests. Les allergènes les plus fréquents sont les parfums, les métaux, les conservateurs présents dans les cosmétiques…

«Les tests cutanés, comme la présence d’IgE spécifiques, révèlent non pas une allergie mais une sensibilisation», souligne encore Xavier Van der Brempt. En clair, pour établir le diagnostic, outre une réponse aux tests, il faut qu’il y ait une réaction lors de l’exposition à l’allergène. Bref, des symptômes et des preuves. S’il subsiste un doute, le spécialiste peut exposer le patient à l’allergène soupçonné pour déclencher les symptômes. On lui fait respirer des pollens, des acariens, avaler un médicament, un peu de sésame… Ce test permet aussi de déterminer le seuil de déclenchement de l’allergie. Il est réalisé sous contrôle médical, en milieu hospitalier, pour répondre au risque d’une éventuelle réaction allergique grave (choc anaphylactique, crise d’asthme sévère).

Ces tests mettent systématiquement le doigt sur le blé, les œufs et le lait… Ils n’ont donc aucune justification.

Tests inutiles et symptômes vagues

Une intolérance est différente d’une allergie, même si elle peut parfois mimer les symptômes d’une allergie. Une allergie est une réaction inappropriée du système immunitaire, qui lutte contre des allergènes, des substances inoffensives qu’il considère comme ennemies. Une intolérance ne fait pas intervenir les anticorps, les cellules de l’immunité.

Les troubles sont souvent moins graves et, contrairement à l’allergie, le pronostic vital n’est pas engagé lors d’une intolérance alimentaire. Il s’agit le plus souvent d’un déficit ou d’une production d’enzymes insuffsante, entraînant des troubles digestifs récidivants ou persistants, une incapacité plus ou moins importante à assimiler un aliment.

Une intolérance au lactose (le sucre présent dans le lait), la plus courante, correspond à un manque enzymatique en lactase, une protéine produite dans l’intestin grêle permettant la dégradation du lactose. Une intolérance à l’histamine (présente dans le chocolat, la charcuterie, la tomate, les crustacés…) traduit un déficit enzymatique en diamine oxydase. Une personne peut également être intolérante au gluten dans le cadre d’une maladie cœliaque. Dans ce cas, il s’agit d’une réaction auto-immune à un ensemble de protéines présentes dans le blé, l’orge et le seigle, qui peut provoquer à long terme des lésions intestinales.

Des tests existent pour certaines intolérances alimentaires. Détecter une intolérance au lactose s’effectue grâce à un test respiratoire au cours duquel le taux d’hydrogène est mesuré après l’ingestion d’un aliment lacté. Un seuil anormalement élevé met en évidence un déficit en lactase. Un dosage notamment de l’anticorps immunoglobuline A (IgA) antigliadine et une biopsie des villosités de l’intestin permettent d’identifier la maladie cœliaque. Une prise de sang suffit à établir une intolérance à l’histamine.

Pour d’autres intolérances alimentaires, il n’existe pas d’examens fiables et scientifiques pour les mettre en évidence. Des homéopathes, des naturopathes, des nutritionnistes, voire des généralistes, prescrivent pourtant des tests sans ordonnance et non remboursés, dont le prix peut varier de 50 euros à 400 euros, selon le nombre d’aliments testés (jusqu’à près de trois cents).

Désespérées, des personnes pensant souffrir d’intolérances alimentaires et se sentant incomprises se tournent parfois d’elles-mêmes vers ces bilans sanguins. Disponibles en ligne (et très bien référencés) ou dans des laboratoires privés, ils proposent de dépister les aliments non tolérés en s’appuyant sur le dosage des immunoglobulines G (IgG), un autre type d’anticorps spécifiques dirigés contre divers aliments.

Le hic, selon le Dr Xavier Van der Brempt: ces marqueurs ne témoignent pas d’une intolérance alimentaire mais uniquement d’un contact avec l’aliment. «Chaque individu fabrique des IgG sans pour autant présenter d’intolérance. Plus on consomme un aliment en quantité, plus il générera d’IgG. Ces tests mettent donc systématiquement le doigt sur le blé, les œufs et le lait, autrement dit, un très large échantillon de ce que nous mangeons… Ils n’ont donc aucune justification

Les résultats de ces tests ne sont validés par aucune étude scientifique. «Les recommandations établies sur la base de ces tests sont susceptibles de faire prendre un risque au patient en retardant le bon diagnostic ou en lui faisant suivre un régime alimentaire d’éviction aberrant, le plus souvent inutile et parfois délétère pour sa santé.» S’ajoute également le risque de développer des troubles alimentaires et l’isolement social.

L’expert reçoit des patients qui ont réalisé ces tests, se sont découverts des intolérances et suivent des régimes d’éviction pénibles. Parfois, ils décrivent malgré tout une réelle amélioration de leur état. «En effet, certains vont mieux, mais c’est peut être le signe d’une inflammation intestinale, d’une intolérance au lactose ou au gluten non cœliaque qu’ils ignoraient. Même chez ceux qui en souffrent, l’intolérance n’est jamais totale», assure Xavier Van der Brempt, qui ajoute qu’on se croit souvent plus intolérant qu’on ne l’est. Des études en aveugle (c’est-à-dire sans que le cerveau ne puisse intervenir) ont ainsi démontré que la majorité des intolérants ne l’étaient pas.

Dans Le Vif du 1er juin, retrouvez la suite de notre série consacrée aux allergies: «Les traitements sont-ils efficaces?».

En chiffres

La réaction anaphylactique, très rarement mortelle, survient dans 1% des cas. Elle concerne potentiellement 50 personnes par an.

Les allergies les plus graves sont causées principalement par des médicaments, des venins d’insectes et des aliments.

Les études montrent un retard aux diagnostics et aux traitements de cinq à sept ans, en moyenne.

Trouver un allergologue

Alors qu’un Belge sur cinq a développé ou développera une allergie, l’allergologie n’est pas reconnue en Belgique comme une spécialité médicale, au même titre que la cardiologie ou l’oncologie, alors qu’elle l’est dans quinze pays européens. La formation dans le cursus médical n’est d’ailleurs pas proposée dans toutes les universités. Résultats: une pénurie d’allergologues, des délais d’attente énormes et des retards de diagnostic. «En ce qui me concerne, l’attente est plus d’un an», souligne le Dr Xavier Van der Brempt. Nombreux sont les allergiques qui jettent l’éponge et se retrouvent sans soins. «Pourtant, l’allergie est un vrai facteur d’altération de la qualité de vie.»

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